La presse libre et indépendante en débat à Arras

Quatre jours avant le vote de la loi dite « sur le renseignement », à l’Assemblée nationale, le 14ème salon du livre d’expression populaire et de critique sociale, à Arras, débattait de la presse libre. Avec quatre représentants de journaux d’opinion ou d’investigation : Maurice Ulrich, éditorialiste à l’Humanité, Edwy Plénel, président de Médiapart, Denis Sieffert, directeur de Politis, et Franck Jakubek, directeur de Liberté Hebdo. Un débat animé par le Club de la presse.

de gauche à droite : Maurice Ulrich, Edwy Plénel, Franck Jakubek, Denis Sieffert. Le débat était animé par Philippe Allienne, du Club de la presse. – Photo Gérard Rouy

Il y a 70 ans, le programme du Conseil national de la résistance voulait faire la part belle à «  la liberté de la presse, à son honneur et à son indépendance à l’égard de l’État, des puissances d’agent et des influences étrangères ». Il s’agissait alors de développer une presse au service du public et de la citoyenneté et tourner le dos aux dérives d’avant-guerre.

On sait qu’aujourd’hui, les ordonnances de 1945 et la volonté alors affichée ont pris de sérieux coups. Les difficultés financières liées aux coûts de fabrication et de diffusion, à la rareté de la publicité, à la diminution des lecteurs, aux aides publiques mal réparties, mènent les journaux imprimés vers un avenir souvent sombre. Localement, nous pouvons le constater avec un titre comme « Liberté Hebdo » qui vient de réduire son effectif de manière drastique et qui se bat solitairement dans une spécialité qui se réduit en peau de chagrin : la presse d’opinion. « Nous sommes libres, mais dans quelles limites ? », s’interroge son directeur, Franc Jakubek.

Le 1er mai, Liberté Hebdo a lancé un appel à souscription auprès du public. Pour soutenir ce journal d’opinion mais aussi pour ne pas laisser l’information sociale orpheline. « En 1992, lorsque le quotidien « Liberté » a disparu, rappelle Franck Jakubek, la grève des dockers de Dunkerque a soudain perdu une grande part de son écho. »

Le quotidien créé par Jean Jaurès nage lui aussi dans les difficultés. Une récente souscription a rapporté 1,4 million d’euros. « Cela peut sembler beaucoup, souligne Maurice Ulrich. Mais au regard du coût de la presse, c’est très relatif  ». Alors, sachant ces difficultés qui s’apparentent à une véritable violence (le mot a été prononcé lors du débat), pourquoi continuer à se battre pour une presse libre et indépendante ?

« Ce n’est pas pour que les journalistes se fassent plaisir à la faveur d’un éditorial, en se faisant donneurs de leçons et en se plaçant au-dessus de la mêlée, assure Maurice Ulrich. Ce n’est pas pour nous-même. D’ailleurs, l’Humanité n’est pas un journal porteur d’une idéologie. Nous sommes plutôt un média qui a vocation à déconstruire l’idéologie telle qu’elle ne se dit pas ! » Le journaliste de l’Huma veut ainsi parler de ce traitement consensuel de l’information qui gomme l’essentiel de la réalité, qui évite les vraies questions. «  Par exemple, illustre-t-il, lorsque Claire Chazal parlait du ‘Printemps égyptien’ dans le 20h de TF1, elle annonçait que, « depuis 15 jours, les manifestations avaient déjà fait 200 morts ». «  Faux, corrige Maurice Ulrich. Ce ne sont pas les manifestations qui ont tué, c’est la répression !  »

Et que dire de ces « marronniers » d’été où l’on s’extasie devant la chaleur des plages, et où l’on envoie des journalistes interroger des saisonniers thaïlandais sur la météo ! « J’aurais aimé savoir comme ces Thailandais sont arrivés là, comment ils sont payés, quelles sont leurs conditions de travail !  » s’exclame le journaliste.

Edwy Plénel dit à peu près la même chose lorsqu’il s’agit d’aborder le tournant du numérique. Pour le responsable du pure player Médiapart, si les quatre fondateurs s’étaient contentés d’additionner leurs blogs, l’aventure se serait arrêtée là. « Le numérique, dit-il, ne doit pas être synonyme d’immédiateté et de superficialité. Il doit permettre d’écrire des articles plus documentés, davantage enrichis, de faire du journalisme plus durable et moins formaté.  » A condition, bien sûr, de se monter vigilant et de considérer que l’information est indispensable à la démocratie. Rien à voir avec les industriels qui achètent des journaux pour s’offrir un moyen de s’acheter de l’influence.


 

 

 

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