Denis Robert mis en examen : « Aujourd’hui c’est moi, mais demain… »

Denis Robert, auteur de plusieurs ouvrages sur Clearstream, sera mis en examen le 12 décembre pour « recel d’abus de confiance ». Le Club l’a invité mercredi 29 novembre pour une rencontre avec la presse lilloise. Il a ensuite participé à un débat à l’ESJ Lille, co-organisé par le Club. Pour lui, sa mise en cause contient en germe une grave remise en cause du métier de journaliste.

(Photos : Gérard Rouy)

Denis Robert l’a appris par lettre recommandée samedi 25 novembre : il sera mis en examen pour « recel d’abus de confiance » le 12 décembre, à l’occasion de sa convocation par les juges Henri Pons et Jean-Marie d’Huy, chargés du dossier Clearstream. Que lui reproche-t-on ? D’avoir détenu des documents bancaires que lui a confiés Florian Bourges, un jeune informaticien ayant participé à un audit de Clearstream. Dans la logique des juges, les documents de Florian Bourges ont donc été obtenus par « abus de confiance » envers son employeur, le cabinet Arthur Andersen. Denis Robert, à qui il les a transmis, s’en ferait donc le receleur. « Il y a quelque chose d’absolument extravagant dans cette mise en examen », estime celui qui explique n’avoir d’« autre motivation que d’informer le plus grand nombre ».

Journaliste pendant 12 ans à Libération (il avait fait ses débuts pour le quotidien en suivant « l’affaire Villemin »), Denis Robert est aujourd’hui passé à l’écriture de livres (romans et essais journalistiques) et à la réalisation de films. Ces dernières années, Clearstream a occupé une partie conséquente de sa vie professionnelle -« Je ne ferai pas deux [enquêtes] comme ça dans ma vie », remarque-t-il-, depuis le premier livre sur le sujet, Révélation$ (éditions les arènes), sorti en 2001. Il y aura ensuite, chez le même éditeur, La Boîte noire, en 2002 et Clearstream l’enquête, en 2006. Clearstream l’a également inspiré, au moins en partie, dans des genres très différents : le roman, avec La Domination du monde (Julliard, 2006) et, disons, le « détournement artistique », avec Dominations (Hugo et Cie, 2006). Réalisé avec le peintre Philippe Pasquet, cet album est notamment constitué d’œuvres composées à partir… de listes de comptes de Clearstream.

« Nous sommes tous des receleurs »

L’idée a même germé d’organiser une exposition dans une galerie parisienne d’art contemporain « très en pointe ». Un détail : l’endroit s’appelle La Banque… Au-delà de la provocation et de la volonté d’en sourire pour dédramatiser, Denis Robert veut aussi faire passer le message suivant (également titre d’une pétition circulant sur le net) : « Nous sommes tous des receleurs ». « Vous achetez un de mes bouquins c’est truffé de listes de comptes, note-t-il. Vous être receleur… » Car cette mise en examen, « ce n’est pas anodin », insiste-t-il. Il y voit un danger pour toute la profession : « Aujourd’hui c’est moi, mais […] si on laisse faire ce type de chose, il faut arrêter ou il faut entrer en clandestinité… Ce n’est pas digne d’une démocratie. »

Il y a aussi la plainte pour diffamation de Dominique de Villepin, portant sur Clearstream l’enquête, qui n’a pas encore eu de suite pour le moment, du moins en terme de mise en examen. « Villepin et les juges [en] ont visiblement envie », analyse-t-il, tout en prédisant : « Ils font tout pour que ça se passe après les élections ». Toujours est-il que sur le fond, cette initiative du chef du gouvernement lui reste en travers de la gorge (1). « D’abord parce que je ne l’ai pas diffamé et puis parce que quand on est Premier ministre, si on est un tout petit peu respectueux du fonctionnement de la démocratie et de la liberté de la presse, on ne fait pas ça… En plus, venir jouer les gros bras contre un livre comme ça, chez un éditeur indépendant […]. Lui, il a tous les moyens, il est Premier Ministre et moi je suis quoi ? […] Je trouve que ce n’est pas très digne. »

« Trop, c’est trop ! »

Le journaliste Denis Robert au Club de la presse Nord - Pas de Calais

Si on y ajoute les dizaines de procédures lancées en France, en Belgique et au Luxembourg, particulièrement par Clearstream, l’interdiction pendant trois semaines (en juin dernier) de son dernier livre, les plaintes en diffamation quasi systématiques à chaque interview qu’il donne… « trop c’est trop ! » « Ce qui est très fatigant pour moi, ce sont les huissiers, c’est-à-dire les visites d’huissiers qui m’amènent des plaintes… Voilà, c’est cette pression-là. » Denis Robert a donc fini par se laisser convaincre par des amis d’accepter la création d’un comité de soutien (2). Ce dernier se charge de collecter des messages de soutien et un peu d’argent pour faire face aux frais, notamment d’avocats, engendrés par les procédures judiciaires. Lancé très récemment, le comité avait recueilli en quelques jours environ 4.000 euros en chèques, d’un montant modeste pour la plupart.

Pour Denis Robert, cette stratégie judiciaire ne le vise pas uniquement. Le but principal est d’effrayer la presse. Selon lui, les effets se font déjà sentir : Libération et Le Monde ont ainsi refusé récemment une tribune libre signée de sa main, « non pas parce que c’est diffamatoire mais parce qu’ils ont peur des procès ». Le Monde avait même programmé la parution, avant de l’annuler. C’est finalement l’hebdomadaire Les Inrockuptibles (3) qui l’a diffusée. De façon générale, il est désolé de la façon dont la presse traite de « l’affaire Clearstream », en focalisant sur une question unique : qui, de Villepin ou de Sarkozy, a voulu piéger l’autre ? Face à cela, « ce n’est même plus de la frustration chez moi, assure-t-il. J’en ai tellement vu depuis que mes premiers livres sont sortis, que je suis le témoin toujours éberlué de ce qui arrive et de voir aussi que la presse est aussi peu combative sur ce truc-là. Qui a contre-enquêté sur Clearstream ? Qui a essayé de dire à quel point cette affaire était scandaleuse ? Eh bien il n’y a pas grand monde… »

« Je dis que Clearstream est une entreprise qui dissimule »

Car au départ, c’est bien sur le fonctionnement et les petits secrets de cette « banque des banques » basée au Luxembourg, cette « chambre de compensation » -même si ces expressions sont un peu réductrices- que portait le travail de Denis Robert. Et non sur le feuilleton politique un peu glauque que c’est devenu. « Je dis quoi ?, enchaîne l’écrivain. Je dis que Clearstream est une entreprise qui dissimule [des transferts financiers, NDLR], je me garde bien de dire qu’elle blanchit. Ce n’est pas moi qui dis qu’elle blanchit. Clearstream est utile à la chaîne du blanchiment mais ce sont les clients qui blanchissent. C’est donc tout un problème de sémantique. »

Reste que Denis Robert reconnaît volontiers ne pas avoir été uniquement un témoin dans cette affaire. Tout en se demandant comment il aurait pu faire autrement. Une telle enquête nécessite forcément des informateurs. Il admet aussi s’être fait manipuler par Imad Lahoud, à qui il a fourni des listings. « J’ai eu toute une relation avec [lui] très compliquée à comprendre si on en prend des petits bouts. [Mais] comme je n’ai jamais franchi la ligne jaune et que tout ce que j’ai fait c’était pour informer… » « Moi, [quand je l’ai rencontré], je ne savais pas tout ce qu’on sait aujourd’hui […]. Je ne sais pas [alors] qu’il travaille pour la DGSE, que je suis écouté, que mes mails sont piratés. […] Je vois un broker qui me propose une espèce de "deal" : "Tu m’aides je t’aide". »

Un lièvre de belle taille

Denis Robert est en tout cas bien persuadé d’avoir levé un lièvre de belle taille en s’intéressant à Clearstream. Jusqu’à « l’immodestie » ? Oui, mais il « [s’]en fou[t] ». Devant les étudiants de l’ESJ, il a ainsi estimé que son travail est « sans doute un des plus grands scoops journalistiques des 30-40 dernières années ». Les erreurs qu’il confesse -comme celle d’avoir confondu dans un listing bancaire la Direction générale de la sécurité extérieure, c’est-à-dire les services secrets français, avec la Direction générale des services étrangers de la Banque de France- ne méritent pas pour lui les critiques qui lui sont faites. Il estime ainsi que Le Monde mène un travail de sape, en remettant régulièrement en cause le sérieux de ses enquêtes. Le 25 novembre dernier, le quotidien du soir parlait encore de « l’attitude parfois ambiguë de M. Robert dans le déroulement de l’affaire ».

Dans le quotidien bruxellois Le Soir, où il rédige désormais des chroniques, Edwy Plenel, ancien directeur de la rédaction du Monde, signait d’ailleurs il y a quelques semaines un article sous le titre « Ce que cache l’affaire Clearstream ». Il y affirmait notamment « qu’il n’y a pas de "vraie affaire Clearstream" ». « Il explique que l’affaire Clearstream, c’est rien, c’est du vent », résume à sa façon Denis Robert, qui s’est alors lancé dans l’écriture, pour son blog, d’une longue réponse aux accents parfois surréalistes. Edwy Plenel y est décrit sous les traits d’un des vilains lutins du dessin animé Oui-Oui… Plus sérieusement, il y rappelle également les erreurs commises par l’ancienne plume du Monde sur « l’affaire de Panama ». Ces « révélations » sur un financement occulte supposé du PS français étaient en fait basées sur des faux. Le Monde reconnaîtra d’ailleurs avoir publié « des informations non vérifiées ». Bref, Denis Robert préfère choisir lui-même ceux auprès de qui il prend ses leçons de journalisme…

Ludovic FINEZ

(1) Dans un article paru sur son site internet le 19 juin 2006, Le Monde explique que l’« entourage » du Premier ministre justifiait ainsi la démarche : « On ne peut accepter que des ouvrages entiers consacrés à des constructions mettent en cause le premier ministre sans fondement ». La plainte concerne aussi Jean-Marie Pontaut et Gilles Gaetner, auteurs de Règlements de compte pour l’Elysée (Oh éditions).

(2) Pour contacter le comité de soutien : http://lesoutien.blogspot.com. Pour signer la pétition « Nous sommes tous des receleurs » : www.tousdesreceleurs.com.

(3) Le texte est consultable sur le blog www.ladominationdumonde.blogspot.com, à la date du 22 novembre.


 

 

 

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