« France Soir » : un feuilleton qui ne finira jamais ? - 30 mars 2006

Mercredi 29 mars, le tribunal de commerce de Lille aurait dû rendre son délibéré concernant le sort de « France Soir ». Une fois de plus, la décision est reportée au 7 avril. Le tribunal s’est estimé « insuffisamment éclairé ». Aujourd’hui, tout le monde semble penser que c’est le plan d’Arcadi Gaydamak qui l’emportera. Malgré de sérieuses zones d’ombre, dues notamment à la personnalité de l’homme d’affaires…
Photo Gérard Rouy

Sur le quai de la gare Lille Flandres, la délégation du Moscow News attend son TGV pour Paris. Elle rejoindra la capitale russe le lendemain. Quelques minutes plus tôt, le tribunal de commerce de Lille, qui a hérité du dossier France Soir depuis fin janvier (lire notre article) a décidé, une fois de plus, de reporter sa décision au 7 avril. Le président du tribunal, Lionel Turlutte, a estimé que le tribunal était « insuffisamment éclairé » et a même annoncé une «  prorogation du délai de dépôt des offres » à la même date. Tout cela n’a pas l’air de contrarier Alexis Linetski, président du quotidien russe. « C’est une question de procédure, assure-t-il. Nous sommes les premiers intéressés à ce que les procédures suivent leurs cours. » « Pourquoi le tribunal s’estime mal informé ? », s’interroge de son côté Florence Grosjean, secrétaire (SNJ-CGT) du comité d’entreprise.

Les juges lillois auraient en fait voulu demander des précisions aux repreneurs potentiels du titre. Or, certains n’avaient pas fait le déplacement et n’étaient pas non plus représentés. Impossible, donc, de leur demander ces compléments de vive voix. C’était le cas d’Eric Fauveau et de Serge Faubert, respectivement ex-directeur général et rédacteur en chef de France Soir, ainsi que Jean-Raphaël Fernandez, patron d’un groupe agroalimentaire.

Après Prosper Amouyal, Jean-Pierre Brunois abandonne

Avant même ce mercredi 29 mars, l’homme d’affaires franco-algérien Prosper Amouyal, déjà repreneur de plusieurs affaires françaises en difficulté, avait jeté l’éponge. A l’issue de l’audience, Hubert Soland, l’avocat de l’homme d’affaires Jean-Pierre Brunois (associé au journaliste sportif Olivier Rey) a fait savoir aux salariés présents à Lille qu’à son tour, son client se « retire complètement ». « Ce sera Gaydamak ou la liquidation  », lance alors l’avocat dans la salle du tribunal. Car tous les yeux se tournent vers Arcadi Gaydamak, cet homme aux quatre nationalités (angolaise, canadienne, française et russe), propriétaire notamment du Moscow News et du club de football israélien Betar Jérusalem… et à la réputation sulfureuse. Il fait en effet l’objet d’un mandat d’arrêt en France émis par le juge Philippe Courroye, dans une affaire de vente d’armes de la Russie à l’Angola.

Pourtant, même les représentants des salariés venus à Lille, peut-être blasés après l’épisode Raymond Lakah (dont la réputation n’est pas non plus sans tache), veulent croire à cette solution. « Le projet de Faubert et Fauveau n’est pas ou peu financé », estime Florence Grosjean. Quant au groupe agroalimentaire de Jean-Raphaël Fernandez, elle n’en discerne même pas précisément les contours, le situant « quelque part du côté de Marseille ». Elle ne voit cependant rien d’étonnant à l’absence des intéressés, ce jour-là, à Lille. Pour elle, ils ont pu estimer de bonne foi qu’il s’agissait juste d’un délibéré et qu’ils n’étaient pas susceptibles d’apporter des précisions sur leurs offres. Son collègue Christian Gourdet, délégué syndical du Livre CGT et représentant des salariés dans la procédure, est plus sévère. « Ce n’est pas très sérieux… », juge-t-il.

« On peut supposer que l’actionnaire principal est le Moscow News »

Raymond Lakah, dont on ne sait plus trop s’il faut le désigner comme le propriétaire ou l’ex-propriétaire de France Soir, est là, lui aussi. Et il se félicite de la décision, prise par «  un tribunal courageux ». « Presse Alliance [la société éditrice de France Soir, NDLR] sera maintenue, les emplois sauvés et les créanciers payés  », assure-t-il. Ce qui demande une petite explication de texte. Arcadi Gaydamak annonce en effet depuis quelques semaines qu’il a déjà racheté France Soir à Raymond Lakah, avant même que le tribunal ne se prononce. Aujourd’hui - ce qui n’a pas toujours été le cas - Raymond Lakah approuve. « On peut supposer que l’actionnaire principal est le Moscow News », confie Christian Gourdet, qui n’a cependant jamais eu sous les yeux le moindre document lui prouvant la chose. En tout cas, « le tribunal ne les a pas déclarés irrecevables ».

Plan de continuation ou plan de reprise ?

Arcadi Gaydamak, qui se dit le nouveau propriétaire, présente donc son projet comme un plan de continuation et non de reprise. « Notre position a toujours été le maintien d’un maximum d’emplois  », commente pour sa part Florence Grosjean. Et comme la solution Gaydamak a été présentée au personnel comme la seule qui permettrait de sauvegarder les 120 emplois… Sur ce point précis, Daniel Koupsin, PDG du Moscow News, nous a tenu un discours plus prudent : « Je ne suis pas prêt à faire de commentaire concernant le personnel  ». Quant au projet éditorial, il évoque un France Soir présentant un « large éventail de sujets politiques et sociaux  », un journal « qui parle de toutes les choses importantes en France et dans le monde ». « Cela ne doit pas être ce que l’on appelle en Russie une "presse jaune" [une presse de caniveau, NDLR]. On ne veut pas ça », ajoute-t-il.

Selon Christian Gourdet, la trésorerie de France Soir vit sur ses dernières réserves. Le Moscow News aurait versé sur un compte deux millions d’euros, pour faire face aux premières dépenses une fois les fonds du journal épuisés. Et pour le contenu du futur quotidien ? «  Nous avons demandé à rencontrer rapidement le nouvel actionnaire pour avoir des précisions sur le projet éditorial  », explique le délégué du Livre CGT. Pour lui, « ce qu’il faut à ce journal, c’est une ligne, ce que France Soir ne fait plus depuis des décennies. Il faut une vraie identité, qu’elle soit de droite ou de gauche. Aujourd’hui, ça change tous les jours ».

« Dans une cellule avec des menottes »

Certes, « la personnalité du repreneur » n’enchante pas le syndicaliste. « On préférerait un mec clean, concède-t-il, mais on ne choisit pas son patron… » Arcadi Gaydamak ne peut toujours pas se rendre en France, ni pour défendre son dossier devant le tribunal ni pour diriger « son » journal. A moins de risquer de se faire «  enfermer dans une cellule avec des menottes », comme il le dit lui-même dans une interview au Monde (dans l’édition du jeudi 30 mars).

« C’est très provisoire et ça va être réglé très rapidement », nous explique fermement Alexis Linetski, pour qui cette situation, de toute façon, « n’empêche nullement d’être propriétaire du journal et de le développer. Le rachat de [France Soir], c’est une preuve qu’il reviendra en France. » « Je voudrais rappeler que M. Gaydamak a été décoré par les plus hautes autorités françaises  », conclut-il perfidement, faisant allusion à la médaille du Mérite que lui a décernée Jacques Chirac en 1996...

Ludovic FINEZ


 

 

 

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