Entre les journalistes et les militaires, l’officier de presse - 11 juin 2004

Mardi 8 juin, le Club accueillait Georges Neyrac, officier de presse dans l’armée de Terre, pour parler des relations entre armée et journalistes sur les terrains de conflits. Une discussion qui s’est engagée autour de son livre, où il témoigne de son expérience récente en Afghanistan.

« Nous sommes l’interface entre deux mondes ». Voilà comment le lieutenant-colonel Georges Neyrac définit son métier d’officier de presse. Basé à Lyon, il est chargé des relations avec la presse régionale, pour le sud-est de la France. Ponctuellement, il effectue des missions à l’étranger, en particulier là où des forces internationales sont déployées, pour assurer les relations avec la presse.

Ces dernières années, il s’est rendu en Bosnie, à Sarajevo, au Kosovo (expérience dont il avait tiré un premier livre, « Les Larmes du Kosovo »), en Afghanistan et en Côte-d’Ivoire dont il est rentré en janvier dernier. De sa mission en Afghanistan, il a tiré un deuxième livre (1), succession de portraits de journalistes rencontrés sur le terrain.

« J’ai voulu m’ériger contre la pensée unique, celle qui veut que si tout va mal, c’est à cause des journalistes », explique-t-il. Cet ouvrage se veut donc une réponse à la succession de livres critiques sur la presse et les journalistes, parus depuis deux ans.

De fait, Georges Neyrac les aime, ces journalistes reporters de guerre, envoyés spéciaux ou correspondants des médias internationaux. « La crème des journalistes », comme il les appelle, celle qui fait même rêver la profession.

Image positive de l’engagement des forces françaises

Même si l’armée française a eu dans ses rangs, de la Deuxième Guerre mondiale à l’Indochine, des photographes et des cinéastes, le souci d’une communication organisée est assez récent. La création du Sirpa ne date que de la fin des années 1960.

C’est en fait la guerre du Golfe, en 1991, qui a marqué un tournant. Le développement d’une information en direct et quasiment 24 heures sur 24 a fait réfléchir l’armée française.

L’armée américaine avait sa méthode et on a pu voir par la suite la grande part d’endoctrinement que comportaient les « informations » et les images qu’elle distribuait à la presse. Georges Neyrac n’a pas l’impression de faire son métier ainsi.

« Si on parle de manipulation, je pense sincèrement que ce n’est pas ce que nous faisons, confie-t-il. Nous n’avons pas pour but de donner une information pour faire changer l’opinion ou induire un journaliste en erreur. » Ce qui ne signifie pas que l’officier de presse dit tout ou que son action de communication n’est pas au service d’un message.

Sa mission reste de présenter une image positive de l’engagement des forces françaises. Quitte à organiser des « événements presse » et des déplacements. Exemples parmi d’autres : montrer des soldats occupés à construire une école ou en train de former les volontaires de l’armée afghane naissante.

Ne pas mettre en danger les hommes

Quant aux interdits, ils sont avant tout de ne pas mettre en danger les hommes et les infrastructures. Dans son livre, Georges Neyrac évoque ainsi ces « questions embarrassantes (posées par les journalistes, Ndlr) dont je détenais les réponses souvent incommunicables ».

En cas de doute, le contact se fait directement avec la hiérarchie à Paris, là où on peut se permettre d’avoir « une vision plus posée, du recul... ». « La chaîne de communication est très courte, commente-t-il. Je ne me suis jamais senti bridé. J’ai la possibilité de communiquer librement. »

Également présent lors de ce débat, le colonel Jackie Fouquereau est responsable de la cellule communication et relations publiques du Commandement de la Force d’Action Terrestre (CFAT) de Lille. Il a effectué des missions en Afghanistan, en Côte-d’Ivoire et dans les Balkans.

« Nous sommes transparents 98 % du temps, assure-t-il. Quand ce n’est pas transparent, c’est qu’il y a quelque chose sur lequel nous ne pouvons pas communiquer. » « Il n’y a pas de pire communication que le silence. Si vous ne communiquez pas, quelqu’un le fera à votre place », insiste Georges Neyrac. Ce qui sous-entend, parfois, de « faire passer l’idée auprès de nos chefs que l’on peut difficilement, aujourd’hui, se passer des journalistes. »

Le « off » à la marge

« Je pars du principe qu’il n’y a pas de ″off″, ou alors à la marge », continue Georges Neyrac, en évoquant cette pratique des confidences faites sous le sceau du secret. Ce qui n’exclut pas, dans des situations de crise, de retenir quelque temps l’information.

Jackie Fouquereau évoque ainsi l’explosion d’un bus de soldats allemands, en Afghanistan. Que dire et ne pas dire pour préserver les familles des militaires ? Que faire tant que l’on n’est pas sûr que des soldats d’autres contingents n’ont pas pris place dans le bus ? Tant que l’on n’est pas sûr du comptage ? Et comment réagir en cas de fuite ?

Jackie Fouquereau voit là l’illustration de la nécessité d’une relation suivie avec les journalistes. De connaître leur façon de travailler, de rendre visite aux équipes. Et également d’organiser chaque jour un point presse, même si le risque est… de n’avoir rien à dire.

Ce qui donne ceci, dans le livre de Georges Neyrac, racontant, en spectateur, son premier point presse à Kaboul, assuré par « un jeune capitaine de la Royal Air Force » : « Bienvenue au centre de presse de la Force internationale d’assistance et de sécurité de Kaboul. Nous sommes le 6 mai. La température devrait atteindre 32 °C en milieu de journée. Le vent devrait commencer à souffler en milieu d’après-midi pour devenir assez fort en début de soirée… L’effectif de la force présente à Kaboul est de 4 856 militaires représentant dix-neuf nations… Cette nuit encore, la situation a été calme en ville. Notre mission continue : elle consiste à porter assistance au gouvernement intérimaire mis en place par la conférence de Bonn et les décisions du Conseil de sécurité. Nos moyens militaires sont adaptés à ce mandat. Avez-vous des questions ? »

« L’information régionale dans un cul-de-sac »

Parfois, Georges Neyrac se fait observateur du paysage de la presse française. Son poste à Lyon lui donne un bon point de vue sur l’état des journaux régionaux. « On se trouve dans un cul-de-sac concernant l’information régionale. Il y a là une fonction à retrouver. Le journaliste doit être un agitateur et la presse quotidienne régionale a perdu son rôle critique. » Évoquant « l’info marchande », il estime que « l’avenir ne passe pas par les entreprises de presse » mais par les journalistes.

Le passage le plus mordant de son livre est d’ailleurs la description d’une soirée au Club de la Presse de Lyon, dont les participants et leurs employeurs ne sont pas épargnés. « Les journalistes rassemblés à cette occasion jouent à s’aimer, mais ils se détestent cordialement », écrit-il.

Un peu plus loin : « Ils sont aux ordres et dessinent malgré eux une espèce de basse-cour assez pitoyable, un mélange de caquetages stériles et de péroraisons serviles, conjugaison d’auto-suffisance et d’un nombrilisme dévastateurs. »

Avant de préciser : « Qu’ils se rassurent - s’il faut être rassuré ! -, la presse parisienne, la nationale, la grande, la renommée est dans le même état. » Un ton qui contraste fortement avec celui employé pour tirer les portraits des reporters de guerre. Assurément, Georges Neyrac s’est pris d’affection pour eux.

Ludovic FINEZ

Note :
(1) « Dépêches Kaboul », Georges Neyrac, Éditions Jacob-Duvernet. « Les Larmes du Kosovo », Éditions du Cerf. (Retour)


 

 

 

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