A Arras, un salon pour une littérature engagée - 22 mars 2006

Les 29 avril, 30 avril et 1er mai, aura lieu à Arras le 5e Salon du livre d’expression populaire et de critique sociale. L’association organisatrice, Colères du présent, est venue le 20 mars présenter l’événement à l’occasion d’un Lundi Club.
Photo Gérard Rouy

Des rencontres avec des écrivains et des dessinateurs, du théâtre de rue, des spectacles, des concerts, des expositions… Il y aura tout cela à Arras, les 29 avril, 30 avril et 1er mai, à l’occasion du 5e Salon du livre d’expression populaire et de critique sociale. Comme souvent, la première édition de l’événement s’est organisée assez modestement, avant de devenir un rendez-vous reconnu, au cours duquel est remis un prix Jean Amila-Meckert (lire l’encadré), que les éditeurs connaissent bien désormais. Cinq écrivains sont en lice cette année (1).

A l’origine de ce salon, il y a une association, Colères du présent, créée à Arras à la suite d’un atelier d’écriture mené avec l’écrivain Thierry Maricourt, dans un centre de formation pour éducateurs. Le but de l’association ? « Faire sortir cette littérature [populaire] du ghetto où elle se trouvait  », résume Didier Andreau, son coordonnateur. Colères du présent mène également des actions pour toucher un public « éloigné de la lecture », notamment par des ateliers d’écriture.

Des actions toute l’année et dans toute la région

Même si le salon d’Arras constitue pour l’association un temps fort, des initiatives ont lieu tout le reste de l’année et dans différentes villes de la région : ateliers, interventions dans les écoles, spectacles, rencontres littéraires... Le livre de Frédéric Fajardie, « Paroles ouvrières » (éditions Mille et une nuits), qui donne la parole aux anciens ouvriers de l’usine Metaleurop de Noyelles-Godault, est ainsi le résultat d’une « résidence » de l’auteur, organisée avec le Conseil général du Pas-de-Calais. On peut aussi rappeler l’action menée avec Ricardo Monserrat et des habitants du quartier de Fives, à Lille.

Une « résidence » est aussi prévue avec une association antillaise, pour « recueillir le regard des gens du Sud sur nos quartiers populaires », explique Didier Andreau. Le coordonnateur précise que le projet s’est monté avant les nuits agitées qu’ont connues certains quartiers en fin d’année dernière.

Chorales, débats, théâtre…

Au salon d’Arras, les animations dépasseront de loin les habituelles dédicaces proposées en ces occasions. L’ouverture sera assurée par la « chorale rock’ n roll  » L’Echo râleur, tandis que la chorale 100% Famille interprétera pour la clôture des « chants de lutte et de résistance  », accompagnée par les musiciens du groupe toulousain Les Motivés. Une représentation d’une pièce de théâtre de Jean Meckert (« Les Coups ») sera également donnée, des débats organisés (sur « l’affaire d’Outreau », « 100 ans de syndicalisme »…), la place de la Madeleine se transformera en guinguette, etc., etc.

Pendant ce temps, un chapiteau accueillera des « auteurs d’ici » et des «  auteurs de là-bas  » (Belgique, Bénin, Haïti, Kabylie, Mexique, Palestine, Togo…). Comme il faut bien quelques têtes d’affiche, on peut citer Florence Aubenas, Paco Ignacio Taïbo Secundo, Pascale Fonteneau, le dessinateur Charb…

Le 1er mai, date symbolique évidente

Evidemment, si le point d’orgue du salon, comme tous les ans, est programmé le 1er mai, ce n’est pas un hasard. La symbolique est importante pour un événement qui se veut revendicatif. Une exposition sur les affiches du 1er Mai à travers le monde sera d’ailleurs organisée.

Membre du jury, l’écrivain Didier Daeninckx reprend ainsi un mot de Victor Hugo pour définir l’esprit du rendez-vous : « Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent ». « Ce sont des mots qui ont une résonance particulière dans le Pas-de-Calais et la région dont ce département fait partie, continue l’auteur, habitué de la Série Noire. La littérature, même si un temps elle se fit trop discrète sur ce terrain, est un des espaces où se joue aussi la capacité des hommes à transformer le monde. Il faut des mots pour dire ce qui est, pour prendre conscience de ce qui devient inacceptable, et les idées neuves naissent le notre faculté à inventer des possibles.  »

Ludovic FINEZ

(1) François Bégaudeau pour « Entre les murs » (Gallimard Verticales) ; Dominique Fabre, pour « La Serveuse était nouvelle » (Fayard) ; Patrick Pécherot, pour « Boulevard des branques » (Gallimard, Série Noire) ; Nan Arousseau, pour « Bleu de chauffe » (Stock) ; Gérard Streiff, pour « Les Yeux de Lénine » (Le Passage).

Pour plus d’infos : www.coleresdupresent.com

Un prix en hommage à Jean Amila-Meckert

« C’est la personne qui incarne le mieux la littérature que l’on souhaite défendre.  » Didier Andreau insiste : le nom de Jean Amila-Meckert n’a pas été choisi au hasard pour baptiser le prix remis (en partenariat avec le Conseil général du Pas-de-Calais) au cours de ce salon. Avec des parrains comme Jacques Tardi, Didier Daeninckx, Michel Ragon et Frédéric Fajardie, c’était même presque une évidence. Didier Daeninck est allé jusqu’à inventer une rue Meckert, à Paris, dans un de ses livres parus à la Série Noire (« 12, rue Meckert », Gallimard, 2001). L’histoire d’un journaliste spécialisé dans les faits divers, embarqué dans une enquête où le souvenir de la Commune plane sur les rues de Paris.

Amila, pour « Ami l’anar »

Décédé en 1995, Jean Meckert, de son nom de plume Jean Amila, est aussi un habitué de la Série Noire, créée par Marcel Duhamel, où il publiera pour la première fois en 1942 (« Y’a pas de Bon Dieu »). C’est même ce dernier qui lui demandera de trouver un pseudo à la consonance plus américaine. Il s’appellera donc d’abord John Amila (qui serait la contraction d’« Ami l’anar »), avant de retrouver son vrai prénom.

Ses premiers livres (publiés avant son arrivée chez Gallimard) lui permettent d’« affirmer ses conceptions plus ou moins libertaires  », écrivent de lui Claude Mesplède et Jean-Jacques Schleret, dans leur anthologie des auteurs de la Série Noire (1)

. « Il peint, sans idéalisme ni manichéisme, les gens modestes, leur solitude ou leur difficulté à vivre en couple ; il critique aussi une société qui détruit les rêves, humilie les humbles, impose le chômage. »

Doudou Magne, le flic aux cheveux longs

Après son arrivée chez Gallimard, « ses romans (…) décrivent les luttes menées par des groupes ou des solitaires. » A la fin des années 1960, il crée le personnage de « Doudou Magne, dit Geronimo, un officier de police aux cheveux longs, chemise à fleurs et moto, qui se veut "flic au service des victimes, pas de la puissance"  », continuent les auteurs de l’anthologie. « Dans les années 70, c’était assez gonflé… », remarque Didier Andreau.

Jean Amila-Meckert a aussi laissé quelques mystères derrière lui. Comme ce père qui serait mort fusillé après les mutineries de 1917 dans les tranchées de la Grande Guerre. Des journalistes auraient un peu hâtivement conclu que l’épisode narré dans un de ses livres (« Le Boucher des Hurlus », 1982, Gallimard) racontait l’histoire du père de l’auteur, qui aurait laissé dire. Ou encore cette agression dont Jean Meckert sera victime dans les années 1970, qui le laissera amnésique après plusieurs heures de coma.

L’année dernière, à l’occasion des dix ans de la disparition de l’auteur, les éditions Joëlle Losfeld ont réédité plusieurs ouvrages devenus introuvables, accompagnés de notes critiques. La même maison a publié, sous le titre de « La Marche au canon », un manuscrit inédit retrouvé dans les archives de l’écrivain.

L. F.

(1) « Les auteurs de la Série Noire. Voyage au bout de la Noire. 1945-1995 », Claude Mesplède et Jean-Jacques Schleret, 1996, éditions Joseph K.


 

 

 

La Vie du Club

ESPACE PRESSE