COLLOQUE 2004 - Où vont la presse et le journalisme ? - La Lettre du Club n°61 - juin 2004

Deux plénières, six ateliers, une trentaine d’intervenants, 130 participants sur la journée : pour une première, le colloque du Club de la Presse du 4 juin, en partenariat avec Réseau ESJ, a rencontré un joli succès. Les discussions ont tourné autour de l’information de proximité et de la précarisation du métier de journaliste. En voici un rapide aperçu (1).

Premier thème de la journée : l’information de proximité. « Le contenu d’un hebdomadaire de proximité ne va pas de soi », estime Jean-Pierre Vittu de Kerraoul, à la tête d’une quinzaine d’hebdomadaires locaux (L’Observateur d’Avesnes, L’Observateur du Valenciennois, L’Observateur du Douaisis…). « 90% des informations qui arrivent toute seules n’ont aucun intérêt, estime-t-il. Notre perception individuelle (de journalistes et éditeurs de presse, Ndlr) n’est pas représentative ni significative de la réalité sociale. » D’où l’idée, défendue par de nombreux éditeurs de presse, que tout doit partir des attentes du lecteur. De quelle façon ? Hubert Prévost, rédacteur en chef adjoint à La Voix du Nord, chargé des rédactions locales, a exposé la méthode du quotidien lillois. Un savant mélange d’enquêtes marketing et de réunions avec les lecteurs, où ces derniers donnent leur avis sur une édition au hasard. « Il y a 20-30 ans, le journaliste localier faisait son papier de 10 000 ou 20 000 signes ; La Voix du Nord se vendait toute seule ; on ne se posait pas les questions essentielles », assure-t-il.

Une autre presse de proximité

Le premier débat de la journée est né de la réaction de Jean-François Bège, aujourd’hui responsable du pôle Edition de Sud-Ouest après de nombreuses années passées en locale et à la rédaction parisienne du journal. « Les études marketing sont intéressantes pour savoir qui nous lit, reconnaît-il. Mais je n’ai encore rien vu de pertinent concernant les centres d’intérêt des lecteurs. C’est aussi au journal de surprendre, d’intéresser. (…) L’aboutissement de la logique marketing, c’est la presse gratuite : on fait alors une presse invendable, donc on la donne. »
Les ateliers de la matinée ont également permis de découvrir un autre type de presse de proximité. Daniel Leau et Frédéric Lépinay, tous deux anciens journalistes à La Voix du Nord devenus pigistes, sont venus présenter les journaux satiriques qu’ils ont créés. L’Œil pour le premier, édité dans le Calaisis et le Boulonnais ; Les Lumières de Lille pour le second, aujourd’hui en sommeil en attendant une renaissance. « Nous ramassions ce que la presse quotidienne régionale ne traitait pas sur la politique, l’économie, les médias locaux, témoigne Frédéric Lépinay. C’était un petit journal de résistance. » Daniel Leau, lui, est à la tête d’une petite équipe de bénévoles, qui sort chaque mois, de façon artisanale, 2 000 exemplaires. La rédaction s’intéresse aux « sujets non traités par les médias traditionnels ou de façon édulcorée ». « Nous sommes le seul média à publier les jugements concernant La Voix du Nord, précise-t-il. Pas par esprit de vengeance, mais parce que le lecteur a le droit d’en être informé. »

Une précarité difficile à chiffrer

Changement de thème l’après-midi, avec la précarisation du métier de journaliste. De 1991 à 2002, la proportion de cartes de presse accordées à des pigistes est passée de 14% à 18%. Dans le même temps, le nombre de pigistes cartés augmentait de 60%. Mais ces chiffres ne donnent qu’une idée imparfaite de la situation. D’une part, la Commission de la Carte (CCIJP) a assoupli ses critères d’attribution, s’adaptant à certaines pratiques. Dans l’autre sens, la précarité recouvre d’autres statuts (correspondants locaux de presse, intermittents…) qui sont, théoriquement, incompatibles avec la carte de presse. Mais la précarité prend également la forme des CDD à répétition. « A RFI, la précarité est scientifiquement gérée. On utilise les délais de carence (entre deux CDD, Ndlr), pour éviter l’embauche », assure Olivier Da Lage, ancien président de la CCIJP et par ailleurs journaliste à RFI. Pour Jean-Marie Charon, sociologue des médias, le développement de la pige dans la presse magazine et l’audiovisuel a pour conséquence une « responsabilité éditoriale de moins en moins assumée ». Tout simplement parce que le commanditaire d’un sujet ignore le plus souvent dans quelles conditions matérielles celui-ci a été réalisé.
Xavier Mouligneau, chef de la rédaction locale de Mons à la RTBF-Radio, a pour sa part exposé une particularité belge : l’existence de « faux indépendants ». A la différence des pigistes français, les journalistes indépendants belges paient eux-mêmes leurs cotisations sociales. De plus en plus, ce statut est utilisé par des patrons de presse pour payer des journalistes qui n’ont d’indépendant que le nom. Attachés à une rédaction unique, ils font leurs horaires quotidiens, au même titre que leurs collègues salariés permanents. Les syndicats belges de journalistes ont bataillé pour intégrer dans les rédactions ces « faux indépendants ».

Le marketing s’invite aussi à la télé

Autre réalité : celle décrite par Gilles Balbastre, auteur de plusieurs documentaires sur le monde du travail. « La plupart des journalistes travaillant pour les boîtes de production sont des intermittents, regrette-t-il. Ils n’ont donc pas la carte. C’est le salariat (en tant que permanent, Ndlr) qui protège de la marchandisation de l’information. » Il a ensuite décrit l’implication croissante des spécialistes du marketing dans le montage des documentaires et reportages télé (lire également en page 7, « Ça vient de sortir »). Des orientations d’autant plus faciles à imposer que le journaliste sera dans une situation précaire et inconfortable matériellement. « Il y a une énorme solitude » du pigiste face à sa boîte de production, raconte-t-il.
Le but de ce débat était bien de pointer les dangers de la précarité sur la qualité de l’information et non pas, évidemment, de charger la pige de tous les maux. Pour preuve, le témoignage de cette journaliste, pigiste par choix, après de longues années passées comme permanente dans différentes rédactions. « J’ai enfin l’impression de ne plus faire que mon métier et de ne plus perdre mon temps dans des réunions qui ne servent à rien, se félicite-t-elle. Des journalistes qui bâclent, qui ne vont pas sur le terrain, qui bidonnent, je peux en faire des listes complètes parmi les permanents. »

L. F.

(1) Ce colloque, dont les débats on été enregistrés, donnera lieu à la publication d’actes à la rentrée prochaine.


 

 

 

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