Chute de Ben Ali, un photojournaliste lillois raconte.

À l’origine le Lundi du Club du 13 février était notamment consacré au livre « Notre ami Bouteflika, de l’Etat rêvé à l’Etat scélérat », supervisé par Mohamed Benchicou. Le journaliste algérien n’a pas pu être présent, reparti pour prendre part au début de la mobilisation populaire dans son pays d’origine.

Dans son introduction Philippe Allienne, président du Club de la presse, a d’ailleurs rappelé qu’il tenait ainsi la promesse faite lors d’une précédente rencontre de « continuer à témoigner et à se mobiliser ». Ce n’est que partie remise, l’actualité politique au Maghreb est tellement dense que l’on sera amené à reparler de l’Algérie prochainement.

Si l’on ne peut s’empêcher de faire un parallèle entre les situations en Tunisie, en Egypte, en Algérie et désormais à Barhein et en Libye, il ne faut pas tomber dans le piège de la simplification. Si les causes des soulèvements sont communes - misère, corruption, problème de logement, chômage - chaque pays a ses problématiques propres.

Olivier Touron, pigiste photojournaliste, a couvert les événements de Tunisie à partir du 14 janvier

Photojournaliste, des risques à prendre, un rôle à jouer ?

Olivier Touron, second invité de cette soirée, était bien présent pour relater son expérience de 15 jours au cœur d’un début de révolution en Tunisie. Une rencontre qui a permis aux participants de mieux appréhender la réalité du travail d’un pigiste photojournaliste couvrant un mouvement social de grande ampleur à l’étranger, sous un régime autoritaire.

Attiré par « l’histoire en marche », Olivier Touron arrive en Tunisie avec Arnaud Robin, un confrère photojournaliste, le 14 janvier, avec la sensation d’être déjà «  en retard », les manifestations ayant commencé à Sidi Bouzid le 17 décembre. C’est tout le contraire qui se produit. Dès leur sortie de l’aéroport, les deux photographes se retrouvent dans les manifestations sur l’avenue Bourguiba, au milieu des gaz lacrymogènes et des répressions policières. Le travail de reportage commence alors sans transition dans des conditions difficiles, dangereuses, une tension palpable. C’est dans ce contexte que le photographe Lucas Mebrouk Dolega est grièvement blessé par un tir tendu de grenade lacrymogène. Il décédera le 17 janvier. « Pour aller chercher l’image il faut être devant, entre les belligérants », explique Oliver Touron. Pour que les images soient parlantes et relatent la réalité, le photographe prend des risques. Dans les circonstances des manifestations de Tunis, les policiers ont tiré pour faire mal, avec l’issue dramatique que l’on sait. Lucas a partagé le sort tragique d’une centaine de Tunisiens décédés lors des révoltes, qui se sont tous retrouvés face à des policiers armés.

La question de la prise de risque des journalistes, déjà posée à maintes reprises, notamment pour Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier, ressurgit alors. Sur place elle ne se pose pas. Olivier Touron témoigne de la grande attention portée aux journalistes par les Tunisiens, prêts à témoigner, à aider aussi. Ces derniers sont persuadés que la presse peut contribuer à changer les choses. Le photographe nordiste reconnaît que le travail de la presse a joué un rôle important de « résonance ». En donnant une exposition mondiale aux événements, on influe sur le comportement des autorités, sur l’attitude des forces de l’ordre moins promptes à l’usage de la violence. Il tempère cependant : « on prête aux journalistes des pouvoirs qu’ils n’ont pas. Rapporter les choses oui, les changer c’est moins sûr », « il ne faut pas minimiser la force de la mobilisation qui a tout démarré ». En Tunisie les citoyens se sont emparé des nouvelles technologies et des réseaux sociaux. Déjouant au prix de mille astuces un contrôle policier quasi permanent ils en ont fait des outils pour renverser le président Ben Ali.

Rabah Chaibi, journaliste algérien, était présent dans l’assemblée, inquiet pour la suite des événements aux maghreb

Logistique du pigiste photojournaliste en temps de crise

Parti sans préparation et sans commande préalable, Olivier Touron est resté 15 jours en Tunisie. Les photos et reportages ont été vendus en direct, les commandes prises sur place. Les envoyés spéciaux des rédactions du monde entier sont arrivés petit à petit, augmentant les possibilités de collaboration. On retrouve ses photos dans Libération, L’Humanité, Liberté Hebdo, Le Pèlerin, La Croix, Marianne (à voir sur son site Internet et à cette adresse). Il a fait le choix de multiplier les sujets, de la couverture des manifestations à des séries de portraits, et les sources de revenus, plutôt que d’espérer décrocher une hypothétique « double plage » plus lucrative. Un choix à la fois économique et guidé par la volonté de respecter le témoignage de la population et de ne pas la décevoir.

Sur place la solidarité entre confrères est bien réelle. Les informations s’échangent, pour être sûr de ne rien rater. Les journalistes postés donnent des coups de mains matériels aux pigistes (prêt de chambre d’hôtel, transport…). Comme ces derniers, Olivier Touron et Arnaud Robin ont dû avancer tous les frais. Les 15 jours de reportages leur ont coûté 3300€. Il reconnaît qu’avec plus d’expérience cela aurait pu être moins. L’ensemble des parutions a rapporté 5300€ brut, auxquels s’ajouteront les ventes de photos qui continuent à être publiées. Un bilan positif pour une session lancée sans commanditaire de départ ; mais on se rend compte qu’en matière de photojournalisme, le risque ne paie pas si bien que cela.

N.B.


 

 

 

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