Les journalistes de sport confrontent leurs expériences

Les journalistes de sport avaient répondu en nombre au premier rendez-vous de la rentrée des Lundis du Club, le 10 septembre. Cette rencontre a permis de découvrir des parcours, une façon d’exercer le métier et de l’aborder sensiblement différents. Un exemple parmi d’autres : tous ne s’accordent pas sur la nécessité ou non de pratiquer un sport pour faire ce métier.

photos : Gérard Rouy

« Je suis arrivé au journalisme sportif totalement par hasard. Je ne suis pas du tout sportif de formation, ni par passion. » Diplômé de l’Ecole supérieure de journalisme (ESJ) de Lille, Pierre Wolf a travaillé pour différentes antennes de Radio France et de France Télévisions. Aujourd’hui, il fait partie de l’équipe de cinq journalistes – trois rédacteurs et deux journalistes reporters d’image (JRI) – qui réalisent les sujets sur le sport pour France 3 Nord-Pas de Calais. Ils alimentent aussi bien les journaux télévisés que le magazine du dimanche, Midi Sports.

Ils étaient trois journalistes du service des sports de France 3 Nord-Pas de Calais à participer, ce lundi 10 septembre, au premier Lundi du Club de la saison, consacré aux journalistes de sport (1). Parmi eux, Denis Guérin, rédacteur, qui a notamment travaillé à Paris et à l’étranger. « Cela fait dix ans que je fais ce métier », témoigne-t-il. Les deux rédacteurs étaient accompagnés de Bernard Deron, JRI, qui après être sorti d’une école de photo à Tournai, a fait ses premières armes à l’ORTF. « Un beau jour, je me suis retrouvé cameraman », raconte-t-il. On lui confie alors la couverture des courses cyclistes. Il apprendra plus tard que ses collègues avaient tous fait au moins une chute dans cet exercice et qu’ils ne tenaient pas trop à récidiver… « J’aime le sport, car c’est prétexte à l’image », ajoute-t-il. Ce qu’il apprécie avant tout, ce sont « les émotions fortes, les histoires ».

« Mon école de journalisme, je la fais aujourd’hui, avec mes collègues »

Au centre, Christian Palka (France Bleu Nord) : « Essaie d’apprendre à raconter des histoires », conseille-t-il à un jeune que le journalisme de sport fait rêver. Egalement sur la photo (de gauche à droite) : Bernard Deron (France 3) et Emmanuel Bouin (Radio 6).

Autant d’invités, autant de parcours différents. Christian Palka, ancien cycliste professionnel, est ainsi passé par le sport de haut niveau avant de devenir journaliste à France Bleu Nord (2). « Mon école de journalisme, je la fais aujourd’hui, avec mes collègues », confie-t-il. Emmanuel Bouin, de Radio 6 (Calais), est « journaliste depuis un peu moins de dix ans ». S’il « a toujours aimé le sport », rubrique dans laquelle il est aujourd’hui spécialisé, il ne le pratique pas lui-même. De son côté, Gilles Guérin, aujourd’hui journaliste indépendant spécialisé dans le rugby, a passé de longues années à la rédaction de La Voix du Nord. Au début, il a « fait comme tout le monde les chiens écrasés, les conseils municipaux… », avant de se spécialiser dans le sport. Avec son confrère Didier Parsy, il est impliqué dans les instances régionales de l’Union syndicale des journalistes sportifs de France (3).

Didier Parsy a « eu la chance d’être tombé dedans tout petit, avec un papa journaliste sportif à Nord Eclair ». Très jeune, il écrit d’ailleurs ses premiers papiers, sous l’œil exigeant de son père. Aujourd’hui, il est journaliste de sport à La Voix du Nord, détaché sur les secteurs de Roubaix, Tourcoing et Halluin. « J’aurais bien voulu faire l’ESJ mais je n’ai pas très bien travaillé à l’école, avoue-t-il sans fausse modestie. Je suis rentré [dans le journalisme] par la petite porte. J’avais des "grands frères" qui s’appelaient Geoffroy Deffrennes, Hervé Leroy, Gilles Guérin… »

L’école de « La Voix du Nord » et de « La Voix des Sports »

Ça tombe bien, les « grands frères » en question étaient là. Hervé Leroy, aujourd’hui journaliste indépendant, a surtout couvert le basket pendant les vingt ans passés à La Voix du Nord. Un exercice qu’il juge « très formateur » – en particulier « le compte-rendu en direct, l’urgence de la copie » – pour les jeunes qui veulent se lancer dans le journalisme : « Il est important de garder de la rigueur, de la froideur, de l’analyse ». Lui aussi devenu journaliste indépendant, Geoffroy Deffrennes a débuté en parallèle du métier d’enseignant, avant de devenir chef du service des sports de La Voix du Nord. « Notre école de journalisme, c’était le service sports de La Voix du Nord et de La Voix des Sports, réalisée le dimanche soir. » Pour avoir fait un peu de radio (4), il en connaît la « difficulté », en particulier « l’angoisse des blancs ».

Dernier témoin présent ce soir-là au Club : Eric Maitrot, qui a débuté à La Voix des Sports. « On pouvait, quand on était simple étudiant en sciences éco, venir taper à la porte. » « J’ai eu la chance – je sais, ça fait rêver aujourd’hui –, dès ma sortie de l’ESJ, d’être embauché à L’Equipe, en CDI. » Eric Maitrot a également travaillé pour la presse magazine (Globe Hebdo, Télérama, Le Nouvel Observateur…), notamment sur des sujets en rapport avec les maux actuels du sport : sport-spectacle, argent, dopage (5)

Cinq personnes, « ce n’est pas énorme »

Au micro, Didier Parsy (« La Voix du Nord ») : « Il n’y a pas de petit sport ». A ses côtés (de gauche à droite) : Pierre Wolf (France 3), Gilles Guérin, journaliste indépendant spécialisé dans le rugby, et Denis Guérin (France 3).

Presse écrite ou audiovisuelle, taille des rédactions, type de sujets réalisés : le travail de tous ces journalistes est assez différent. « La télévision, c’est un peu long à faire, note Denis Guérin. Il faut aller sur site, monter [les images]… » Les 26 minutes du Midi Sports (reportages et présentation), sont ainsi assurées par l’équipe des cinq journalistes de sport de France 3 Nord-Pas de Calais, en plus des sujets pour les journaux de la semaine. « Franchement [cinq personnes] ce n’est pas énorme », assure-t-il. « Je ne me vais pas me plaindre », enchaîne-t-il, mais les moyens n’ont rien à voir avec ceux d’une émission comme Stade 2 (France 2). Mais cinq journalistes sur une rédaction qui en compte « un peu moins de 50, c’est important », complète Pierre Wolf. « Le service culture, c’est deux personnes, voire une et demie », compare-t-il (6).

A France Bleu Nord, seul Jean-Pierre Mortagne se consacre uniquement aux sujets sportifs. Christian Palka prend le relais quand son collègue n’est pas là. Le reste du temps, il traite d’autres types d’informations. A cette toute petite équipe s’ajoute un volant de journalistes pigistes le week-end, en particulier pour assurer les retransmissions des matchs de football. « L’actualité sportive [dans les journaux de France Bleu Nord, NDLR] est très souvent bouffée par le foot », reconnaît Christian Palka. Si à France Bleu Nord on côtoie notamment les joueurs de Ligue 1 de football (des clubs de Lille, Lens et Valenciennes), à Radio 6, Emmanuel Bouin fait « aussi de la petite locale », en suivant des formations de CFA, Nationale 3… « J’ai même fait du tennis de table en direct », sourit le journaliste. La radio compte un poste et demi pour le sport, renforcé là encore par une équipe de six pigistes le week-end.

Journalistes détachés dans les rédactions locales

A La Voix du Nord, Didier Parsy recense douze journalistes dédiés aux sports, au siège lillois. Ces derniers traitent les sujets de niveau régional, national et international. S’y ajoutent « les journalistes détachés » dans les rédactions locales, dont il fait partie. Certains, à la différence de Didier Parsy, n’occupent qu’une partie de leur semaine à traiter de sport. Au total, on arrive à un total d’environ 25 journalistes. Pour alimenter ses pages locales, il est épaulé par une dizaine de correspondants locaux de presse (CLP), dont un photographe : « Ils font tout ce que je ne peux matériellement pas faire ». « Le travail [à Lille et en locale, NDLR] n’est pas le même, témoigne-t-il. A Lille, on a un peu plus de temps à consacrer à l’écriture. »

A évoluer dans ce milieu particulier du sport, chacun a bien sûr développé sa propre vision. « Ma déception a peut-être été le sport de haut niveau », confie ainsi Geoffroy Deffrennes, qui a notamment couvert les Jeux Olympiques, le Paris-Dakar et le Tour de France cycliste. Au tournoi de tennis de « Roland Garros, j’ai vu ce que c’était qu’une conférence de presse formatée, où tout le monde repart avec la même chose », raconte-t-il. Il se souvient d’ailleurs avec plaisir des sujets qu’il réalisait aussi sur des clubs sportifs plus modestes.

« Une équipe déjà championne avant le match »

Eric Maitrot, lui, a évoqué une actualité très récente : la défaite de l’équipe de France de rugby contre l’Argentine, trois jours plus tôt, en ouverture de la Coupe du monde de rugby. Ce match, suivi en direct par 14 millions de téléspectateurs, « est un enfant difforme du sport d’aujourd’hui », lance-t-il, évoquant « une équipe déjà championne du Monde avant le match et qui se fait battre par des sportifs de haut niveau. » « Le sport de haut niveau, ce n’est pas toujours très ragoûtant », regrette-t-il.

Eric Maitrot (au micro) a beaucoup écrit sur les dérives du sport de haut niveau. Sur la place parfois écrasante du sport, notamment dans l’audiovisuel, il évoque une « logique marketing » et explique que « les journalistes sont très peu décideurs ». Assis à sa droite, Geoffroy Deffrennes.

De son côté, Pierre Wolf aborde le sport « comme n’importe quel phénomène social » : « Il y a tout un modèle économique derrière, fort bien pensé d’ailleurs. C’est aussi notre rôle de le raconter. » Il ne se cache d’ailleurs pas de parfois « poser des questions "con" », qui lui permettent cependant d’apprendre des choses et d’alimenter ses sujets.

Christian Palka, qui a donc pratiqué le cyclisme professionnel, juge que cette particularité « n’est absolument pas nécessaire » à son métier actuel. « Le seul moment où cela peut t’aider, c’est dans les relations avec les gens. L’avantage, c’est le carnet d’adresses. Mais le gros inconvénient, c’est quand tu es trop près des sources, tu es un peu gêné… »
Gille Guérin se situe sur un autre plan : faire du sport lui permet d’expérimenter « la souffrance de la préparation et de l’effort » et de ne pas oublier « la part de sacrifices » que cela implique. Quant à Didier Parsy, c’est l’arbitrage qu’il a exercé : « Avoir des supporters calmes en première mi-temps et avinés en seconde, je sais ce que c’est. »

Les consultants remplacent les journalistes

La discussion a également abordé le rôle des consultants (anciens sportifs, anciens entraîneurs…), qui de plus en plus et souvent pour des contrats en or, prennent la place des journalistes pour commenter les compétitions. « C’est devenu un produit d’appel », regrette Gilles Guérin. « Certes, il faut se poser des questions [devant ce phénomène, NDLR] : le journaliste fait-il suffisamment bien son boulot ? » Ce qui ne l’empêche pas d’être « fou furieux de voir au Tour de France comment Laurent Fignon prend les journalistes pour des merdes ».

Simon, 14 ans, rêve de devenir journaliste de sport. Il a pu recevoir les conseils de professionnels. Parmi lesquels celui d’essayer de devenir journaliste avant tout, en s’intéressant aussi à autre chose qu’au sport.

La rencontre s’est terminée par une série de conseils à un jeune garçon, présent dans l’assistance, qui rêve de devenir journaliste de sport. « Il y a beaucoup de journalistes de sport qui n’ont pas fait d’école [de journalisme], remarque Eric Maitrot, mais c’est de plus en plus difficile. » Il met également en garde les jeunes qui veulent faire ce métier « pour de mauvaises raisons », à savoir « être proche des sportifs ». L’antidote ? « Aimer l’information et l’actualité et vouloir raconter comment le sport fonctionne. » Jean-Philippe Debarge, de C9 Télévision, estime qu’« un journaliste de sport n’est pas quelqu’un qui ne s’intéresse qu’au sport ». Sa rédaction, d’ailleurs, n’est pas suffisamment étoffée pour permettre une telle spécialisation.

Hervé Leroy estime que le sport intègre aujourd’hui des facettes de plus en plus nombreuses : « économie, culture, faits de société… » Son conseil ? « Etre curieux et disponible. » Bernard Deron parle aussi d’une « école de la patience », qu’il « ne faut pas idéaliser ». Il pense notamment aux heures passées à attendre un sportif à la sortie des vestiaires, pour une déclaration qui n’amène pas grand chose, voire un rendez-vous non honoré. C’est Gilles Guérin qui a prononcé la phrase de conclusion : « Les grands champions, quand on a ton âge, ça fait rêver, mais le sport, c’est aussi les anonymes. »

Ludovic FINEZ

(1) Mises en place l’année dernière, ces rencontres sont l’occasion d’écouter le témoignage de journalistes sur leur pratique du métier au quotidien. Thèmes déjà abordés : les journalistes de radio (lire l’article), spécialisés en culture (lire l’article), de la presse quotidienne gratuite (lire l’article) et de la télévision (lire l’article).

(2) Christian Palka avait déjà pris part, au Club de la presse, à un débat sur la façon dont les médias traitent le dopage dans le sport (lire l’article) et à la rencontre sur les journalistes de radio (lire l’article).

(3) Site internet de l’USJSF : www.usjsf-journalistes.fr.

(4) Le groupe Voix du Nord avait créé, en 1984, Radio Voix du Nord (RVN), devenue ensuite La Voix de l’info. Elle a disparu en 1998.

(5) Eric Maitrot est notamment l’auteur de « Les scandales du sport contaminé » et « Sport et télé, les liaisons secrètes » (éditions Flammarion). Il avait lui aussi pris part à l’atelier réflexion du Club sur le dopage dans le sport (lire l’article).

(6) « Combien de pages pour les sports, combien de pages pour la culture ? », a d’ailleurs demandé, à propos de la presse écrite, une personne dans l’assemblée. Pour prendre l’exemple de la presse régionale, dans son édition lilloise du mardi 11 septembre, La Voix du Nord comptait, sur un total de 48 pages, sept pages sportives, plus trois pour l’hippisme. Par comparaison, les pages « Région » étaient au nombre de quatre, deux pour l’économie (plus une page « bourse ») et six pour la rubrique « France-Monde ». Ce même jour, l’édition lilloise de Nord Eclair (56 pages) comptait huit pages de sports (plus trois pages « hippisme »), six pages « Région », deux pages d’économie (la rubrique hebdomadaire « Les rendez-vous de l’entreprise »), une page « bourse » et cinq pages « France et Monde ».


 

 

 

La Vie du Club

ESPACE PRESSE