« Les entendre dire qu’ils ont été touchés et émus, c’est la plus belle des récompenses »

En janvier 2010, lorsque les ouvriers de la raffinerie Total se mettent en grève suite à des rumeurs persistantes de fermeture, Stéphane Dubromel n’hésite pas un instant. Le lendemain matin, le photo-journaliste est sur place. Il suivra les réunions, les piquets de grève, les manifestations et les barbecues tout au long des dix mois que durera la lutte. La MJC de Rosendaël accueille son exposition jusqu’au 9 mars. Interview.

Comment est venue l’initiative de suivre le mouvement suite à la fermeture de la raffinerie Total à Dunkerque ?

Ca m’est venu après avoir suivi les ouvriers de Continental, à Clairoix, dans la banlieue de Compiègne. J’ai un intérêt marqué à suivre les questions du travail et de la lutte sociale, c’est quelque chose qui m’intéresse. Je regardais ce qui se passait du côté d’Opel Anvers (janvier 2010). Et la nouvelle de la fermeture de la raffinerie des Flandres est tombée. Le lendemain, j’y étais. C’est le premier photoreportage que je réalise avec une touche très personnelle. Je voulais tester des choses et me détacher du photojournalisme traditionnel. D’où l’exploration de la plasticité des images. Travailler les contrastes et les couleurs d’une image ne change pas le sens. Si l’image est bonne à la prise de vue, elle ne sera que meilleure retouchée. Cela s’est toujours fait.

Est-ce que certaines de ces photos sont parues dans la presse ?

Les photos ont été publiées sur DailyNord.fr ainsi que sur Bakchich.info. Que du bénévolat... Mais des publications de qualité. La presse papier n’en a pas voulu mais je n’ai pas trop cherché non plus.

Quelle implication ce travail a demandé ?

Une implication TOTAL. Plus sérieusement, c’est un travail classique de suivi de dossier. Chose que l’on ne fait plus vraiment dans les médias les plus courants. Cela coûte cher, prend du temps, ne suscite pas non plus l’intérêt des rédac’chefs blasés. Du coup, on peut le faire lorsque l’on est indépendant et un peu dingue pour y passer du temps. Je précise que je n’ai pas vécu en permanence avec les grévistes. Je rentrais chez moi tous les soirs. Mais je restais plus longtemps, je regardais, j’écoutais. Un travail de journaliste, tout simplement. Parfois, faut arrêter de poser des questions convenues dont on connaît par avance la réponse pour écouter ce que les gens ont à dire. C’est ma démarche. On vient sur place, on papote, on mange un sandwich merguez avec les gars, on plaisante sur le sticker Continental encore collé sur mon sac photo (ça crée des liens), et ça roule comme ça. Faut pas jouer le faux jeu de dire "je suis comme vous". On est journaliste, on ne sera jamais à la place d’un raffineur en grève. Alors il faut tirer profit de cette distance et raconter l’histoire telle qu’on la voit. Sans distorsion ou parti pris vaseux. Et pour aller à Paris, et bien on prend le bus avec les grévistes. Ils s’habituent à ta présence, tu mémorises les têtes. Tu réduis les coûts aussi. Tu donnes quelques photos. Du rapport humain, tout simplement.

C’est ta première exposition. Comment ça s’est déroulé ?

Première expo, plutôt réussie grâce au soutien et au courage de la MJC Rosendaël qui a reçu quelques coups de fil dissuasifs par rapport à ce sujet. Mais ils n’ont pas lâché. Sinon, tout s’est passé de manière idyllique. Ça devrait toujours être comme ça. On s’est vu, ils m’ont demandé ce que je voulais, tout mes souhaits ont été exaucés. C’est pas beau, ça ? La nouvelle petite équipe se bouge beaucoup pour que la MJC devienne un lieu de référence de la photo en région. Ils accordent beaucoup de place au sens de la photo dans le monde (d’où cette expo), et c’est très important. On a fait une soirée expo-ciné avec le Studio43 (une première pour la MJC) qui s’est très bien passée. Beaucoup d’échanges, de débats, entre le public, moi, et des syndicalistes de Total. Et entendre ces mecs te féliciter pour ce travail, les entendre dire qu’ils ont été touchés et émus, c’est la plus belle des récompenses. Les mecs de Sud m’ont demandé si je ne pouvais pas leur offrir le portrait de Jean-Luc (le portrait du flyer) pour le mettre dans leur local. Je trouve cela formidable. Ce sont de beaux moments de journalisme. Y’a pas de tricherie.

Après on va essayer de faire tourner l’expo. Et puis peut-être retravailler avec la MJC. Exposer permet de montrer ton travail lorsque la presse n’y arrive plus. Et on touche un autre public également. C’est important. Apparemment il y a eu beaucoup de familles qui sont venues la semaine après le vernissage, probablement des gens concernés, en tout cas un public que la MJC n’a pas l’habitude de voir. C’est bien.

Quels sont tes projets ?

Un boulot sur la sclérose en plaques. J’en ai fait un diaporama sonore. Je poursuis ce travail et aimerais en faire un bouquin. Encore un travail de suivi... Je travaille aussi sur un sujet sur les frontières françaises avec Nicolas Montard, co-fondateur de DailyNord.fr. Je viens de signer avec l’agence Light Motiv, c’est un plus en terme de distribution. Je vais pouvoir produire plus (ce qui ne veut pas dire vendre plus). Ils aiment l’image qui reste, et moi aussi. Cela devrait bien se passer. Eric Le Brun et Nadége Fagoo sont de véritables artistes à l’écoute des photographes. C’est très important pour moi d’avoir la confiance des gens, cela me motive.

Et sinon, j’aimerais aussi trouver des travaux « alimentaires ». Pourquoi pas reprendre la plume pour des travaux de communication (NDLR : Stéphane Dubromel a été journaliste rédacteur). Parce que produire des sujets demande du temps et de l’argent. Si personne ne le fait, il y aura dans quelques années un vide documentaire sur notre époque qui se résumera à du people et quelques photos de conférences de presse. Ce serait dommage. L’argent, toujours l’argent... Mais bon, faut garder la foi, et y croire. Sinon on arrête.

GD

« Total : une fermeture et des hommes », dans le cadre des Rencontres photographiques de Dunkerque, visible jusqu’au 9 mars à la MJC de Rosendaël Château Coquelle, rue de Belfort à Dunkerque. 14h-19h du mardi au jeudi, 9h-12h et de 14h-19h du mercredi au vendredi, 14h-17h le samedi. Tél : 03 28 63 99 91. mjcrosendael yahoo.fr


 

 

 

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