La discrimination à la télévision - Editorial de la Lettre du Club 64 - novembre 2004

L’État et la direction régionale du Fonds d’action et de soutien pour l’intégration et la lutte contre les discriminations (Fasild), viennent d’évaluer le chemin parcouru en matière de lutte contre les discriminations. Cette évaluation vient après une campagne lancée dans le Nord - Pas de Calais en juin 2003.

Les acteurs sont partis du constat suivant : la discrimination raciale (c’est bien de ce type de ségrégation qu’il s’agit) est une réalité. Elle se reproduit et s’aggrave. Les causes en sont multiples et les actions engagées pour la combattre trouvent vite leurs limites quand elles ne débouchent pas sur des effets pervers.

Pourquoi évoquer cette campagne ici ? C’est que les métiers du journalisme ne sont certainement pas épargnés. Même si les esprits et les pratiques commencent à évoluer, le paysage médiatique français ne ressemble pas à la société multiculturelle telle qu’elle existe.

Cela est encore plus vrai pour la télévision, et notamment les grandes chaînes hertziennes. Ce n’est pas pour rien que celles-ci ont été pointées du doigt par le collectif Égalité qui dénonçait la trop faible représentation des minorités visibles à l’antenne. Certes, en demandant l’instauration d’une politique de quotas, ce collectif apportait une mauvaise réponse à une bonne question.

Pas plus que la discrimination positive prônée aujourd’hui par des hommes d’État comme Nicolas Sarkozy, les quotas n’apporteraient une solution. « Cela ne ferait que jeter le discrédit sur des personnes qui ont travaillé dur pour faire ce métier », plaide Vincent N’Guyen, grand reporter à France 2.

En 2000, Marie-France Malonga, doctorante à l’Institut français de presse (Paris) a réalisé une étude, à la demande du CSA, sur la présence et la représentation des minorités visibles à la télévision. Dans une interview qu’elle a accordée l’an dernier à L’Actu des Médias, le magasine électronique de l’IUT de journalisme de Bordeaux, elle se souvient des réactions des directeurs de chaînes.

Dans un premier temps, explique-t-elle, « ils affirmaient n’avoir aucun problème de discrimination ». Puis, une fois l’étude parue, ils se sont mis à vouloir recruter des Noirs, des Maghrébins et des Asiatiques. « C’est donc qu’il y avait bien un problème », constate la chercheuse.

On a donc vu apparaître davantage de présentateurs et des chroniqueurs « de couleur » dans des émissions de divertissement. Beaucoup moins dans les émissions d’information. Le drame est que, pour la plupart d’entre eux, la carrière s’est avérée éphémère, comme si l’on avait voulu satisfaire à un effet de mode.

Pour Marie-France Malonga, les chaînes se retranchent souvent derrière l’argument fallacieux qui consiste à anticiper les réactions du public. « Un Noir à l’antenne ferait chuter l’audimat », disait le producteur Gérard Lanvin.

En fait, le public servirait de caution à des responsables qui n’assument pas leurs propres opinions. « Le racisme n’est pas généralisé sur les chaînes, mais il existe », affirme l’auteur de l’étude. « On sait que l’on coupe du Noir à l’antenne. Des monteurs et des journalistes s’autocensurent et des pratiques discriminatoires sont imposées aux employés. »

S’exprimant également dans L’Actu des Médias, Patrick Fandio, grand reporter à TF1, y voit lui aussi une « vraie frilosité, voire une indifférence coupable ». À quand un Noir ou un Arabe à la place de PPDA ou Patrick Pujadas ? « Il y a des gens intelligents qui font des programmes intelligents et qui, un jour, se rendront compte qu’il existe une grosse tranche de la population, en France, qui ne se reconnaît pas dans les animateurs ou dans ce qu’on leur propose dans les émissions. Sans vouloir s’enfermer dans des critères de représentativité, c’est vrai qu’un peu plus de visibilité [à la télévision] ne ferait pas de mal à la société en général ».

Pourquoi ne pas prendre en charge cette question en lançant un débat au sein des chaînes et, peut-être, en créant une structure spécifique chargée de veiller à cette représentativité de la société ? En tout cas, quatre ans après la remise de l’étude de Marie-France Malonga, le collectif Égalité est entré dans une longue phase de silence. Et le CSA ne suit plus le dossier.

Philippe ALLIENNE


 

 

 

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