Aux armes, journalistes ! - La Lettre du Club n°61 - juin 2004

L’Union européenne n’a pas mégoté. En accordant à Serge Dassault l’autorisation de prendre le contrôle de la Socpresse, à 82%, elle confirme une exception française dont la presse ne sortira sans doute pas grandie. Deux fabricants d’armes président désormais aux destinée des deux plus grands groupes de presse du pays. Juste avant Dassault, le groupe Lagardère venait d’acquérir le pole édition de Vivendi Universal. Il possédait déjà un véritable empire dans la presse, l’édition, la distribution et l’audiovisuel. Avec la bénédiction du gouvernement français, Lagardère est en situation de quasi-monopole. En face de lui, Dassault détient 70 publications dont Le Figaro, L’Express et un tiers de la presse quotidienne régionale, dont La Voix du Nord et Nord-Eclair. Pour parfaire le tableau, le holding financier Wendel, présidé par le baron Ernest-Antoine Seillière - par ailleurs patron du Medef - détient le groupe français Editis, qui édite une grande part des dictionnaires et des manuels scolaires.
Dans les années 1970, ceux qui étaient alors étudiants en journalisme s’inquiétaient pour leur avenir en voyant grandir la papivore Robert Hersant. Dans les rédactions concernées, les journalistes prenaient des coups de sang et brandissaient haut la clause de conscience ou de cession. Ni les uns, ni les autres n’imaginaient le gigantisme des appétits dont eux et leurs journaux feraient les frais 30 ans plus tard.
Aucune barrière sérieuse ne semble devoir contrarier ces prises de contrôle. Au contraire, la loi du 3 juin vise à assouplir les règles anti-concentration. S’agissant de la Socpresse, Bruxelles a juste opposé un risque de concentration pour la presse financière. La belle affaire ! Grand seigneur, Serge Dassault s’est débarrassé de La Vie Financière. Et il ne s’est pas encombré de préjugés pour dire ce qu’il pense des titres qui ne sont pas rentables, comme il ne s’est pas gêné pour donner des leçons de journalisme aux confrères du Figaro. Sachez positiver, leur dit-il en substance. Entendez : il faut aussi parler des trains qui arrivent à l’heure. La chanson est connue.
Pour l’instant, et dans l’ordre, l’Observatoire français des médias, qui s’inquiète aussi de la volonté hégémonique de Bouygues sur la télévision, a lancé une pétition appelant à « l’action de tous et à l’engagement des forces politiques pour défendre le droit à une information libre et pluraliste ». Ensuite, réunis en assemblée générale, les journalistes du Figaro, du Figaro Madame et du Figaro Magazine ont préparé, sous l’égide de la Société des rédacteurs, un texte d’indépendance qu’ils souhaitent faire ratifier par Serge Dassault. « Au cas où Serge Dassault, ou l’un de ses proches, viendrait à écrire dans le quotidien, la rédaction réclame que l’auteur soit clairement identifié », lisait-on dans la version initiale de ce texte. Les journalistes exigent également que tout article mentionnant Serge Dassault (ou son groupe industriel) précise que ce dernier est actionnaire majoritaire de la Socpresse. Enfin, l’assemblée générale a requis que « les rédacteurs en chef et le directeur de la rédaction, dont dépendent (et d’eux seuls) les journalistes, soient eux aussi des journalistes professionnels ».
Sage précaution et saine réaction. Dernier barrage, que ne manqueront pas d’opposer les journalistes du groupe Socpresse : l’utilisation de la clause de cession. La Voix du Nord sera une fois de plus concernée. Nord-Eclair aussi, pour la première fois. Avec les conséquences qui se poseront pour les effectifs, la mémoire et la qualité des titres. Pendant ce temps, pragmatique, Serge Dassault prévoit de simplifier la Socpresse.

Philippe ALLIENNE


 

 

 

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