Edito

Ces fous de reporters

Ce sont trois étudiants de l’Ecole supérieure de journalisme de Lille. Ils viennent d’achever leur première année d’étude. Deux d’entre eux, Nicolas Burnens et Antonino Galofaro, viennent de Suisse. Le troisième, Sami Boukhelfa, est algérien. Dès que le vent de la révolution tunisienne a commencé à souffler, les trois apprentis journalistes ont réagi. Ils ont conçu un projet : réaliser un long reportage sur la jeunesse arabe. Mi juin, ils sont arrivés en Algérie, première étape de leur périple.

Le 22 juin, deux d’entre eux ont été interpellés à Bousmail, à une cinquantaine de kilomètres d’Alger, alors qu’ils venaient de rencontrer l’animateur d’un mouvement local, « Algérie Pacifique ». Rien de grave. Ils ont été libérés en fin de journée après une vérification d’identité. Selon le quotidien algérien El Watan, ils n’avaient pas demandé d’accréditation officielle auprès du ministère de la communication.

Têtes brûlées

Cette anecdote pourrait prêter à sourire. Elle risquerait surtout d’accréditer, à tort, cet article de « 20 Minutes », édition Suisse romande, qui taxe ses compatriotes et futurs confrères de « têtes brûlées » refusant d’écouter les conseils du Département fédéral suisse des Affaires étrangères, le DFAE. Ce dernier leur aurait en effet demandé de rester sagement à l’ombre du beffroi lillois. Au moment où les peuples arabes se battent pour leur liberté, il est tellement aisé et efficace, chaque journaliste le sait, de donner la parole à de jeunes Algériens, Tunisiens, Egyptiens, Syriens, Libyens ou Jordaniens, sans quitter son bureau ou, en l’occurrence, sa piaule estudiantine. C’est surtout tellement plus simple, plus rassurant, plus confortable pour les autorités et la diplomatie occidentale.

Ces trois journalistes en herbe auraient pu faire un stage d’été dans une locale de la Voix du Nord, d’Ouest France, de La Tribune de Genève, de 20 Minutes :)), voire d’El Watan. Ils choisissent, les fous, de partir en reportage. D’être témoins de leur temps. Et de ne pas écouter, au moins pour nos deux futurs confrères suisses, les conseils évidemment avisés des autorités de leur pays. Sauf que ces dernières avaient oublié de réviser leur règlement : dans une démocratie, un gouvernement ne dit pas à un journaliste ce qu’il doit ou ne doit pas faire.

Les cousins suisses

D’ailleurs, les trois étudiants n’ont pas préparé leur voyage à la légère. Ils y ont travaillé de longs mois : construction d’un site internet www.ir7al.info, recherche de partenaires, réflexion sur leur itinéraire, etc. l’ESJ est leur premier partenaire. Plusieurs médias, dont El Watan pour l’Algérie, les soutiennent et se sont engagés à publier leurs récits. Bref, du pro, rien que du pro. Du reportage, rien que du reportage. Ce qui tend à manquer de plus en plus.

En tout cas, la réaction des autorités helvétiques et le titre peu confraternel de 20 Minutes ne sont pas sans rappeler l’attitude de l’Elysée, de son secrétariat général et de l’Etat major des forces armées lorsque Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier ont été capturés par un groupe taliban en Afghanistan. Cela n’est pas sans rappeler les déclarations de Jacques Chirac, lorsque, prédécesseur de Nicolas Sarkozy, il conseillait aux rédactions de ne plus envoyer de reporters en Irak. C’était à l’époque où Christian Chesnot, Georges Malbrunot puis Florence Aubenas avaient été enlevés.

Si les journalistes veulent faire leur métier en racontant le monde tel qu’il est, donc en réalisant des reportages, mieux vaut qu’ils le fassent désormais en « lieu sûr ». Dans leur quartier ? Même pas. Là aussi ça craint. Non, plutôt au creux du ministère des affaires étrangères de leur pays. Là bas, on leur donnera sans doute de quoi écrire, de quoi dire, de quoi raconter.

Dernièrement, le club de la presse a reçu les parents et les avocats de Florence Cassez. Là encore, la démonstration a été faite qu’il n’est de meilleure information que celle recueillie, par des journalistes professionnels, auprès des personnes concernées.

Philippe Allienne


 

 

 

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