L’ESJ Lille cherche à intégrer d’autres profils - juin 2006

Le projet de « tutorat » de l’Ecole supérieure de journalisme (ESJ) de Lille vise à faciliter l’accès au métier à des publics d’habitude peu représentés dans les rangs de l’école. Il a été présenté récemment, à l’occasion de la journée Initiative Presse. L’occasion également de réflexions sur la présence de la presse dans les collèges et lycées.

Photo Gérard Rouy : Daniel Deloit, directeur général de l’ESJ.

« Je suis très intéressée par les métiers du journalisme. J’ai des petites facilités en français. J’y pense depuis deux ou trois ans. J’aimerais informer les gens. C’est peut-être prétentieux mais je pense que je suis faite pour ça. » Fatima est en classe de troisième au collège Van Der Meersch de Roubaix, où elle prend part à la rédaction de Jeunesse, le journal interne récemment créé. Peut-être une future candidate au concours d’entrée à l’Ecole Supérieure de Journalisme (ESJ) de Lille. Le 18 mai dernier, elle faisait partie des quelque 200 collégiens et lycéens de la métropole lilloise à participer à la Journée Initiative presse, dans les locaux de l’ESJ, rue Gauthier-de-Châtillon (lire l’encadré).

« Je pensais qu’on trouvait du travail immédiatement, quand on avait le diplôme [de journalisme]  », poursuit Fatima. Parce qu’elle s’est intéressée à la question, elle sait aujourd’hui que ce n’est pas le cas : « Forcément, ça me fait un peu peur mais ça ne remet pas en cause mon envie. » Fatima a participé au concours de « unes imaginaires » organisé à l’occasion d’Initiative Presse. C’est aussi cette journée qu’avait choisie la direction de l’ESJ pour dévoiler son projet de « tutorat » (1).

« Le principe d’égalité n’est pas respecté »

« Le métier de journaliste est ouvert à tous mais tous n’y parviennent pas », pose en préambule Daniel Deloit, directeur général de l’ESJ. « En dehors de la passion, de l’appétence pour ce métier, des postures nécessaires, de l’état d’esprit, etc., la majorité [des candidats] n’y arriveront pas car il existe deux éléments discriminants : la langue et la culture générale, continue-t-il. Ce sont deux éléments de fonds générés par l’environnement familial et social et l’école.  » Et s’il fallait être plus clair : « [L’Ecole [l’ESJ, NDLR] se doit de tendre au principe d’égalité. Or ce principe n’est pas respecté à l’Ecole de Lille.  »

D’où l’idée de détecter dans les lycées de la région, dans les classes de première et de terminale, des élèves qui pourraient faire de bons journalistes d’ici quelques années. Ces derniers seraient ensuite suivis par des « parrains  », élèves à l’ESJ ou anciens diplômés. Au rythme de deux rencontres pas an, le parrain suivrait le parcours de son « filleul », vérifierait comment il a suivi l’actualité récente, etc. « Les anciens pourront les éclairer sur la vie en entreprise  », ajoute Daniel Deloit. Cet accompagnement se doublerait d’un service de formation à distance (sur des questionnaires d’actualité, par exemple) et d’un concours blanc pour préparer cette rude barrière à l’entrée.

Coup de pouce financier avec les « bourses de vie »

La sélection (20 à 30 lycéens) se fera sur dossier parmi les établissements de la région. Le Conseil régional du Nord-Pas-de-Calais pourrait décider d’octroyer aux lycéens ainsi « détectés », qui réussiraient ensuite le concours d’entrée, des « bourses de vie » (2). Celles-ci iraient au-delà des 3.500 euros de frais de scolarité demandés par l’ESJ. De son côté, l’école de journalisme distribue déjà une vingtaine de bourses par an, allant de 1.500 à 4.000 euros.

« Cela s’adresse à ceux qui ont de réelles difficultés liées à leur origine et leur milieu social », insiste le directeur de l’ESJ, qui s’est plongé dans les statistiques de l’école. Sur les cinq dernières années, l’ESJ n’a compté parmi ses étudiants que 1,5% de fils et filles d’ouvriers. « Et je ne parle pas de la représentativité des diversités », note-t-il. Plus de 50% sont des enfants de cadres supérieurs. L’entrée est théoriquement possible au niveau bac+2. En réalité, les étudiants qui entrent à l’ESJ ont suivi en moyenne 4,4 années d’études après le bac. Plus de la moitié d’entre eux provient de la « filière » Sciences Po. « Ils sont tous excellents mais cet ensemble n’est pas représentatif de la société », insiste Daniel Deloit.

Pas de « discrimination positive »

Le directeur de l’ESJ réfute pour autant le terme de « discrimination positive ». Les lycéens ainsi retenus devront en effet passer le concours d’entrée, qui restera le même pour tous. Combien seront-ils à finalement intégrer l’école de journalisme ? Impossible à dire. « Peut-être 10%  », se hasarde Frédéric Baillot, responsable du projet « tutorat » à l’ESJ. La réflexion de Daniel Deloit englobe également « la notion de culture générale », telle qu’elle est présente au concours d’entrée de l’école. « Bien entendu, elle est liée à un socle de connaissances communes, notamment dispensées par l’école  », analyse-t-il, mais «  tout est culture. Si on ne prend pas en compte, dans le concours, les cultures d’origine [des candidats], cela ne peut pas coller.  »

Ludovic FINEZ

(1) Daniel Deloit avait déjà eu l’occasion de nous en dire quelques mots lors de la visite qu’il avait faite au Club, le 16 janvier dernier (lire l’article).

(2) Confrontée à une trésorerie un peu juste et aux besoins liés à son développement, l’ESJ a par ailleurs sollicité l’aide de la Région. L’ESJ a notamment un projet de fondation, autour des médias et de la citoyenneté, qui regrouperait acteurs de la presse, entreprises et collectivités. Le budget prévisionnel de cette fondation est de 1,2 million d’euros. Dans son édition du 7 juin 2006, « La Voix du Nord » précise que l’aide accordée par le Conseil régional s’élève à 578.433 euros, que celle-ci doit aider « à constituer un fonds de roulement » et « aussi permettre la création d’un centre d’enseignement à distance, de locaux pédagogiques et d’une bibliothèque-documentation ».


La presse dans les collèges et lycées

A l’origine de la Journée Initiative Presse organisée le 18 mai à l’ESJ (1)

, on trouve l’Association pour le développement de l’emploi par les métiers nouveaux (Ademn). En général identifiée aux gilets orange des agents de médiation que l’on croise dans le métro lillois, l’Ademn a en fait d’autres activités. Elle compte ainsi un réseau d’une trentaine de correspondants éducatifs dans une vingtaine de collèges et lycées de la métropole lilloise. « L’enjeu est de développer l’accompagnement des élèves pour la réussite scolaire et la citoyenneté au sens large », résume Caroline Le Dantec, directrice générale de l’association, qui compte 300 salariés.

Entre autres activités, ces correspondants s’investissent dans la création de journaux réalisés par les collégiens et lycéens. Steve Farley est un de ces correspondants. Basé au collège Louise-Michel (Lille Sud), il a lancé avec les élèves News Michel. « Les filles étaient les plus intéressées  », remarque-t-il. « Je suis impressionné par leur demande.  » Son « objectif prioritaire  » est de « les faire lire  » et de les faire travailler sur «  la langue française  ».

« Kiosques en Nord-Pas-de-Calais »

L’association a d’autres projets en lien avec la présence de la presse à l’école. « Nous travaillons pour monter ce que l’on appelle les kiosques en Nord-Pas-de-Calais, pour développer des abonnements à des supports [de presse] pluralistes [nationaux et régionaux, NDLR] dans les écoles [avec la participation du Conseil régional, NDLR]. » « Il y a une vraie question de citoyenneté derrière  », commente la directrice générale de l’Ademn, qui rappelle que les collégiens et lycéens sont « souvent dans une actualité immédiate : la télé, les blogs…  »

Au-delà de la présence de journaux dans les CDI (centres de documentation et d’information), l’idée est en effet de les utiliser comme «  un véritable support pédagogique ». Une telle expérience a été menée dans la région Aquitaine, mais elle ne concernait que les lycées. Si le Nord-Pas-de-Calais a vu disparaître de nombreux titres de presse, la région connaît encore un certain pluralisme, en particulier dans la presse hebdomadaire. Au-delà de l’aspect pédagogique et citoyen, une telle opération permettra peut-être aux jeunes de le découvrir.

L. F.

(1) Plusieurs partenaires ont pris part à cette journée : le Conseil régional, la ville de Lille, « La Voix du Nord », l’IUP Infocom de l’Université de Lille 3, l’Acédémie de Lille, le Centre de liaison de l’enseignement et des médias d’information (Clemi), Réseau ESJ (association des anciens de l’école), Gaz de France et a fondation La Mondiale. La journée comprenait également plusieurs débats, notamment sur l’utilisation de la presse comme outil pédagogique.


 

 

 

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