L’Huma : retour aux sources cent ans après (28 avril 2004)

Le quotidien fondé par Jean Jaurès fête ses cent ans. Parmi les événements organisés à cette occasion, une série de débats, dont le prochain aura lieu à l’ESJ de Lille, le 6 mai (1). Le 26 avril, Patrick Le Hyaric, directeur du journal, était au bar du Club. Retour sur cent ans de combats, des pires aux meilleurs.

« Le titre même de ce journal, en son ampleur, marque exactement ce que notre parti se propose. C’est, en effet, à la réalisation de l’humanité que travaillent tous les socialistes. » Le 18 avril 1904, Jean Jaurès titre son éditorial « Notre but », dans le premier numéro de L’Humanité.

Sur deux colonnes à la une, le directeur politique du « journal socialiste quotidien », vendu 5 centimes, explique qu’il veut relayer « toutes les communications où se manifestera la vie ouvrière ; et nous seconderons de notre mieux tous les efforts de groupement syndical et coopératif du prolétariat ».

L’édito de Jaurès voisine, notamment, avec un article sur la grève des ouvriers du textile, à Lille, signé Albert Thomas (« Par télégramme de notre envoyé spécial ») et un autre sur les déboires de la Russie dans sa guerre contre le Japon.

Si L’Humanité se réclame de l’« union » de « tous les socialistes » et de « tous les prolétaires », pointe déjà dans le texte du député socialiste (2) les divergences qui aboutiront, au congrès de Tours de décembre 1920 (3), à la scission du parti entre socialistes (au sein de la SFIO, Section Française de l’Internationale Ouvrière) et communistes (au sein de la SFIC, Section Française de l’Internationale Communiste, devenue Parti communiste).

Jaurès parle des « deux fractions socialistes » (les uns « révolutionnaires », les autres « réformistes »), servant « la même cause » mais « sous des formules diverses dont quelques-unes nous paraissent surannées et par conséquent dangereuses ».

« Un projet de transformation sociale »

Cent ans et bien des péripéties plus tard, c’est de l’esprit « jaurésien » que se réclame Patrick Le Hyaric, qui a quitté en 2000 l’hebdomadaire communiste La Terre pour prendre la direction du quotidien. Invité le 26 avril au bar du Club, il est revenu sur la ligne éditoriale de ce qui n’est plus, depuis 1994, le « journal du PCF ».

« Jaurès voulait fédérer les socialistes, c’est-à-dire la gauche de l’époque. Nous restons sur des enjeux tels que celui-là, toujours d’actualité. On peut en ajouter d’autres, comme son combat pour la République sociale. » « Je ne dirige pas un journal du PC, insiste-t-il. C’est un journal communiste ou des communismes, un journal qui a vocation à fédérer un ensemble d’opinions et de mouvements qui cherchent à construire un projet de transformation sociale. »

L’histoire de L’Humanité est loin d’être un long fleuve tranquille. D’une cinquantaine de milliers d’exemplaires le premier jour, le tirage plonge et dès 1905, Jaurès se demande si son journal (qui, par choix d’indépendance, ne publie aucune publicité) ne va pas disparaître. Il trouvera les fonds nécessaires notamment auprès de la famille Dreyfus et de la banque Rotschild.

Le journal connaîtra d’autres crises économiques. En 1929, il manque ne pas se relever de la faillite de la Banque Ouvrière et Paysanne. C’est à cette époque que Marcel Cachin (directeur du journal de 1918 à 1958) lance les Comités de Défense de L’Humanité (CDH), qui joueront un rôle important dans la distribution militante du quotidien.

Les années 1970 seront également difficiles à passer, ainsi que le début de siècle suivant. « La plus grave crise, dont nous ne sommes pas sortis, loin de là, est celle de fin 2000 », relève Patrick Le Hyaric. À l’époque, le journal cumule des pertes de 7,6 millions d’euros. Un plan social supprime 80 postes (sur un total de 250), dont 25 à la rédaction.

Surprise : des entreprises privées, dont TF1, la Caisse d’Épargne et Hachette, entrent au capital, au travers de L’Humanité Investissement Pluralisme, qui détient 20 % des parts.

Le reste est partagé entre la Société des lectrices et lecteurs de l’Humanité (20 %), la Société des personnels de l’Humanité (10 %), la Société des Amis de l’Humanité (9,3 %) et des actionnaires individuels (40,7 %).

Le quotidien réoriente également sa ligne éditoriale, pour en faire « un journal indépendant ancré dans la réalité sociale » selon la formule de son directeur.

Pas de correspondant dans la région

Aujourd’hui, la rédaction de L’Humanité compte 58 journalistes permanents, dont quatre correspondants en régions, et imprime chaque jour une édition de 24 pages (44 pages le samedi pour L’Humanité Hebdo).

En 2003, le quotidien a été un des rares à voir ses ventes augmenter : plus 4,5 % avec une moyenne de 48 000 exemplaires par jour. C’est encore en dessous des 50 000 enregistrés en 2000.

L’Huma garde de toute façon une santé très fragile, avec 3,7 millions d’euros de pertes sur deux ans. Le journal n’a ainsi pas de correspondant dans le Nord - Pas de Calais (« Nous n’en avons pas les moyens », explique Patrick Le Hyaric), une région qui alimente pourtant, malheureusement, la chronique sociale.

« L’enjeu principal est de pouvoir embaucher et d’augmenter la pagination », confie le directeur du journal. Il fixe les besoins immédiats à quatre pages supplémentaires par jour et à une dizaine de recrutements.

En cent ans, L’Huma a aussi été confrontée à des difficultés d’un autre genre. C’est d’abord, évidemment, l’assassinat de son directeur, le 31 juillet 1914. Abattu par Raoul Villain au café du Croissant, Jean Jaurès a payé de sa vie ses positions pacifistes.

C’est également l’interdiction de parution de la presse communiste (les quotidiens nationaux L’Humanité et Ce Soir, ainsi qu’une cinquantaine de titres en province), en août 1939, quelques jours après le pacte germano-soviétique et quelques semaines avant la dissolution du Parti communiste. L’Humanité publiera 317 numéros clandestins avant de reparaître normalement en août 1944.

C’est aussi la censure exercée par le pouvoir gaulliste sur les articles traitant des « événements » en Algérie.

« Journal socialiste », « journal communiste », « organe central »…

Se pencher sur l’histoire de L’Humanité c’est aussi, évidemment, rappeler ses liens avec le Parti socialiste, dans un premier temps, puis avec le Parti communiste. A sa création, L’Huma comporte en une la mention « journal socialiste quotidien ». En avril 1911, il devient le quotidien du Parti socialiste, sans que la SFIO n’en devienne propriétaire. Jaurès est désormais assisté par un conseil d’administration et de direction, où sont représentées les grandes tendances du mouvement socialiste.

Après le congrès de Tours de décembre 1920, L’Humanité devient « journal communiste », puis, en février 1923, « organe central du Parti communiste (SFIC) ». La faucille et le marteau font leur apparition en une. Après le 28e congrès du PCF, en février 1994, le quotidien est désigné comme « journal du PCF » avant de redevenir « journal communiste » en mars 1999. Aujourd’hui, la une ne comporte plus aucune mention de la sorte et la faucille et le marteau ont été rangés au placard.

Ces relations parfois incestueuses entre un parti politique et un journal ont donné lieu à certaines orientations rédactionnelles plus que contestables. « L’Humanité est resté longtemps un organe de communication politique, commente Patrick Le Hyaric. Cela l’a conduit dans des ornières. L’Huma a mené les plus beaux combats mais a aussi soutenu le pire. Cela lui a aussi fait perdre des lecteurs et des journalistes. »

De ce point de vue, la façon dont est traitée la mort de Staline est symptomatique des aveuglements du journal. Le 4 mars 1953, il titre : « Deuil pour tous les peuples qui expriment dans le recueillement, leur immense amour pour le grand Staline ». Idem pour la mort de Mao Tse-Toung, en septembre 1976 : « L’une des plus grandes figures de l’Histoire disparaît ».

Même malaise devant l’appui apporté, en novembre 1956, à l’arrivée des chars soviétiques à Budapest. Quelques jours plus tard, le rédacteur en chef du journal, André Stil, signe un reportage titré : « Budapest recommence à sourire malgré ses blessures ».

Mais, à côté de cela, L’Huma c’est aussi une série de luttes contre tous les fascismes, contre le colonialisme, du Maroc à l’Algérie en passant par l’Indochine, pour la paix, la justice sociale, etc.

Sauver le pluralisme

Parmi les combats du moment, il y a aussi celui pour le pluralisme de la presse. « Il y a une bataille à mener », estime Patrick Le Hyaric, pour sauver les titres en difficulté.

L’Huma a lancé une « pétition pour le pluralisme » (4), qui demande notamment aux pouvoirs publics d’« empêcher toute augmentation des tarifs postaux de la presse », d’« améliorer la distribution matinale postale » et « d’augmenter les aides publiques aux quotidiens d’information générale, notamment ceux à faibles ressources publicitaires ».

La pétition demande également des mesures pour « favoriser la lecture de la presse par les jeunes » (dans les lycées, les universités…) et « créer un dispositif d’aide aux personnes qui s’abonnent à des journaux quotidiens ».

Avec 24 pages pour 1,20 euro, Patrick Le Hyaric reconnaît que son journal est cher, en particulier pour les jeunes. Il estime d’ailleurs que c’est le cas pour la presse française en général. Selon lui, de telles aides permettraient de revoir les tarifs et d’attirer de nouveaux lecteurs.

En revanche, quand on le questionne sur la qualité et le contenu de la presse française, qui influe aussi sur l’importance du lectorat, Patrick Le Hyaric se fait plus discret : « Ce n’est pas mon rôle de donner des leçons sur le contenu et sur la façon de faire des journaux. » « Si la presse devient un simple produit, on va vers une uniformisation, malheureusement, admet-il cependant. Certains jours, tous les journaux titrent sur les mêmes sujets. »

Mais pour lui, qualité et moyens financiers sont étroitement liés : « Moins les journaux seront en bonne santé, moins il y aura d’audace. (…) Pour mener des enquêtes fouillées, il faut des journalistes que l’on paye au tarif. » Avant d’avouer que, par manque de moyens, « moi, pour mon équipe de journalistes, je ne respecte pas les tarifs des conventions... »

Ludovic FINEZ

Notes :

(1) Agora de L’Humanité, jeudi 6 mai à 19h00, à l’ESJ de Lille, sur le thème : « Liberté, pluralisme de l’information, citoyenneté ». Voir le programme détaillé dans notre rubrique « agenda ». Retour

(2) Jaurès a été député républicain de 1885 à 1889, puis député socialiste, de 1893 à 1898 et de 1902 à sa mort, en 1914. Retour

(3) Il s’agissait alors de se prononcer pour ou contre l’adhésion à la IIIe Internationale communiste et, par conséquent, de se rallier ou non à Lénine. Retour

(4) Elle peut être signée sur le site internet du journal www.humanite.fr. Retour


 

 

 

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