Expos, concerts, événements…
Culture : quelle place pour le mécène ?

Les entreprises n’ont pas lieu d’être philanthropes. Elles sont pourtant associées à bien des événements culturels. Mécène, partenaire, sponsor, les implications peuvent être de nature différente selon l’objectif poursuivi, du soutien discret et désintéressé au plan de communication global. Comment les médias parlent-ils du mécénat dans le traitement de l’actualité culturelle ? Pour répondre à cette question, le Club de la Presse a organisé le 31 mars un débat hors les murs, à l’office culturel d’Arras.

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La presse, l’entreprise et la culture. Trois mondes qui se nourrissent l’un l’autre. Sans créateur, pas de spectacle. Sans information, pas de spectateurs. Sans moyens, pas de création.

Gaëtane Deljurie, administratrice du Club de la presse Nord - Pas de Calais et animatrice du débat, Michael Matton, journaliste pour la radio Planète FM et Catherine Genisson, Vice-présidente du Conseil régional Nord – Pas de Calais, chargée de la culture

Comment les journalistes choisissent-ils les spectacles qu’ils couvrent ? A chaque media son public, à chacun ses angles. Stéphane Dendauw, journaliste à l’Observateur de l’Arrageois, privilégie « le plus grand nombre », l’annonce de spectacles et d’expos. « Ce n’est pas toujours facile, on taxe souvent la culture d’élitiste ».

Pour Benoît Cailleretz, du magazine gratuit Arras en Places, « la culture doit être gratuite ». Au Journal des Entreprises, on insiste plus sur les intérêts du lectorat, composé de dirigeants de PME. Par exemple, pour répondre à des sujets comme « quel intérêt de se lancer dans des opérations de mécénat ? », rapporte Ségolène Mahias, responsable de l’édition du mensuel dans le Pas-de-Calais.

Quel est l’intérêt pour les entreprises de soutenir la culture ? Laurent Vitoux, directeur régional de France Telecom-Orange, distingue les projets soutenus par la Fondation Orange, désintéressés, des autres partenariats. « Dans les projets qui relèvent de la responsabilité de l’entreprise, l’objectif n’est pas de faire du business », indique-t-il, évoquant le soutien au chant choral ou l’équipement de salles de cinéma pour déficients auditifs. « Dans le cas de partenariats, on cible des projets qui correspondent à l’image du groupe : proximité, technologie, etc ».

La Caisse d’Epargne, dans la région, est aussi l’un des principaux partenaires culturels, qu’il s’agisse de « projets de proximité ou de grande envergure, comme le Louvre-Lens, Lille 3000 ou Béthune capitale régionale de la culture », explique Pierre Gorin, directeur de la communication de la Caisse d’Epargne Nord France Europe.

Outre la « mission philanthropique » de la banque (lutte contre l’illettrisme, aide à la création de micro-entreprises), celle-ci cherche à développer sa notoriété, notamment en matière culturelle. « Il faut toucher le client. Dans chaque opération, on organise des opérations de relations publiques, nous invitons des clients, et nous la déclinons en interne », explique Pierre Gorin, dont l’entreprise a participé, entre autres, à la rénovation du théâtre d’Arras.

Toucher des clients potentiels ne veut pas forcément dire faire des affaires immédiates, affirment Laurent Vitoux et Pierre Gorin. Ce dernier, ancien de chez Disney, rappelle d’ailleurs que, pour l’entreprise américaine, « un dollar investi devait en rapporter dix ».

« Mécénat, sponsoring, peu importe »

Si mécénat et partenariat correspondent à des définitions juridiques différentes, Pierre Gorin adopte un point de vue global, s’agissant de son activité. « Nous ne sommes ni mécène, ni sponsor, mais partenaire. Les subventions, c’est fini », explique-t-il. « Mécénat, sponsoring… Peu importe, l’essentiel, c’est l’argent que vous nous donnez », résume Yvan Offroy, directeur des festivals Piano folies du Touquet et de Piano d’Arras.

Pourtant, entre le soutien discret et l’opération de communication, les « partenaires » de la culture poursuivent des buts différents. Les grands événement, comme Lille 3000 ou actuellement, Béthune, capitale régionale de la culture, sont des occasions d’approcher les décideurs. Laurent Vitoux « ne (s’en) cache pas » : « la soirée de lancement (d’un événement) nous permet d’être en proximité avec le président de la Région, de l’agglo… Cela nous permet de leur parler hors du cadre de la réunion ».

« Dans ces cas-là, je décroche mon téléphone »

Faut-il parler du mécène quand on parle d’une expo ? Récemment invité à la conférence de presse de présentation d’une exposition, au Palais des beaux-Arts de Lille, en tant que mécène, Pierre Gorin s’est dit surpris de ne pas voir ses propos repris dans les articles publiés à la suite de cette présentation.

« Dans ces cas-là, je décroche mon téléphone et je demande au journaliste pourquoi il ne me cite pas : pourquoi citer le mécène dans certains cas et pas dans d’autres ? », interroge-t-il, estimant que dans chaque situation semblable, « le journaliste botte en touche ; quand il y a une notion d’argent, cela dérange le journaliste ».

« Quand Sébastien Loeb gagne une course, on n’interroge pas le patron de Red Bull (son sponsor, ndlr) », répond Stéphane Dendauw, de l’Observateur de l’Arrageois. Le journaliste « se place dans l’intérêt du lecteur », explique Ségolène Mahias. « J’ai travaillé en presse quotidienne régionale : la règle était de ne pas parler des financeurs. Au Journal des Entreprises, j’en parle, sous un angle qui intéresse nos lecteurs, des dirigeants d’entreprises. C’est simple ».

« Comment payer la culture à son juste prix ? »

Difficile constat pour les acteurs culturels : « comment répondre aux attentes des entreprises qui nous financent, susciter l’intérêt des journalistes et payer la culture à son juste prix ? Nous avons intérêt à travailler ensemble », estime Yvan Auffray.

Attention aux dérives, ont toutefois souligné plusieurs intervenants, dans le public. « Le mécénat n’est pas du sponsoring », affirme Viviane Dagory, du site loisirama.net. « S’il y a un retour, c’est du sponsoring, pas du mécénat », insiste-t-elle.

Joëlle Moncel, investie dans plusieurs projets associatifs et culturels dans le bassin minier, dans le Nord et le Pas-de-Calais, attire aussi l’attention sur les relations entre les collectivités et leurs délégataires (eau, transport, etc). « Que des entreprises délégataires des collectivités qui soutiennent le Louvre-Lens le financent pose la question du confit d’intérêts. Et cela peut échapper au citoyen. Je ne dis pas qu’elles ne doivent pas le faire, mais il faut de la clarté et de la déontologie  ».

« Dans le cadre de délégations de service public ou de partenariats public-privé, on ne peut pas s’empêcher de penser que des "deals" existent, admet Laurent Vitoux. Tu as le marché, mais tu finances le championnat de BMX ou l’équipe de foot du coin. Certains domaines sont plus sensibles que d’autres et il peut être difficile de ne pas franchir la ligne jaune ».

Pour éviter les « contreparties cachées », Laurent Vitoux plaide pour que chaque relation fasse l’objet d’une convention. « C’est du gagnant-gagnant », dit-il. Des structures ont fait d’autres choix, comme celui de refuser le soutien de certaines grandes entreprises.

« Le Louvre-Lens ne serait pas possible sans mécénat. C’est un fait. Mais le mécénat et le développement territorial ne sont pas forcément liés par des grandes opérations comme le Louvre-Lens », souligne Joëlle Moncel, qui imagine une autre forme de partenariat, qui associerait plusieurs PME autour d’un projet partagé, sur le long terme, à l’instar d’un projet de soutien aux arts plastiques dans le Hainaut, auquel elle a participé. Si les acteurs culturels manquent de fonds, ils ne manquent pas d’idées.

MH

Ségolène Mahias, responsable de l’édition du Pas-de-Calais du journal des entreprises, et Laurent Vitoux, directeur régional d’Orange – France télécom
Au micro : Pierre Gorin, directeur de la communication de la Caisse d’Épargne Nord France Europe,
Gérald Vairon, Président de l’Association Lens Louvre (A2L)
Parmi le public, Yvan Offroy, Directeur du festival "piano folies" du Touquet et de celui Piano d’Arras
Stéphane Dendauw, journaliste pour l’Observateur de l’Arrageois, Emilie Bigorne, représentant la Jeune chambre économique d’Arras et Benoit Cailleretz de l’association Arras en Places

Mais comment joindre les journalistes ?

Qu’il est difficile d’intéresser les journalistes ! C’est un point que déplorent les organisateurs et les partenaires des activités culturelles. Evoquant Béthune, capitale régionale de la culture, Catherine Génisson insiste sur l’importance accordée par l’événement à « la culture populaire ». Et la vice-présidente du conseil régional, chargée de la culture, de s’interroger : « comment faire avec vous, les journalistes, le lien entre l’œuvre de l’artiste et le citoyen ? Souvent, quand on parle de ça, on n’intéresse pas le journaliste »

Réagissant aux propos de plusieurs intervenants du public sur l’intérêt (ou le manque d’intérêt) des conférences de presse, Catherine Génisson sur la pertinence de ces rencontres, « qui permettent d’aller au-delà du dossier de presse ».

Bénévoles, les organisateurs de la Marche du Louvre Lens ont eux aussi bien du mal à contacter de manière efficace les journalistes. « Une fois, c’est un correspondant qui vient nous voir, une autre fois un stagiaire, puis un journaliste, déplore une dame. On ne tombe jamais sur la bonne personne. C’est comme s’il existait une culture à deux vitesses : celle organisée par des pros, avec le bon réseau, et les bénévoles, qui font avec les moyens du bord ».

Catherine Genisson, Vice-présidente du Conseil régional Nord – Pas de Calais, chargée de la culture

Notes

[1Le débat, qui s’est tenu le 31 mars à l’Office culturel d’Arras, réunissait Laurent Vitoux (directeur régional d’Orange – France télécom), Pierre Gorin (directeur de la communication de la Caisse d’Épargne Nord France Europe), Emilie Bigorne (Jeune chambre économique d’Arras), Catherine Genisson (vice-présidente du Conseil régional Nord – Pas de Calais) et les journalistes Stéphane Dendauw (l’Observateur de l’Arrageois), Ségolène Mahias (Le journal des entreprises Edition du Pas-de-Calais), Benoit Cailleretz (Arras en Places), Michael Matton (Radio Planète FM), ainsi que plusieurs représentants d’associations culturelles.


 

 

 

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