Entretien avec Jean-Marie Charon, sociologue des médias, sur la crise sanitaire

, par communication@clubdelapressehdf.fr

A l’occasion du déconfinement, Jean-Marie Charon, sociologue des médias, revient pour le Club de la presse sur le traitement de l’information sur la crise sanitaire, l’impact de la crise sur la presse, la mise en liquidation du quotidien Paris-Normandie et le placement en redressement judiciaire de Presstalis.

Comment analysez-vous le traitement de l’information sur cette crise sanitaire ?

Le traitement de la presse est multiple, selon la diversité des médias. Ce que j’en retiens de très positif c’est l’engagement des rédactions, notamment en PQR, au côté de leur public, et au-delà du corps social pour lui donner des clés de compréhensions sur la pandémie, en dégonflant nombre de fake news, tout en l’accompagnant, le conseillant dans la vie des confinés, y compris l’éducation à la maison, le télétravail, sans oublier le divertissement. Il me semble que le « journalisme de solution » a bien avancé chez certains, de même que des options et solutions éditoriales et techniques intéressantes (podcast, vidéo en live, robot de type Marianne à La Montagne, etc.). Le moins bon côté, c’est peut-être, pas toujours assez de pugnacité dans l’enquête, face à la communication officielle, nationale, mais aussi locale, sans parler des lobbies divers. Le plus négatif aura été cette redondance et cette inconsistance, pour ne pas dire plus, de l’information en continu et ses docteurs Diafoirus (médecin du Malade imaginaire, ndlr), version 2020.

La presse a-t-elle été fortement impactée par cette crise ?

La presse en général, tout médias confondus est lourdement impactée, en lien direct avec l’effondrement de la publicité. La presse écrite est soumise à double peine avec un impact plus grand sur la publicité, ce que l’on observe depuis plus d’une décennie, et une accélération du recul du lectorat (points de ventes fermés ou à horaires réduits, hésitation des acheteurs à braver le confinement et ses contraintes). Et puis il y a eu cette disparition de la matière même de l’information locale (vie associatives, événements de proximité, sports, spectacles, etc.). D’où la nécessité de redéployer les moyens journalistiques pour traiter la crise, sans préparation, en télétravail. Je crains beaucoup la fragilisation extrême de titres notamment en PQR et PHR.

Comment analysez-vous la mise en liquidation du quotidien Paris-Normandie ?

Paris-Normandie était en convalescence. Il restait beaucoup de travail à faire, en redéploiement numérique, en développement de l’abonnement numérique, en commercial, etc. La pandémie aura, complètement brisé la dynamique. Le propriétaire, industriel d’un tout autre secteur (palettes de bois), se retire brutalement, face à la dette qui se creuse (ressources publicitaires à -90%, ventes à -20%). Il est question de 2 millions d’Euro fin mai, voire 3 en juillet, qui viennent s’ajouter au 6 millions de l’ancien passif.

Qu’est-ce qu’illustre le placement en redressement judiciaire de Presstalis, premier distributeur de la presse française ?

En premier lieu, un effet mécanique du repli du chiffre d’affaire de la presse écrite, soit en gros un tiers sur une dizaine d’années. Ensuite, il y a la fragilisation de la presse magazine, après des décennies de prospérité, qui l’amène à dénoncer le soutien, de fait, aux quotidiens sur lequel repose le système depuis des décennies. Chacun pour soi, désormais. Il y a aussi des questions de gouvernance, d’organisation sociale. Et puis, une forme de non-dit plane sur le dossier, celui des contradictions inhérentes aux stratégies des éditeurs, avec l’importance que prend le numérique et plus généralement l’abonnement que celui soit numérique, porté ou postal, l’Etat dispersant l’aide dans chacune de ces directions (cf. mon article dans Alternatives économiques : « La faillite de Presstalis et les non-dits de la bataille des quotidiens et des magazines ».


 

 

 

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