Côte-d’Ivoire : les clés de la crise - 6 janvier 2005

Si la Côte-d’Ivoire n’occupe plus le devant de la scène, elle demeure en proie à une profonde crise politique. La France, ses ressortissants et ses militaires sont toujours la cible de critiques et d’attaques. Mais que cachent les derniers événements ? La position de la France est-elle aussi claire que le mandat international l’indique ? L’actualité ne masque-t-elle pas des tensions plus anciennes ? Que deviennent les Français et les bi-nationaux évacués en urgence ? Pour tenter de trouver des réponses à un événement complexe, le Club de la Presse Nord - Pas de Calais avait invité, mi-décembre, quelques interlocuteurs spécialistes.

Que s’est-il passé en Côte d’Ivoire ? Tous ceux qui ont vu ces images de vitrines en feu, de maisons dévastées et de manifestants armés de bâtons menaçant les Français de mort ont sûrement tressailli de frayeur. La Côte-d’Ivoire semblait un îlot de stabilité en Afrique de l’Ouest. Et voilà qu’elle réclame le départ des « occupants » français, expatriés et militaires, et qu’elle se déchire sur la légitimité de ses dirigeants.

Résumé trop caricatural pour expliquer une crise vieille de plus de deux ans. Après les accords de Marcoussis (1), l’espoir d’une situation stable en Côte-d’Ivoire a volé en éclat quand, le 4 novembre, l’aviation ivoirienne a tiré sur un cantonnement militaire français à Bouaké, causant la mort de huit soldats. C’est « le tournant du conflit », estime Francis Laloupo, rédacteur en chef du mensuel francophone Le Nouvel Afrique-Asie. « Quand Laurent Gbagbo [le président ivoirien] reprend l’initiative armée sur le terrain, il tourne le dos aux accords de paix (…) pour "laver l’affront" (…) ».

Francis Laloupo

L’affront ? Les accords de Marcoussis qui, selon Francis Laloupo, n’avaient d’autre but que de « dépouiller Gbagbo de ses pouvoirs constitutionnels, [pour les transférer à] un premier ministre imposé par la communauté internationale. C’est une sorte de coup d’Etat constitutionnel ».

Pour le journaliste africain, de nombreuses questions demeurent sans réponse. « Personne n’est capable d’apprécier la contradiction entre la tentative de coup d’état et l’émergence de la rébellion dans le nord du pays. (…) D’où les "rebelles" tirent-ils le financement de leur armement ?À Abidjan, on a vu surgir des escadrons de la mort qui ont causé des dizaines de morts inexpliquées. Qui est responsable ? Des procès sont-ils prévus ?(… À qui profite la guerre ? (…) Nous avons plus de questions que de réponses depuis deux ans », relève Francis Laloupo.

Alexis N’Doume

À chaud, la crise ivoirienne porte à mal les longues relations franco ivoiriennes. « Nous le vivons très mal » assure Alexis N’Doume, président de l’association des Ivoiriens du Nord - Pas de Calais (CINPAC). « Qu’on trouve une solution qui permette de retrouver l’intégrité du territoire, celle d’avant septembre 2002 », poursuit-il.

Dans ces relations, le rôle de la France est mal établi. « La France est intervenue à la demande du pouvoir ivoirien », qui se pose aujourd’hui en contradiction, rappelle le journaliste Francis Laloupo. « Il faudrait des forces neutres, pourquoi pas intégrant des Français, pour donner une image diplomatique plus subtile », estime-t-il. « Le pays est encore en situation de post-colonisation ».

Bernard Fontaine

Pourtant, même du côté français, on éprouve des difficultés à appréhender la situation, « la politique africaine est très compliquée », admet le consul honoraire de Côte-d’Ivoire en Nord - Pas de Calais, Bernard Fontaine. Attention, toutefois, à ne pas limiter l’analyse aux seuls clichés, indique Francis Laloupo qui, dans son éditorial de décembre, cite un diplomate français convaincu du penchant naturel des états africains pour la violence.

Dans les médias français, la crise ivoirienne a occupé une place importante depuis 2002, date de la reprise des combats armés et du début de l’opération Licorne. « Les quotidiens français ont mis en place des schémas dans lesquels ils font passer des a priori sur la Côte-d’Ivoire », observe Gustave Wanme, auteur d’un mémoire de DEA sur le traitement de la crise par la presse écrite française (2). Selon l’universitaire, la France apparaît comme « le pays qui apporte la paix de manière impartiale ». Ces traits figurent à la fois « dans le discours, mais aussi dans la mise en page ». Plus globalement, analyse Gustave Wanme, « l’image de la France est construite par la déconstruction de l’image de Laurent Gbagbo ».

Dans ce traitement, « le visage des rebelles est éclipsé, les images [des Français évacués] forcent à oublier les origines de la crise. Or, comment une crise ivoirienne est-elle devenue une crise franco-ivoirienne ? », interroge Gustave Wanme.

On l’évoque moins, mais la crise a dépassé le cadre des seules relations diplomatiques franco-ivoiriennes. « Des Maliens, des Sénégalais, des Burkinabés, des Béninois ont été dépouillés de tout, et ils sont là, le regard tendu vers la Côte-d’Ivoire », note Francis Laloupo.

Pour cette jeune femme, qui possède la double nationalité, rapatriée en France, à Bailleul, le choc est grand. « C’est une histoire d’amour qui finit mal. Une partie de ma famille est ici, l’autre est là-bas. C’est très dur », lâche-t-elle avant d’éclater en sanglots. Comme elle, une centaine de personnes est hébergée dans la région.

Texte et photos Mathieu Hébert

Un dossier est disponible au centre de ressources du Club de la Presse.

Notes :

(1) Du nom de cette commune de l’Essonne, ces accords, signés en janvier 2003 sous médiation française, ont donné naissance à un gouvernement réunissant d’anciens opposants autour du président Gbagbo. Retour

(2) « Crises sociales et démocratie en Côte-d’Ivoire et au Togo, portraits et mises en scène dans la presse française en 2002 et 2003 », Université de Lille 3. Retour


 

 

 

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