Les photographes de l’UPC sonnent l’alerte juridique pour leurs droits d’auteur - 21 avril 2006

L’Union des photographes créateurs (UPC) n’en revient toujours pas. L’affaire remonte au début de l’année. Un contrat, proposé par la chambre de commerce et d’industrie de Lille Métropole, montre à quel point les droits d’auteur sont menacés. Le 13 avril, l’Upc a organisé une réunion d’information et de sensibilisation à la mairie de Lille.
Photo Gérard Rouy

L’UPC Nord s’est beaucoup émue, en janvier dernier, en découvrant le cahier des charges proposé aux photographes qui travaillent pour un magazine édité par la Chambre de commerce et d’industrie de Lille Métropole. Ces photographes, comme la plupart des rédacteurs, sont pigistes ou indépendants.

Les futurs contrats prévoyaient une clause, au chapitre de la Propriété intellectuelle ? ainsi rédigée :
"le marché conclu emporte cession à titre exclusif et irrévocable, pour la durée de protection légale des droits d’auteur, pour le monde entier, des droits afférents aux photographies, objet du présent contrat...sur tous supports de toute nature du choix de la personne publique...Le titulaire garantit la personne publique contre toutes les réclamations, revendications, recours ou actions de toute personne...Il garantit la personne publique contre tous recours de sociétés de perception de droits d’auteur."

Le beurre et l’argent du beurre

En d’autres termes, explique l’UPC, une telle clause signifie que «  le photographe vend les images qu’il réalise, avec tous les droits de reproduction afférents, pour une durée de 70 ans après sa mort, mais conserve tous les risques d’une utilisation préjudiciable en termes de droit à l’image ». Le beurre, l’argent du beurre et, pourquoi pas, le sourire de la crémière, ou plutôt du photographe.

Devant la réaction que ce type de contrat n’a pas manqué de susciter chez les photographes, la CCI évoque une erreur et s’apprêterait à faire machine arrière. Raison de plus pour que les auteurs connaissent bien leurs droits et n’hésitent pas à les faire valoir. C’est ce qui a poussé l’UPC a organiser une réunion à Lille, en faisant appel aux compétences de Me Blandine Poidevin, du Barreau de Lille.

Car cet exemple local n’est pas isolé. Depuis quelque temps, une telle pratique a au contraire tendance à se multiplier, profitant des méconnaissances juridiques de nombreux photographes et des us qui consistent à conclure des contrats sur une simple poignée de main, virtuelle ou non.

« A chaque travail réalisé, insiste l’UPC, nous accumulerons les risques futurs. Tous les photographes (largement au delà de l’UPC) doivent impérativement se mobiliser pour faire comprendre aux institutions et entreprises commanditaires, l’absurdité de la diffusion de ces contrats qui menacent directement notre profession ».

Tentatives de dérapage vers le droit américain

La bonne foi des institutions et entreprises commanditaires en question n’est pas forcément en cause. Chez eux aussi, la méconnaissance du droit, ajoutée aux usages, expliquent parfois la dérive des contrats. Un rappel des textes peut alors s’avérer salutaire. « Mais, précise le secrétaire général de l’UPC, Jorge Alvarez, le photographe a également tout intérêt à inscrire noir sur blanc les accords conclus avec son commanditaire . Les deux parties y trouveront forcément leur compte en s’évitant des malentendus, voire des procédures ultérieures  », affirme-t-il.

En même temps, il est clair que les tentatives pour faire glisser le droit français vers des notions issues de la législation nord-américaine (comme le copyright) sont dorénavant courantes. Elles conduisent vers des demandes abusives de cession de droits et sont illégales.

Tout le monde ne peut connaître les 1.400 pages du code de la propriété intellectuelle et les milliers de cas qui ont fait jurisprudence. « Au moins, rappelle Me Poidevin, faut-il savoir que posséder un support (comme une photographie) n’implique pas que l’on en possède les droits ». Peu de diffuseurs en ont conscience. Par exemple, quand on achète une œuvre picturale, on acquiert simplement le droit de l’accrocher chez soi, c’est-à-dire dans un espace privé. L’acheteur qui accroche le tableau dans son bureau, alors que ce dernier est ouvert au public, doit en principe verser des droits à l’auteur.

Unique condition : l’originalité

Quant à savoir si la photographie est concernée, Me Poidevin brandit le code de la propriété intellectuelle : « L’article 112-2 est formel. La photographie est considérée comme œuvre de l’esprit. Elle est à ce titre protégée par le code de la propriété intellectuelle ». Ce droit part du principe qu’une photographie est par essence originale. L’originalité est en effet l’unique condition à remplir. Si l’on demande à deux photographes de photographier un même objet, avec une commande et des contraintes identiques, ils produiront indéniablement deux œuvres différentes en fonction du choix de l’éclairage, de l’angle, de la focale, de l’atmosphère, du cadrage, de la sensibilité de chacun, etc. C’est pour cela qu’il n’existe pas d’exception : une photographie de plateau ou une photographie satellitaire sont tout autant protégées par les droits d’auteur.

Le droit patrimonial

Ces considérations ne doivent pas mener à la moindre ambiguïté. En aucun cas, l’art ou l’artiste ne sont évoqués dans le code de la propriété intellectuelle. Celui-ci n’évoque que l’auteur et l’œuvre. L’auteur jouit de droits patrimoniaux et de droits moraux. Les premiers impliquent une rémunération pour toute utilisation de ses photographies et le droit exclusif d’autoriser précisément les autorisations de l’image. La cession de ces droits est possible à condition qu’il y ait une convention écrite (lire l’encadré).

Quoi qu’il en soit, le droit patrimonial comprend le droit de représentation qui interdit l’utilisation publique de photographies sans l’autorisation de l’auteur, et le droit de reproduction qui requiert l’autorisation de l’auteur pour toute fixation de son œuvre sur un support de communication, internet compris. Ainsi, la capture d’écran ou la copie d’image pour une utilisation sur un site internet, un journal ou un magazine constitue une contrefaçon s’il n’y a pas accord préalable du photographe. Cela vaut tant pour un usage professionnel , institutionnel ou associatif. Là encore, le code de la propriété intellectuelle est clair : l’exploitation de l’œuvre, au mépris des prérogatives de l’auteur, constitue un acte de contrefaçon susceptible d’être civilement et pénalement sanctionné.

Le droit moral

Contrairement au droit patrimonial, « le droit moral est incessible, imprescriptible et perpétuel » selon l’article L.122.-7 du code de la propriété intellectuelle. Cette disposition concerne la signature (et plus généralement le droit au nom), le respect de l’intégrité matérielle du support de l’image et le respect de l’intégrité artistique et intellectuelle de l’œuvre.

Cela veut dire notamment qu’un utilisateur ne peut refuser d’indiquer le nom de l’auteur lors de l’utilisation d’une de ses photographies. C’est vrai dans le domaine de la publicité ou de la vente par correspondance.

Jorge Alvarez cite l’exemple de cette photographie de Marine Le Pen dont les droits avaient été cédés par l’Agence France Presse au Front national qui l’avait ensuite utilisée pour une campagne électorale. En dépit de cette cession, l’auteur de la photographie a intenté -et gagné- un procès en justifiant de ses droits moraux.

Philippe ALLIENNE

(source : Photographe Auteur, mode d’emploi. guide à l’usage des photographes et des diffuseurs de photographies édité par l’UPC)

L’Union des photographes créateurs

Créée en 1985 après la fusion de quatre associations de photographes (dont une association de photographes journalistes), l’UPC réunit 1.500 photographes professionnels, tous genres confondus. Son siège est à Paris et elle possède des délégations régionales (dont une pour le Nord). Elle a pour vocation d’informer, de représenter et défendre les droits, les intérêts et le statut des auteurs photographes.

Cession des droits d’auteur

La cession des droits d’auteur doit être expresse et porte sur quatre éléments :
- Le tirage : il faut préciser à combien d’exemplaires la photo va être reproduite ;
- Le support : préciser s’il s’agit d’un magazine, d’un catalogue, d’une plaquette publicitaire, etc. ;
- La durée : elle doit être forcément limitée dans le temps ;
- La zone géographique : la cession vaut pour la France, l’Europe, etc.

La cession doit faire l’objet d’un écrit précis. Les quatre éléments ci-dessus doivent figurer dans le contrat de vente. Il s’agit d’une obligation légale.
Un contrat signé entre un photographe et un commanditaire ne peut prévoir la cession des droits d’auteur. Toute clause dans ce sens est nulle (arrêt du 9 octobre 1991 de la cour de cassation).


 

 

 

La Vie du Club

ESPACE PRESSE