10 ans après les attentats de janvier 2015 Peut-on encore dessiner sur tout et rire de tout ?

, par Faouzia

Dix ans après les attentats contre Charlie Hebdo et contre l’Hypercacher, des manifestations organisées ce 7 janvier veulent raviver « L’esprit Charlie ».

Peut-on rire de tout ? La question avait été ainsi posée par Pierre Desproges le 28 septembre 1982, dans une émission humoristique et mythique de France Inter, le tribunal des flagrants délires :
« S’il est vrai que l’humour est la politesse du désespoir, s’il est vrai que le rire sacrilège, blasphématoire, que les bigots de toutes les chapelles taxent de vulgarité et de mauvais goût, s’il est vrai que ce rire-là peut exorciser désacraliser la bêtise, exorciser les chagrins véritables et fustiger les angoisses mortelles, alors oui, à mon avis, on peut rire de tout - on doit rire de tout. De la guerre, de la misère, et de la mort. »
Ce jour là, Desproges s’exprimait devant le président du Front national, Jean-Marie Le Pen. Il avait alors conclu de cette façon : « Peut-on rire avec tout le monde ? C’est dur. ». L’humoriste et son complice Luis Rego avaient fait chacun un réquisitoire ébouriffant, hilarant et très vrai de Le Pen.

Le rire est tombé par terre
42 ans plus tard, on s’aperçoit avec effroi que cette question, « peut-on rire de tout ? » se pose toujours. Et de plus en plus, on répond par la négative. En quarante ans, la France a connu plusieurs vagues d’attentats, elle a participé à de nombreuses guerres. Mais c’est depuis les attentats contre Charlie Hebdo que le rire est tombé par terre. En tout cas, il semble bien que l’on ne peut plus se permettre de rire de tout.
Le mercredi 7 janvier 2015, deux terroristes qui avaient prêté allégeance à Al-Qaïda, se sont introduits dans les locaux du journal satirique, dans le 11ème arrondissement de Paris, et ont abattu froidement 12 personnes. La première victime a été Frédéric Boisseau, un agent de maintenance qui effectuait des travaux d’entretien dans le hall d’entrée de l’immeuble. Puis, les assassins ont poussé la porte de la rédaction et ont tiré en rafale, tuant dix personnes : les journalistes et dessinateurs Jean Cabut (dit « Cabu »), Georges Wolinski, Stéphane Charbonnier (dit « Charb »), Bernard Verlhac (« Tignous »), Philippe Honoré, Bernard Maris (« Oncle Bernard »), Elsa Cayat, Mustapha Ourrad. Michel Renaud, ancien journaliste en visite ce jour là, a également été tué, ,ainsi que le brigadier Franck Brinsolaro qui assurait la protection de Charb, ce dernier étant menacé depuis la publication des caricatures de Mahomet en février 2006. Enfin, les assassins ont exécuté, dans leur fuite, le policier Ahmed Merabet.
En fin de matinée, les noms des victimes égrenés par les radios, ont jeté l’effroi et la sidération. Des hommes armés -les frères Kouachi- avait assassiné, au nom de leur prophète, au nom d’une religion, d’autres hommes qui avaient pris le parti d’en rire. La tuerie s’est poursuivie le lendemain avec la mort d’une policière à Montrouge, Clarissa Jean-Philippe abattue par Amedy Coulibaly. Ce dernier a encore tué quatre personnes, le lendemain, 9 janvier, dans une supérette Hyperchacher de la porte de Vincennes, à Paris. 

4 millions de personnes dans la rue

Manifestation 11 janvier 2015 à Lille - Photo Marc Dubois

En réaction à l’atrocité de cet événement, quatre millions de personnes ont manifesté, partout en France, pour la liberté d’expression et contre l’antisémitisme. A Lille, le Club de la presse du Nord – Pas-de-Calais (aujourd’hui Hauts-de-France) avait réuni l’ensemble des partis politiques et du monde associatif au cœur d’un cortège immense. A Paris, des dizaines de chefs d’État et de gouvernement (dont des dictateurs) avaient marché côte à côte, avec les représentants de l’État français. Partout s’élevait la pancarte, en lettres blanches sur fond noir : « Je suis Charlie ».
Ce que l’on a alors appelé « l’esprit Charlie » était né. Mais ce consensus n’aura pas vécu à l’usure du temps. Il était construit sur une solidarité, sur le refus d’une atteinte à la liberté d’expression, sur le refus de l’antisémitisme. Ce 7 janvier 2025, le hashtag #NoussommestoujoursCharlie tente de relancer le combat pour la tolérance, la paix et la liberté.
Mais au delà, de l’hommage qu’il est indispensable de rendre aux victimes, on sait que les choses ont changé. L’assassinat de Samuel Paty, le 16 octobre 2020, puis de Dominique Bernard, le 13 octobre 2023, ont montré que l’obscurantisme est loin de reculer. En face, la peur (d’autres diront la « prudence », voire même la « responsabilité ») prend des allures de résignation ou, pire, de soumission. Avant même les attentats contre Samuel Paty, tué parce qu’il avait montré à ses élèves, pour les commenter, des dessins de Charlie Hebdo, de nombreuses caricatures de presse ont été censurées dans le monde. En France, les dessinateurs sont d’ailleurs loin de posséder tous leur carte de journaliste. Face à la dictature des idées, face à une raison qui n’a pas de raison d’être, l’humour et la caricature sont priées de se faire discrets et... « respectueux ». On le regrette.



 

 

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