Liberté fête ses 60 ans avec un album (17/09/2004)

Présenté début septembre au Club, l’album « 60 ans de Liberté » retrace l’histoire du journal communiste, quotidien à l’origine et hebdomadaire depuis 1992.
Mais en remontant à son prédécesseur, Le Prolétaire, devenu ensuite L’Enchaîné, l’épopée dure depuis plus de 80 ans.

« Les communistes n’avaient pas prévu le coup. Ils ne pensaient pas que les journaux reparaîtraient si vite. » Pendant plusieurs mois, Jean-Louis Bouzin, rédacteur en chef de Liberté Hebdo, s’est penché sur l’histoire de son journal, en particulier sur ces jours de septembre 1944, où naissait la presse libre du Nord - Pas de Calais.

Fouillant les cartons d’archives et interrogeant les derniers témoins de cette époque, pour alimenter cet album de 66 pages paru fin août, qui retrace l’histoire du journal communiste (1). « Les autres journaux (NDLR : La Voix du Nord, Nord Éclair et Nord Matin) reprennent en gros les structures et les équipes en place dans les journaux parus sous l’occupation (NDLR : respectivement Le Grand Écho, Le Journal de Roubaix et Le Réveil du Nord) », raconte-t-il. En revanche, chez les militants communistes, « personne ne savait faire un quotidien », même un simple recto-verso.

Répartition entre mouvements de la Résistance

Dans le Nord, la distribution des autorisations de parution et la répartition des biens des journaux parus sous l’occupation s’étaient en fait jouées quelques mois avant la Libération. Conformément aux ordonnances d’Alger sur la presse, le comité départemental de Libération distribue les cartes aux différents mouvements de Résistance.

Le mouvement Voix du Nord donnera naissance au journal du même nom (créé clandestinement en avril 1941, par Natalis Dumez et Jules Noutour). Le RIC (Rassemblement d’inspiration chrétienne) donnera naissance à Nord Éclair et les socialistes à Nord Matin, dont l’homme fort sera Augustin Laurent.

Le mouvement Libération créera pour sa part Libération Nord Soir, qui paraîtra jusqu’en juillet 1949. Côté communiste, le parti aura son quotidien, Liberté, et le mouvement Front National (rien à voir, évidemment, avec le parti d’extrême-droite) le sien également. Baptisé, Nord Libre, il aura une vie assez brève, puisque dès septembre 1945, il cesse sa parution. Son premier rédacteur en chef, Jacques Estager, poursuivra d’ailleurs sa carrière à Liberté, dont il sera rédacteur en chef de 1956 à 1972, puis directeur, de 1973 à 1983.

Cohabitation avec La Voix du Nord

A la Libération, Liberté partage avec La Voix du Nord et Nord Libre l’ancien immeuble du Grand Écho, interdit pour cause de parution sous l’occupation. Derrière la majestueuse façade de la Grand Place de Lille, se trouvent les bureaux des rédactions, ainsi que l’imprimerie.

Mais si la date ne naissance officielle de Liberté est celle du 5 septembre 1944, le journal a tout de même des « ancêtres ». Ainsi, en février 1920, un instituteur d’Hellemmes, Clotaire Delourme, créait l’hebdomadaire Le Prolétaire, prônant l’adhésion à la IIIe Internationale. Tiré à 2 000 exemplaires, il est distribué dans la région lilloise. De crises financières en souscriptions, le journal survit tant bien que mal. Jusqu’à être interdit en mai 1923 par le gouvernement.

Il renaît immédiatement, avec un titre de circonstance : L’Enchaîné du Nord et du Pas-de-Calais, toujours imprimé sur les rotatives du journal d’inspiration socialiste Le Réveil du Nord, avant de se doter de sa propre imprimerie. Au gré des déboires financiers, L’Enchaîné alterne le rythme quotidien et hebdomadaire. Fin août 1939, après la signature du pacte germano-soviétique, L’Enchaîné est interdit, comme toute la presse communiste d’ailleurs. Dès juillet 1940, il reparaîtra clandestinement, ce qui fera de lui le premier journal clandestin de la région (le premier numéro de La Voix du Nord sort en avril 1941).

« Pas un mot sur les Allemands… »

De juillet à octobre 1940, les articles de L’Enchaîné ne comportent « pas un mot sur les Allemands... », notent les historiens Étienne Dejonghe et Yves Le Maner (voir les sources bibliographiques) : « C’est comme si l’occupant n’existait pas ». Avec le recul, cela est tout à fait en ligne avec la position de l’époque du parti communiste : cette guerre de capitalistes ne le concerne pas. Ce qui ne veut pas dire que chez les communistes, des voix discordantes ne se font pas entendre. Le ton de la presse communiste changera, évidemment, après l’entrée en guerre de l’union Soviétique, en 1941.

Vendu à la criée

Retour, donc, à la Libération, quand les journaux communistes se vendaient à la criée sur le pavé lillois. « Je vendais Le Nord Libre au théâtre Sébastopol et Liberté sur le marché de Wazemmes », témoigne dans « 60 ans de Liberté » Maurice Lenain, âgé de 14 ans en 1944.

Les rédacteurs de Liberté et de Nord Libre (« tous résistants, tous communistes mais qui n’avaient pas d’expérience de la presse », explique Jean-Louis Bouzin) s’organisent autour de Pierre Delon, ancien secrétaire général de L’Humanité. Ce dernier joue le rôle de formateur et de conseil auprès des jeunes journalistes, dont un bon nombre sont d’anciens enseignants. Le premier rédacteur en chef de Liberté est André Pierrard.

Déménagement en 1956

Dans l’ancien immeuble du Grand Écho, Liberté hérite du premier étage. Le nom du journal s’affiche d’ailleurs en grand, avec faucille et marteau, sur le balcon qui surplombe la Grand Place. La cohabitation avec les équipes de La Voix du Nord prendra fin en 1956.

Le journal communiste, qui comptera jusqu’à dix-huit éditions locales, se trouve en effet à l’étroit, sans parler des évidentes divergences idéologiques des deux quotidiens. L’année précédente, Liberté avait lancé une des nombreuses souscriptions de son histoire, pour se doter de sa propre imprimerie.

L’année 1956 est donc celle du grand déménagement pour le 113 de la rue de Lannoy, dans le quartier ouvrier de Fives. Le même bâtiment accueille les journalistes et les ouvriers de l’imprimerie.Aujourd’hui, l’imprimerie de Liberté n’existe plus (le journal sort sur les rotatives de Nord Éclair, à Roubaix) et sa rédaction est installée rue Inkermann, à deux pas du théâtre Sébastopol.

Un quotidien devenu hebdomadaire

Entre-temps, le quotidien est devenu hebdomadaire. Car le titre de Liberté Hebdo correspond en fait à une renaissance, qui remonte à un peu plus de dix ans. Le 7 juillet 1992, Liberté quotidien, placé en redressement judiciaire, publie en effet son dernier numéro, avec ce titre de « une » : « Ce n’est qu’un au revoir ».

Et effectivement, cinq mois plus tard, apparaît Liberté Hebdo (quelques semaines avant, paraissait à Lens L’Hebdomadaire 62, qui deviendra Liberté 62). La petite équipe qui reprend le flambeau a d’ailleurs dû racheter le titre lui-même au liquidateur du quotidien.

Dès le mois de novembre, une campagne de soutien avait été lancée et Liberté Hebdo démarre avec un matelas de 5 000 abonnés. Avec 5 000 à 6 000 exemplaires par semaine, Liberté Hebdo reste un journal fragile économiquement. Récemment, une nouvelle campagne de soutien a donné naissance à l’association Les amis et lecteurs de Liberté Hebdo, qui compte environ 400 membres.

Les grèves de mineurs, l’Indochine, l’Algérie…

Mais l’histoire du journal communiste n’est pas faite que d’épisodes économiques. Elle suit au plus près les mouvements, sociaux notamment, et les débats qui agitent le pays. Dès l’après-guerre, l’épuration fait ainsi les grands titres du quotidien. « Assez coupé de cheveux, il faut couper des têtes », annonce ainsi en « une » Liberté, en réaction aux « résistants » de la dernière heure, qui promènent au milieu de la foule les femmes tondues.

Les grandes grèves des mineurs de 1947-1948 (réprimées par les chars de l’armée...) sont évidemment suivies de près. Et beaucoup d’autres par la suite : en 1963, toujours dans le bassin minier, 1968 évidemment, la disparition des chantiers navals de Dunkerque et la lutte des dockers, ou encore 1995, quand Liberté édite un numéro spécial au profit des cheminots.

Bataille à la lance à incendie

L’Indochine puis l’Algérie vaudront également leur lot de soubresauts. En 1950, Liberté reçoit un jour la visite de la police, qui veut récupérer les photos qui ont servi à confectionner une affiche contre les horreurs de la guerre d’Indochine. Une bagarre épique (qui n’est drôle qu’avec une bonne dose de recul...) s’ensuivra avec la police. Elle se terminera par une bonne douche pour tout le monde. Jacques Estager avait en effet empoigné une lance à incendie pour repousser les assaillants.

Quelques années plus tard, la façon dont Liberté couvre les « événements » (selon la terminologie officielle) ne plaira pas à l’OAS, qui le fera savoir par des tracts très menaçants. Une bombe soufflera même la porte d’entrée du journal. Le 13 février 1962 au soir, tombe la nouvelle du massacre perpétré par la police parisienne de Maurice Papon, au métro Charonne (9 personnes tuées, après une manifestation contre la guerre en Algérie). La « une » est changée en dernière minute. Quelques milliers de numéros seront imprimés et emmenés à temps, avant que la police ne vienne saisir ceux qui étaient en cours d’impression.

« Un journal de résistance du XXIe siècle »

Aujourd’hui, Liberté Hebdo se revendique comme « un journal de résistance pour le XXIe siècle ». Hebdomadaire militant, journal d’opinion, il est une des rares traces d’une époque où le pluralisme de la presse régionale assurait une vraie confrontation des points de vue. Il y a un peu plus de trente-cinq ans, Lille comptait encore cinq titres quotidiens (La Croix du Nord, Nord Éclair, Nord Matin, Liberté et La Voix du Nord). Sans tomber dans une nostalgie bête, le débat d’idées était alors autrement soutenu…

Ludovic FINEZ

 

Sources bibliographiques

- « 60 ans de Liberté », hors-série de Liberté Hebdo (septembre 2004).
- « La Presse du Nord et du Pas-de-Calais au temps de L’Écho du Nord 1819-1944 », Jean-Paul Visse, Presses Universitaires du Septentrion (2004).
- « Le Nord - Pas-de-Calais dans la main allemande 1940-1944 », Etienne Dejonghe et Yves Le Maner, Editions La Voix du Nord (1999).
- « Des journalistes en Nord », ouvrage collectif, Editions Trimedia (1986). Le tirage est malheureusement épuisé. On le trouve parfois chez les bouquinistes...
- « La presse régionale. Des Affiches aux grands quotidiens », Marc Martin, Fayard (2002). Retour

(1) En vente 5 €, en kiosque ou au siège de Liberté Hebdo, 13, rue Inkermann, à Lille. Tél. : 03 28 36 88 50. Retour

L’album peut également être commandé sur le site internet du journal :
www.libertehebdo.com


 

 

 

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