Hervé Ghesquière au Club de la presse
« Il faut parler des otages ! »

Dans la région pour présenter le livre qui raconte sa détention en Afghanistan, « 547 jours », le journaliste Hervé Ghesquière s’est d’abord arrêté au Club de la presse, ce vendredi 28 septembre. Professionnalisme à toute épreuve, convictions profondes sur le métier, indépendance d’esprit et franc-parler. Loin de l’avoir affaibli, l’épreuve de la captivité a renforcé sa conception du journalisme : comprendre, faire comprendre, décrypter.

Hervé Ghesquière présente son livre "547 jours" au Club de la presse Nord - Pas de Calais (photo G. Rouy)

Chacun réagit en fonction de ce qu’il ressent. Si Stéphane Taponier ne souhaite pas écrire sur cette période (« ce n’est pas son truc »), Hervé Ghesquière en avait un besoin impérieux. Les deux journalistes ont été enlevés le 29 décembre 2010, dans la Kapisa, en Afghanistan, en compagnie de leurs trois accompagnateurs afghans, Mohamed Reza, Satar et Gulan. Ils resteront en captivité durant 547 jours, la plupart du temps séparés. Seul le fixeur Mohamed Reza, parce qu’il est traducteur, restera avec eux.

Le poison de la suspicion

« Un livre de plus d’un ex-otage sur sa mésaventure ?  » Hervé Ghesquière n’est pas dupe. D’ailleurs, lors de leur retour en France, les commentaires fielleux n’ont pas manqué. Comme ils n’avaient pas manqué durant leur détention. « Mouais… Il ne reste plus qu’à écrire un bouquin, ce qui est en cours je paris [sic], pour rentabiliser l’affaire » écrivait par exemple, le 8 juillet 2011, un internaute sur notre forum.

Ce livre existe, précisément. Mais il n’est pas tout à fait comme les autres. « Pour un tiers, il porte sur la polémique qui a prévalu durant les trois premiers mois de notre captivité. Les deux autres tiers raconte une aventure humaine  » souligne Hervé Ghesquière. La polémique, c’est celle qui consistait à accuser l’équipe de France 2 de s’être aventurée imprudemment sur cette route de la Kapisa après avoir passé plusieurs semaines en compagnie de l’armée française. A l’époque, le général Georgelin, chef d’Etat major des armées, avait estimé publiquement que les premières recherches pour retrouver les otages avaient déjà coûté 10 millions d’euros à la France. Plus tard, le secrétaire général de l’Elysée, Claude Guéant dénonçait une «  imprudence coupable » des journalistes.

L’auteur de « 547 jours » parle de « polémique historique ». Aujourd’hui, il en est fermement convaincu, ces propos ne sont pas venus par hasard dans la bouche de ces responsable. La source ne peut être que Jackie Fouquereau, chargé de la communication et des relations avec la presse pour l’armée de terre, en Afghanistan. A son retour en France, le journaliste de France 2 a rencontré et interviewé la plupart des protagonistes, à commencer par le président de la République, Nicolas Sarkozy.

« La polémique ? C’était nous reprocher de faire notre métier ! »

Tous ont répondu Un seul a refusé : Jackie Fouquereau. Interrogé par une consœur des Echos du Touquet Hervé Ghesquière "dérape un peu" en qualifiant le militaire de « lâche ». « Je voulais parler de son attitude sur ce point précis », dit-il. Mais il assume. « Au fond, tout ce que l’on nous reprochait, c’était de faire notre métier. D’ailleurs, la polémique s’est dégonflée au bout de trois mois. » Reste que, aujourd’hui, Jackie Fouquereau poursuit le journaliste en diffamation pour ces propos tenus dans l’hebdomadaire local. Rendez-vous au tribunal de Boulogne-sur-Mer le 9 octobre.

Autre point polémique : fallait-il parler des otages ou se taire pour laisser les autorités compétentes agir dans la discrétion ? Pour Hervé Ghesquière, la réponse est claire : « Il faut parler. Car les otages vont revenir. Et lorsqu’ils sont captifs, pour une durée qu’ils ne connaissent pas, ils ne souhaitent qu’une chose : c’est que l’on parle d’eux ».

Information ou communication ?

Reste une question de fond : comment et dans quelles conditions exerce-t-on le métier de journaliste aujourd’hui ? Encore une fois, Hervé Ghesquière nous invite à la lucidité. « En Afghanistan, ce sont les talibans qui nous empêchent de travailler. Ce n’est pas l’armée. Mais, comme dans tous les domaines de l’information, les journalistes sont de plus en plus incités à confondre information et communication.  »

Une preuve ? « Comment peut-on faire un reportage en Afghanistan où l’on ne parlerait que du contingent français mais où l’on ignorerait les Afghans ? Sur mes fiches de paie, il est indiqué « journaliste ». Je ne travaille pas pour l’armée de terre. Je veux faire mon métier ».
D’une manière plus générale, le journalisme est marqué par la culture du off. Il ne faut pas griller ses sources. Patrick Chêne, chez LCP, le dit bien quand il explique que le plus intéressant
[lors d’un plateau télé avec un invité], c’est ce qui se passe dans la salle de maquillage ! »

Alors oui, défend-il avec acharnement : les journalistes doivent se battre pour faire de l’information, pour faire leur métier. Il a intégré l’équipe d’ « Envoyé spécial », sur France 2, pour cette raison. « Je veux comprendre, faire comprendre et décrypter l’information. En prenant le temps de le faire, sur des formats longs ». Fera-t-il encore des reportages de guerre ? Il avoue que l’épreuve des 547 jours de captivité lui donne un regard un peu différent. « Je ne suis pas pan-pan, boum-boum. Si cela m’a fait monter l’adrénaline après mes études en journalisme, aujourd’hui, je préfère comprendre et expliquer, travailler sur le fond. En d’autre terme, l’idéal est de pouvoir parler d’un conflit pas seulement pendant, mais aussi avant (c’est notre rôle d’avoir du pif) et après. Quant à savoir si je retournerai [sur des terrains de conflits], oui c’est sûr. »

Philippe Allienne

« 547 jour ». Ed. Albin Michel

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Mots choisis

« Nicolas Sarkozy, personnage complexe par ailleurs, demandait le silence [sur notre détention – ndlr]. Mais il a fait le job. Sur le terrain, cela changeait tout le temps. Mais le travail pour obtenir notre libération était réel. Sarkozy n’en a pas fait moins que les autres. »

« Quand on revendique une carte de presse et que l’on a un bureau à l’Elysée avec quatre collaborateurs, c’est tout sauf crédible. Je me demande comment Hollande peut laisser faire ! »

« Avez-vous vu, depuis un an, un reportage sur les troupes françaises en Kapisa ? Il n’y en a plus depuis un an, c’est-à-dire depuis que Patricia Lemonière a été blessée, en septembre 2011. Nous n’obtenons plus d’autorisation de tournage pour cette région précise. Cela pose un vrai problème pour l’information. »

« France Télévisions a dû gérer deux crises. Notre prise en otages et la mort de Gilles Jacquier, en juin dernier, en Syrie. Depuis, on envoie les reporters au compte-gouttes. »

« Mon credo, ce n’est pas le pan-pan, boum-boum. C’est d’aller vers des sujets longs et approfondis ».


 

 

 

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