Editorial

Le blanc des yeux du G.I - La lettre du Club, n°52 - mars-avril 2003

La recommandation que le CSA a adressée aux radios et télévisions qui couvrent la guerre en Irak ferait sourire si le contexte n’était aussi lourd. A contrario, l’évidence de son propos est inquiétante.

Il appelle notamment l’attention des opérateurs sur la nécessité "de vérifier l’exactitude des informations diffusées ou, en cas d’incertitude, de les présenter au conditionnel et d’en citer la source et la date".

Il demande aussi de "procéder, en cas d’informations inexactes, à leur rectification dans les meilleurs délais et dans des conditions d’exposition comparables".

Au moins, pour le conditionnel, les téléspectateurs sont-ils servis. On ne sait pas, mais on dit quand même avec toutes les précautions d’usage. La manière dont on a annoncé une rébellion à Bassora est un modèle du genre.

Présentée au conditionnel, en s’appuyant sur des sources londoniennes, démentie le lendemain puis ramenée à une manifestation "beaucoup plus modeste" que ce qui avait été dit, cette information a surtout souffert d’une absence de source sur les lieux. Mais en l’occurrence, le conditionnel n’a pas empêché de polariser l’attention du public sur un événement hypothétique.

Du reste, les informations qui se révèlent fausses ou non vérifiées, se sont accumulées dès le début de l’intervention américaine. Petit florilège : "Tarek Aziz a fait défection". En fait, il a donné deux conférences de presse peu après cette annonce.

"Les forces spéciales américaines sont déjà dans Bagdad". L’information n’a pas été confirmée. "Les Turcs ont pénétré dans le nord de l’Irak". L’information n’a pas été vérifiée. "Les Américains ont découvert une usine d’armes chimiques". Mais cette découverte a été démentie par le Pentagone. "8 000 soldats irakiens prisonniers". Le temps d’un week-end, ils n’étaient plus que 3 000, voire 2 000.

Mais revenons au CSA. Ce dernier recommande encore de "veiller à ce qu’il ne soit pas fait une exploitation complaisante de documents difficilement supportables" et "de ne pas diffuser de documents contraires aux stipulations de la convention de Genève sur les prisonniers de guerre".

Avec son cynisme habituel, l’administration Bush ne s’est elle-même pas gênée pour rappeler cette convention dès lors que des images de prisonniers américains ont été montrées.

Et comme le souligne Daniel Schneidermann dans "Le Monde", c’est seulement à ce moment là "que les journalistes de télévision -et le CSA- réalisèrent comme un seul homme que l’on avait diffusé les jours précédents, sans le moindre scrupule, les images tout aussi dégradantes de prisonniers irakiens".

Peut-on croire que la télévision a pris les leçons de la guerre de 1991 ? Peut-être faudrait-il poser la question autrement : la télévision -et les autres médias- ont-ils les moyens de tenir compte des dérives de 1991 ?

Quand l’armée américaine incite les journalistes à porter l’uniforme et à les accompagner, on peut raisonnablement en douter. "Vous verrez le GI dans le blanc des yeux" a dit un officier à une journaliste de France Inter.

Justement, on imagine qu’ensuite, il est difficile d’interviewer sereinement le pilote (dont on connaît le blanc des yeux) qui a largué une bombe sur un marché. Dès lors, le risque de raconter la guerre du point de vue anglo-américain est grand. Les propagandistes de Washington l’on bien compris.

Philippe ALLIENNE


 

 

 

La Vie du Club

ESPACE PRESSE