Les hôtes lillois du président azerbaïdjanais évoqueront-ils la liberté d’expression ? (février 2007)

A l’occasion de la venue à Lille ce mercredi 31 décembre du président d’Azerbaïdjan, Ilham Aliev, le Club de la presse Nord-Pas de Calais a diffusé un communiqué pour « réclame[r] le respect de la liberté et de l’indépendance des journalistes et des médias dans ce pays ». Ces dernières semaines, Amnesty International et Reporters sans frontières (RSF), entre autres, ont eu l’occasion de dénoncer de graves atteintes à la liberté d’expression dans ce pays.

« Les journalistes ont uniquement le droit d’exprimer les opinions conformes aux directives du gouvernement. Toute personne qui ose critiquer les autorités ou faire état du problème endémique de la corruption dans le pays met son avenir en danger […]. » Le commentaire date du 24 janvier dernier et émane de Laurence Broers, spécialiste de l’Azerbaïdjan à Amnesty International (1). L’organisation vient en effet de publier un rapport portant sur « l’espace de plus en plus réduit pour la liberté d’expression » dans ce pays. Amnesty International explique qu’ « avec une constance alarmante, ce sont les journalistes associés à l’opposition [au gouvernement azerbaïdjanais, NDLR] qui sont les victimes d’agressions physiques […]. Avec la même persistance, des médias indépendants qui ne mâchaient pas leurs mots ont été accusés de violer des règles administratives, et dans certains cas leurs activités professionnelles ont été immédiatement et arbitrairement suspendues sans aucun recours possible. » Laurence Broers évoque même des « meurtres de journalistes [commis] en toute impunité [qui] ont un effet dévastateur sur la société civile et sur l’ensemble des personnes concernées par les droits humains. Pour mettre fin au climat actuel de peur et d’autocensure, il faut que ces agressions fassent l’objet d’enquêtes concluantes et que les personnes soupçonnées d’en être responsables soient déférées à la justice. »

Agression au couteau

Rapportant quelques cas concrets, Amnesty International parle ainsi de « Nicat Hüseynov, journaliste travaillant pour le journal d’opposition Azadliq, attaqué [le 25 décembre 2006] par un inconnu muni d’un couteau alors qu’il sortait de chez lui à Bakou pour se rendre au travail. Commotionné, blessé à la tête et légèrement atteint d’un coup de couteau, il a dû être hospitalisé. Pendant la période précédant cette agression, il avait publié plusieurs articles sur la corruption aux plus hauts niveaux et avait reçu des menaces téléphoniques à plusieurs reprises. » Ou encore de « Sakit Zahidov, journaliste et satiriste de renom du journal Azadliq, arrêté le 23 juin 2006 pour détention d’héroïne. » Ses collègues soupçonnent une machination montée « par la police […] en raison de sa chronique satirique dans l’Azadliq, dans laquelle il critiquait régulièrement le gouvernement de l’Azerbaïdjan. » Le journaliste a écopé d’une peine de trois ans de prison.

Ces dernières semaines, Reporters Sans Frontières a également eu l’occasion de dénoncer d’autres atteintes graves à la liberté d’expression. Ainsi, le 11 janvier dernier, « la détention de Rafiq Tagi et de Samir Sadagatoglu, respectivement journaliste et rédacteur en chef du journal Sanat, a été prolongée de deux mois », explique RSF dans un communiqué. Les deux journalistes « sont détenus depuis le 15 novembre 2006. Ils sont poursuivis pour "incitation à la haine raciale, nationale et religieuse" (art. 283.1 du code pénal), après la parution, le 6 novembre 2006, d’un article intitulé "L’Europe et nous". Etablissant une comparaison entre l’Europe et l’Orient et affirmant la supériorité des valeurs européennes, celui-ci avait soulevé l’indignation d’une partie de la population azérie mais aussi iranienne. Le 25 novembre, une fatwa (décret religieux) avait été émise par l’un des plus grands ayatollah de la république islamique d’Iran. Elle appelait à tuer le journaliste "apostat" et le rédacteur en chef du journal qui a autorisé la publication de l’article. »

Les bonnes nouvelles sont rares

En fait, sur le front de la liberté d’expression en Azerbaïdjan, les bonnes nouvelles sont rares. RSF signale tout de même que « le journaliste en ligne et activiste politique Bakhtiyar Hajiyev a été libéré, le 15 janvier 2007, après deux jours de détention. Une cour d’appel de Bakou a annulé le jugement de première instance, prononcé le 14 janvier, qui condamnait le responsable de susmayaq.biz à douze jours en prison. Selon ses proches, Bakhtiyar Hajiyev est dans le collimateur des autorités depuis la publication sur son site d’un article critiquant la politique économique du gouvernement. » Quant au président azerbaïdjanais, il a officiellement condamné les agressions contre les journalistes. Mais faut-il vraiment s’en réjouir au vu de cette litanie d’exactions ?
Ilham Aliev achève en fait à Lille (2) un voyage officiel programmé du 29 au 31 janvier. A cette occasion, RSF « s’est adressée par courrier au président de la République, Jacques Chirac, ainsi qu’aux responsables politiques (le Premier ministre, Dominique de Villepin, le maire de Paris, Bertrand Delanoë, les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, ainsi que Martine Aubry, la maire de Lille) que le président azerbaïdjanais doit rencontrer ». L’association « a encouragé les autorités françaises à aborder la question des atteintes à la liberté de la presse en Azerbaïdjan lors de leur rencontre avec le président. Elle a souligné que "la France ne saurait accueillir le chef d’un Etat où l’impunité est trop souvent la règle, sans évoquer cette question" », conclut le communiqué.

Télécharger le communiqué du Club de la Presse NPdC

(1) Lire le communiqué intégral sur le site d’Amnesty International

(2) Le président azerbaïdjanais devait être reçu par Patrick Van Den Schrieck, président de la Chambre régionale de commerce et d’industrie, le préfet de région, Daniel Canépa, Catherine Cullen, adjointe à la culture du maire de Lille, Alain Tapié, conservateur du Palais des Beaux-Arts de Lille et le général Jean-Paul Monfort, gouverneur militaire de Lille. Une visite à l’usine Alstom de Petite-Forêt était également prévue, en présence du sous-préfet de Valenciennes, Vincent Bouvier.

A lire également, un communiqué plus ancien, émanant de Human Rights Watch, titré « Azerbaïdjan : Le gouvernement se lance dans une campagne de répression après les élections » (23 janvier 2004).


 

 

 

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