Le portrait de Jill Carroll décroché de la façade du Club de la Presse - janvier/mars 2006 La prise d’otages de Jill Caroll

Après l’annonce, jeudi, de la libération de Jill Carroll, le Club de la presse a retiré, le vendredi 31 mars, le portrait de la journaliste américaine de sa façade.

Cette collaboratrice du « Christian Science Monitor » avait été enlevée en Irak le 7 janvier, alors qu’elle s’apprêtait à interviewer le leader d’un parti islamique. Le chauffeur de sa voiture avait été retrouvé mort d’une balle dans la tête. L’enlèvement avait été revendiqué par un groupe qui se faisait appeler « Brigades de la vengeance ». Plusieurs ultimatums avaient été lancés et des vidéos diffusées, où apparaissait la journaliste, pour demander la libération des détenues irakiennes. Selon les premiers commentaires, sa connaissance de l’Irak et de la langue a sûrement permis à la journaliste d’échanger avec ses ravisseurs.

En France, la mobilisation autour de son sort aura été bien faible. En accrochant son portrait, le 6 février, le Club de la presse du Nord - Pas de Calais avait voulu dénoncer, une fois encore, la prise en otage des journalistes et symboliser la lutte pour la liberté d’expression partout dans le monde. Ce portrait côtoyait ceux d’Ingrid Bétancourt et de Mohamed Benchicou, directeur du quotidien algérien « Le Matin », emprisonné depuis le 14 juin 2004. Nous avions annoncé que ces photos géantes seraient décrochées après la libération des intéressés. Celui de Jill Carroll a donc été retiré ce midi. il en subsiste désormais deux...

On notera que le centre américain de l’Association mondiale des écrivains Pen International, à Londres, vient de décerner le prix « Barbara Goldsmith Freedom to Write » pour l’année 2006 à Mohamed Benchicou.

Photo : EP Club de la Presse NPDC

Liberté pour Ingrid Bétancourt, Jill Carroll et Mohamed Benchicou

Ingrid Bétancourt, otage des FARC depuis presque quatre ans, Jill Carroll, journaliste américaine enlevée en Irak le 7 janvier, Mohamed Benchicou, directeur du quotidien algérien « Le Matin », emprisonné depuis juin 2004. Ces trois portraits affichés sur la façade du Club de la Presse, depuis lundi 6 février, symbolisent notre mobilisation pour la liberté d’expression.
Photos Gérard Rouy

« Le temps fait que l’opinion publique oublie. Il faut donc y revenir tout le temps. » Voilà comment Bernard Despierre explique pourquoi le Comité de soutien à Ingrid Bétancourt et Clara Rojas, dont il est un des représentants dans le Nord, continue encore et toujours à se mobiliser. L’approche du triste quatrième anniversaire de la détention des deux femmes rend les actions encore plus symboliques. Ingrid Bétancourt et Clara Rojas sont otages des Forces armées révolutionnaire de Colombie (FARC) depuis février 2002, quelque part dans la jungle colombienne. C’était alors la campagne pour les élections présidentielles colombiennes, auxquelles Ingrid Bétancourt était candidate. Elle se rendait avec son assistante à une réunion électorale dans un petit village, dans la zone contrôlée par les FARC.

Pour le Club, une suite logique aux mobilisations antérieures

Depuis lundi 6 février, le portrait d’Ingrid Bétancourt orne la façade du Club de la Presse et il y restera jusqu’à sa libération. De même pour les photos de Mohamed Benchicou, directeur du quotidien algérien Le Matin, emprisonné depuis juin 2004 et Jill Carroll, la journaliste américaine enlevée en Irak le 7 janvier. Au-delà de ces cas emblématiques, le Club a voulu faire de cette initiative une manifestation contre les entraves à la liberté d’expression. C’est aussi une suite logique aux différentes manifestations organisées par le Club, ces dernières années, pour demander la libération des journalistes qui avaient été enlevés en Irak.

Et il faut bien constater que le sort de Jill Carroll, journaliste « free-lance » qui écrit notamment pour le Christian Science Monitor, n’a pas entraîné en France la mobilisation que l’on a connue autour du sort de Christian Chesnot, Georges Malbrunot et Florence Aubenas. Le gouvernement américain lui-même entretient une grande discrétion autour de ce dossier. Dans un premier temps, le Christian Science Monitor non plus n’avait pas souhaité communiquer sur le sort de la journaliste. Aujourd’hui, les choses sont un peu différentes et Peter Ford, représentant du journal à Paris, a apporté son soutien à l’initiative du Club (1).

Dérives et manipulation

De gauche à droite : Bernard Despierre, représentant le Comité de soutien à Ingrid Bétancourt, Corinne Chan-Mane, du Consulat des Etats-Unis, Ouassila Lafri, qui a lu un texte de Mohamed Benchicou, et Philippe Allienne, président du Club.

De son côté, le président du Club, Philippe Allienne, élargit le propos, voyant dans les violences qui ont accompagné la publication dans la presse de caricatures de Mahomet le « [même] esprit » et les « [mêmes] méthodes » que dans l’enlèvement de la journaliste américaine. A savoir celles de « l’islamisme - puisque c’est de cette dérive politico-perverse de l’islam que l’on parle ici ». « Ceux qui retiennent Jill Carroll en otage sont finalement les mêmes que ceux qui tiennent les propos que l’on sait, à propos des caricatures, et qui manipulent les gens de confession musulmane », estime-t-il.

Dérive encore dans le sort réservé aux journalistes algériens par le pouvoir en place, auteur de graves atteintes à la liberté d’expression. Ainsi, 18 journalistes ont été condamnés l’année dernière pour avoir publié des articles dénonçant différents scandales. Invité à plusieurs reprises au Club, le rédacteur en chef du Matin, Youssef Rezzoug, a déjà eu l’occasion d’expliquer que derrière des accusations de « diffamation » se cache en fait une volonté de voir disparaître ces « enquêtes sur des malversations financières, sur des proches du président, des ministres, des potentats… » Il y a quelques jours encore, Bachir Larabi, correspondant à El Bayadh (sud-ouest d’Alger) du journal arabophone El Khabar, en faisait les frais, pour avoir révélé une affaire de malversation.

Au Maroc et en Tunisie aussi

Le portrait de Mohamed Benchicou affiché sur la façade du Club symbolise bien sûr le sort de tous ses confrères algériens mais, au-delà, les atteintes à la liberté d’expression perpétrées au Maroc et en Tunisie. Au Maroc, le code de la presse prévoit des peines de prison. Après avoir diffusé des caricatures du roi, le journaliste Ali Lmrabet a ainsi été emprisonné, son journal interdit de diffusion, avant d’écoper lui-même d’une « interdiction d’écriture » de dix ans... En Tunisie, on se souvient de la mascarade du Salon mondial sur la société de l’information, en novembre dernier. Les cas de journalistes malmenés, voire agressés, ont eu un certain retentissement, du fait qu’ils travaillaient pour des médias étrangers. Ils ont aussi été l’occasion de mettre un coup de projecteur sur la situation des journalistes tunisiens dans l’exercice au quotidien de leur profession.

Ludovic FINEZ

(1) Seul correspondant du journal en Europe, Peter Ford n’a pas pu faire le déplacement à Lille le 6 février. Le Consulat des Etats-Unis à Lille était pour sa part représenté par Corinne Chan-Mane.

Soirées et motion de soutien

Les initiatives se multiplient pour entretenir la mobilisation autour du sort d’Ingrid Bétancourt et de Clara Rojas. De nombreuses manifestations auront lieu à travers la France et en Belgique, le 23 février, jour du quatrième anniversaire de l’enlèvement des deux femmes. Avant même cela, vendredi 10 février, sera inaugurée au théâtre municipal de Saint-Amand-les-Eaux une exposition photos de portraits de femmes (visible jusqu’au 31 mars), signés Magali Delporte. Le même jour, aura lieu une rencontre-conférence sur les otages colombiens. Jeudi 23 février, à la Maison de la Nature et de l’Environnement de Lille (MNE, 23, rue Gosselet), une soirée organisée par le Comité de soutien avec l’appui de la ville prévoit un concert de musique d’Amérique latine, des séances de photos pour la campagne de soutien « Libertad ! » et la projection du DVD « Les otages en Colombie ». A Boulogne-sur-Mer, des enfants dessineront un « Ingrid » géant sur la plage, avant le départ d’un cortège musical, un rassemblement de la population devant un portrait d’Ingrid Bétancourt et un concert le soir (1).

« Une atteinte flagrante et intolérable aux libertés fondamentales »

Autre initiative : depuis lundi 6 février, la façade de l’opéra de Lille s’est ornée de deux calicots. Quelques heures plus tard, les élus du conseil municipal de Lille votaient à l’unanimité une motion de soutien à Ingrid Bétancourt. Le texte soumis aux élus évoque « une atteinte flagrante et intolérable aux libertés fondamentales ainsi qu’aux droits de l’Homme » et « une entrave au débat démocratique en Colombie ». « Ingrid Bétancourt mène un combat en faveur de l’instauration d’une société plus juste en Colombie, contre la corruption et pour la défense des plus pauvres », est-il également écrit.

(1) Des manifestations auront également lieu à Louvain, Bruxelles et Charleroi. Programme complet sur : www.betancourt.info

Jill Carroll, otage depuis sept semaines
Ultimatum et trop faible mobilisation

Alors qu’une troisième vidéo de Jill Carroll, retenue en otage en Irak depuis le 7 janvier, a été diffusée (cette fois par la télévision koweïtienne privée Al Raï), les ravisseurs menaçaient d’exécuter leur otage si leurs exigences n’étaient pas satisfaites. L’ultimatum courait jusqu’à ce dimanche 26 février. Depuis, on est sans nouvelle de Jill Carroll. Selon la chaîne koweitienne, les exigences du groupe terrroriste auraient été "transmises aux autorités" mais elles n’ont pas été rendues publiques. Contrairement à ce qui s’était passé pour les otages européens, la mobilisation des médias et du public est inexistante.
Photo : Delphine Minoui - The Christian Science Monitor.

Un premier ultimatum avait été fixé au 20 janvier. La télévision Al Jazira avait diffusé deux vidéos (sans le son) les 17 et 30 janvier. Dans le document présenté par la chaîne koweitienne, on peut entendre notre consœur américaine : "Je suis là. Je vais bien. S’il vous plaît, faites vraiment ce qu’ils veulent, donnez-leur tout ce qu’ils veulent le plus vite possible". Jill Carroll ajoute qu’il reste "très peu de temps". "S’il vous plaît, faite-le vite. C’est tout".

"Revendications spécifiques"

Selon le directeur de cette chaîne, Jassem Boudai, qui évoque des « sources proches des ravisseurs », la journaliste serait détenue "dans une maison sûre appartenant à un des ravisseurs dans le centre de Bagdad avec un groupe de femmes". Le groupe qui se fait appeler « Brigades de la vengeance » aurait des revendications plus spécifiques que lors du premier ultimatum, lorsqu’il réclamait la libération de toutes les détenues des prisons irakiennes.

Sept semaines après l’enlèvement de Jill Carroll, on ne peut que constater le peu d’intérêt que celui-ci suscite. L’association « Reporter sans frontière » s’en émeut. Elle a fait le tour des principales rédactions parisiennes afin d’attirer leur attention sur le sort de l’otage. Son secrétaire général, Robert Ménard estime que les autorités américaines demeurent beaucoup trop discrètes. Il affirme que la « mobilisation de l’Etat et des services secrets d’un côté, [et la] mobilisation populaire de l’autre » sont les deux conditions indispensables pour obtenir la libération d’un otage. RSF rappelle d’autre part que deux journalistes irakiens ont également été enlevés et sont toujours détenus : Rim Zeid et Marouane Khazaal.

Désintérêt

En France, on est loin également de la sensibilisation et de la mobilisation de la presse et du public tels qu’on les a connues pour Christian Chesnot, Georges Malbrunot et Florence Aubenas. On peut d’autant plus le regretter que la liberté d’informer (et donc la liberté de circuler et de travailler pour les journalistes) est une revendication et une valeur universelle. Il est autant essentiel de soutenir les otages que de dénoncer leurs ravisseurs.

Philippe Allienne

RAPPEL DES FAITS :

Des vidéos comme "signes de vie"

Jill Carroll est apparue pour la deuxième fois, le 30 janvier, sur une vidéo diffusée par la chaîne Al-Jazira, installée au Qatar. La journaliste américaine est apparue en pleurs et le visage voilé. Ses propos n’ont pas été diffusés mais selon le commentaire de la chaîne, celle-ci appelait à la libération des détenues irakiennes.

Cette vidéo, qui aurait été tournée le 28 janvier, est le premier signe de vie depuis l’expiration de l’ultimatum, qui avait été fixée au 20 janvier par ses ravisseurs, un groupe qui se fait appeler les « Brigades de la vengeance ».Ils réclament la libération des prisonnières en Irak. Leurs revendications ont été transmises mardi 17 janvier et une vidéo muette d’une durée de vingt secondes, montrant leur otage, avait été diffusée, déjà par la chaîne Al Jazira.

Jill Carroll, enlevée le 7 janvier

La journaliste américaine Jill Carroll (28 ans) a été enlevée par un groupe armé, le 7 janvier, à l’ouest de Bagdad. Son interprète irakien, Allan Enwiyah a été retrouvé sur les lieux de l’enlèvement, tué de deux balles dans la tête, selon les forces de l’ordre. Il avait 32 ans.

Journaliste free-lance, Jill Carroll travaille en Irak depuis octobre 2003. Depuis février 2005, elle était missionnée par le journal « The Christian Science Monitor ». Sa voiture a été attaquée à quelques centaines de mètres du bureau de Adnan Al Dulaimi, un dirigeant politique sunnite avec qui elle avait rendez-vous pour réaliser une interview.

31ème rapt de journaliste

« J’ai vu surgir un groupe, comme s’il tombait du ciel », raconte le chauffeur de la journaliste qui est sorti indemne de cette attaque. Un type a bondi en face de moi, la main gauche levée et un pistolet dans la main droite en criant : stop !, stop !, stop ! »

Toujours selon ce témoignage, après avoir éjecté le chauffeur du véhicule, les kidnappeurs ont pris place à bord et se sont enfuis, emmenant Jill Carroll et Allan Enwiyah.

Jill Carroll est la 31ème journaliste enlevée en Irak depuis le début de la guerre. Cinq otages, dont quatre Irakiens et l’Italien Enzo Baldoni, ont été exécutés. Avant de collaborer pour « The Christian Science Monitor », elle avait écrit, dès 2003, pour l’agence de presse italienne ANSA, le « San Francisco Chronicle » et d’autres journaux américains. Elle est décrite comme une très bonne reporter qui ne prend pas de risques inutiles.

Soutien du Club de la presse et affichage d’un portrait

Comme il l’a été pour Christian Chesnot, Georges Malbrunot, Mohamed Al Joundi, en 2004, Florence Aubenas, Hussein Hanoun al-Saadi, Giuliana Sgrena, Marie-Jeanne Ion, Sorin Miscoci, Eduard Ohanesian et tous les journalistes enlevés en Irak, le Club de la presse du Nord - Pas de Calais apporte son soutien à notre consœur.

Son portrait a été affiché sur la façade de notre siège, 17, rue de Courtrai, à Lille. Il restera accroché jusqu’à sa libération.

Jusqu’au 10 janvier, la direction de « The Christian Science Monitor » avait demandé la discrétion autour de cet enlèvement, espérant une issue rapide et heureuse pour sa collaboratrice. Le journal a finalement ses réserves.

Nous savons, depuis les actions initiées en 2004, que la mobilisation publique et la médiatisation des enlèvements sont bénéfiques à deux titres : elles encouragent le moral des otages, lorsque l’information leur parvient ; elles donnent à réfléchir aux ravisseurs.

Philippe Allienne


 

 

 

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