28 mars 2007 - En marge de sa présence au Salon du Livre

LIBERTE DE LA PRESSE
Mohamed Benchicou à nouveau menacé

Depuis sa sortie de prison, le 14 juin 2006, le journaliste Mohamed Benchicou publie chaque semaine une chronique dans le quotidien algérien « Le Soir d’Algérie ». L’ex-directeur du « Matin » s’y montre particulièrement caustique envers le pouvoir. Le 22 mars, il annonçait notamment sa présence au Salon du Livre, à Paris, où il a effectivement dédicacé son livre « Bouteflika, une imposture algérienne ». Intolérable, selon le ministre algérien de la communication, qui dénonce une offense contre le chef d’Etat et rappelle les termes du code pénal.

(photo Gérard Rouy)

«  La déontologie et la loi se complètent et ne s’opposent pas. L’une et l’autre visent à garantir la liberté et la crédibilité de la presse. C’est pourquoi leur respect est vital pour la démocratie. » C’est le ministre algérien de la communication, Hachemi Djiar, qui s’exprime ainsi dans un très long article publié le 24 mars par le quotidien El Moudjahid. Arrivant à la suite d’une plaidoirie en faveur du bilan présidentiel, cette affirmation fait figure de formidable rappel à l’ordre pour les médias et les journalistes. Un rappel à l’ordre qui se fonde sur la publication, deux jours plus tôt dans le quotidien Le Soir d’Algérie, de la chronique de Mohamed Benchicou et de l’annonce de la présence de celui-ci au Salon du Livre, à Paris, pour dédicacer son livre « Bouteflika, une imposture algérienne ».

On se souvient que la publication de ce livre, en 2004, est la véritable raison qui a déclenché une procédure judiciaire contre son auteur, procédure qui l’a conduit à une condamnation de deux ans de prison ferme. Pour le pouvoir algérien, attirer aujourd’hui de nouveau l’attention sur ce livre et le présenter à Paris ne peut être pris que comme une provocation. D’autant, se défend le ministre de la communication, que cette annonce est faite dans un journal algérien au moment où le Nepad (Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique) réunissait ses représentants à Alger !

Un code pénal combattu

De ce côté de la Méditerranée, on estimerait qu’un ministre qui rappelle à l’ordre et fustige la presse perd son sang froid. En Algérie, un ministre de la communication peut se fendre d’un article pour expliquer sa propre interprétation de la déontologie journalistique, pour souligner que « la liberté de la presse et la responsabilité du journaliste sont indissociables  », pour convenir que le « commentaire est […] libre », et pour, dans la foulée, appeler au respect de la loi qui permet de condamner les journalistes à des peines de prison et à de lourdes amendes. « Les articles 144 bis et 144 bis1 du code pénal prévoient et répriment le délit d’offense au Président de la République », écrit M. Djiar. Ce sont précisément ces articles et les dispositions du code pénal revisité en 2002 qui sont combattus par les journalistes algériens depuis leur promulgation. Mais le ministre va plus loin en rappelant l’amnistie prononcée en juillet 2006 par le Président et en menaçant : « Ce fait [la chronique M. Benchicou annonçant sa venue au Salon du Livre, NDLR] ne vise-t-il pas tout simplement à provoquer la réaction naturelle du ministère public et à compromettre ainsi l’avancée réalisée en juillet 2006 lorsque le chef de l’Etat a usé de ses prérogatives constitutionnelles pour assainir le contentieux opposant des journalistes à la justice ? »

La pression sur la presse demeure

La menace vaut pour la presse dans son ensemble. On croira aisément qu’elle vise au premier chef Mohamed Benchicou et le quotidien qui publie ses chroniques. M. Djiar ne s’en cache d’ailleurs pas. Il voit dans les propos de notre confrère une « offense, une de plus, faite injustement le 22 mars 2007 dans un quotidien national au chef de l’Etat algérien alors que les participants à un sommet du NEPAD que le pays venait d’abriter n’avaient pas encore pris congé de leur hôte ». Et d’ajouter : « Rien n’autorise une publication ou un journaliste quels qu’ils soient à outrepasser les limites établies par la déontologie et par la loi ». Le moins que l’on puisse dire est que la chronique hebdomadaire de Mohamed Benchicou est écrite au vitriol. Comme son journal Le Matin, disparu depuis juillet 2006, elles hérissent et dérangent les autorités. Cela veut-il dire que ces dernières s’apprêtent à réagir par la même forme de répression ? Pour M. Benchicou, le risque est incontestable. Dans un communiqué daté de ce 26 mars, il écrit sans ambages : «  Le pouvoir algérien menace de me renvoyer en prison et de punir le journal où j’écris ». Dénonçant « ces menaces arrogantes », il appelle une fois encore « à l’opinion nationale et à la solidarité avec les journalistes et les intellectuels algériens persécutés ainsi qu’avec le Soir d’Algérie. Il y va, conclut-il, du sort de centaines de journalistes et d’une cause, la liberté de la presse, plus que jamais dans la gueule du loup, en Algérie  ».

Le portrait du journaliste, qui flotte sur la façade du Club de la presse ne veut pas dire autre chose. Tant que demeure l’arsenal législatif qui restreint le droit d’expression, la presse algérienne demeurera sous pression. Une amnistie, fut-elle générale, ne saurait régler le problème sur le fond.

Philippe ALLIENNE

Extrait de la chronique de Mohamed Benchicou parue dans « Le Soir d’Algérie » du 22 mars :

« Et revoilà “Bouteflika, une imposture algérienne” ! »

Neuf mois après avoir quitté les geôles d’El-Harrach, je redonne vie au livre qui m’a conduit en prison. Une seconde vie. Parce que, sans doute, il y a un temps pour l’injustice et une vie pour la vérité. Et qu’il nous faut bien parler, toujours parler, de ces subterfuges par lesquels s’éternisent les autocraties dans nos pays. Durant trois jours, je dédicacerai, « Bouteflika, une imposture algérienne » (Editions Picollec) au Salon du livre à Paris (1). Certains y verront de la bravade. Ils n’auraient pas tout à fait tort. Car en plus d’être une façon de donner rendez-vous aux amis que je n’ai pas encore eu le temps de revoir, ces journées sont aussi, je l’avoue, la façon que j’ai choisie de désacraliser l’arrogance, de narguer le désenchantement et de donner raison aux compagnons qui ont formé, durant ma détention, cette solidarité frêle et têtue qui m’empêcha de désespérer de mes rêves nourriciers. Ma manière de leur dire, à ces femmes et à ces hommes que, sans doute parce qu’elles étaient rares, ces amitiés furent exceptionnelles. Leur redire, et je le redirai dans un deuxième livre en préparation, qu’elles ont suffi pour crever la brume noire de l’injustice, pour briser le tête-à- tête entre l’homme esseulé et l’infinie puissance du mensonge. Elles m’ont donné la force de reprendre ma route. Qu’elles aient eu le visage anonyme du pays profond couvrant ses prisonniers d’opinion de sa fraternité généreuse, qu’elles aient eu les traits de mes inoubliables codétenus d’El Harrach, la mine fidèle de mon copain et néanmoins avocat Abdellah, qu’elles aient emprunté la tête frondeuse de mes complices du Soir, le portrait des amis du Comité Benchicou pour les libertés ou celui des compagnons du Collectif pour la liberté de la presse, ces amitiés intraitables avaient surtout l’effigie imposante et résolue d’une Algérie dont le cœur battait toujours. Et c’est ce cœur blessé, trahi, mais jamais désespéré qui, écoutons-le, sonne toujours comme le tocsin de l’histoire pour les bourreaux, comme une boussole indiquant, à travers le brouillard des tyrannies, des portes qui pourraient s’ouvrir. Alors oui, si c’est une bravade que de remettre en scène, au Salon de Paris, un livre qui a remué la plume dans le passé contestable d’un homme aux idées hégémoniques et qui prétendait, à l’époque déjà, user de ces subterfuges par lesquels s’éternisent les autocraties dans nos pays, alors oui ce serait une bravade légitime et singulière. Elle m’aura été permise par ma terre. Celle qui enfanta ces bravoures qui m’ont tendu la main dans la nuit, celle qui, toujours, nous a invités aux délires déchirants, comme ce livre, Bouteflika, une imposture algérienne, qui m’a valu de souffrir deux années dans l’obscurité du cachot et dont je continue à croire qu’il aura été la déraisonnable déclaration d’amour à la vérité que tout homme prétendant à changer le monde doit avoir fait au moins une fois dans sa vie. Cette terre nous l’a toujours dit : nos chimères sont, décidément, ce qui nous ressemble le mieux.

M. B.

(1) Mohamed Benchicou, directeur du Matin, auteur de Bouteflika une imposture algérienne (Editions Picollec) dédicacera son livre pendant trois jours au Salon du Livre à Paris, porte de Versailles, au stand des Editions Picollec.

L’intégralité de la chronique : http://www.lesoirdalgerie.com

L’article publié dans « El Moudjahid » par M Djiar :
http://www.elmoudjahid.com


 

 

 

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