Depuis le retentissement du film Le Monde selon Monsanto, diffusé en 2008, en plein débat sur les OGM, Marie-Monique Robin est devenue une figure du militantisme écologique. C’est en s’intéressant au brevetage des semences pour Les Pirates du vivant (2005) qu’elle a commencé à dérouler ce qui est devenu le fil conducteur des ses derniers films. « A force de croiser le nom de Monsanto le sujet s’est imposé de lui-même », a-t-elle expliqué au Club de la presse jeudi 23 mai. Notre poison quotidien (2010), puis Les Moissons du Futur, diffusé sur Arte en novembre 2012 et projeté au Majestic à l’initiative d’Attac le soir de la conférence du Club, ont emboîté le pas.
- Marie-Monique Robin a présenté ses projets de documentaires au Club de la presse. A ses côtés, Coline Léger, administratrice de l’association, qui animait le débat.
Difficile de ne pas faire le lien avec ses origines. Née dans les Deux-Sèvres en 1960, fille d’agriculteurs, « militants catholiques de gauche », convaincus que les pesticides, les fertilisants et la mécanisation apportaient le progrès, elle se souvient avoir vu son père « revenir fièrement couvert de produit bleu » après l’épandage de produits chimiques. « A l’époque, on ignorait tout de la nocivité de ces produits. »
Financement participatif
Son prochain sujet d’études, baptisé provisoirement Sacrée croissance, prolonge la réflexion entamée par ses films précédents. « Dans un monde aux ressources limitées, tout indique que la croissance n’est pas la solution mais le problème. Ce projet s’intéresse aux alternatives telles que l’agriculture urbaine, le recours à des monnaies locales... ». Prévu pour octobre 2014, le film sera accompagné comme tous ses derniers projets d’un livre, mais aussi, nouveauté, d’une expo-photo itinérante. Pour cette enquête, comme pour la précédente, sa société de production M2R Films fait appel au financement participatif. « Les internautes préachètent un ou plusieurs DVD et peuvent suivre l’avancée du projet sur le site. Cet apport contribue à 10 % environ du financement, permettant d’éviter le recours à l’emprunt », nous a-t-elle expliqué.
Un prix Albert Londres et une polémique
Circonscrire le travail de Marie-Monique Robin au militantisme écologique serait réducteur. Formée au Cuej (Strasbourg), la journaliste qui a sillonné l’Amérique du Sud, rejoint Capa TV de 1989 à 1999 avant de devenir indépendante, a plus de 200 reportages télé et une quarantaine de documentaires à son actif. Nombre d’entre eux ont été primés. Voleurs d’Yeux (1993), sur le trafic d’organes en Amérique latine, lui a ainsi valu le prix Albert-Londres en 1995. Une récompense néanmoins entachée par une controverse. « Je savais que le témoignage de l’une des victimes, un enfant retrouvé sans yeux, était fragile faute de plainte déposée en justice par sa mère. Une campagne de dénigrement a été menée contre moi par un membre de l’USIA (United States Information Agency) », nous a-t-elle expliqué. Suite à la polémique, le prix Albert Londres avait été suspendu avant de lui être finalement confirmé, le jury reconnaissant la bonne foi de la journaliste qui a gagné tous ses procès en diffamation et qui reste convaincue qu’on a bien volé les cornées du petit Colombien. Récemment, Stéphane Joseph, le directeur de la communication du prix Albert Londres, a en outre reconnu les pressions exercées par de « pseudo journalistes sud-américains » et de la CIA. « Ce qui est terrible c’est qu’un seul témoignage ait pu jeter le discrédit sur l’ensemble du trafic d’organes dénoncé dans le film ! », se désole-t-elle aujourd’hui.
- Capture d’écran du site de Marie Monique Robin, http://www.m2rfilms.com
Primé par le Sénat, le film Escadron de la mort, l’école française (2003), démontre quant à lui comment les services secrets français ont initié les forces de sécurité argentines à l’usage de la torture après la guerre d’Algérie. « Ce film a permis l’arrestation d’anciens généraux de la dictature argentine. » On peut regretter qu’en France, la demande d’enquête parlementaire qu’il avait suscitée ait été rejetée.
Légion d’honneur
Témoigner pour faire bouger les lignes. C’est ainsi que Marie-Monique Robin conçoit son métier de journaliste. Et de citer Albert Londres : « Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. » « En tant que journalistes, nous avons une fonction sociale. Dans un monde où la désinformation constitue un business à part entière, il est plus que jamais nécessaire de faire la différence entre la communication d’un groupe privé et une information indépendante », a-t-elle souligné.
Avec une telle posture, comment a-t-elle accueilli sa nomination à la Légion d’honneur ? « D’abord avec embarras. » Renseignement pris, elle comprend qu’elle peut se faire remettre l’insigne dans un lieu de son choix par une personne qui l’a elle-même reçue. D’où l’idée de demander à la philosophe Dominique Méda, qui a travaillé sur les nouvelles formes de croissance, de lui remettre la distinction à Notre-Dame des Landes, « symbole d’un modèle de développement qui appartient à une autre époque ». A cette occasion, le 8 juin prochain, elle fera à nouveau rimer militantisme et journalisme d’investigation.
Pour en savoir plus :
www.m2rfilms.com
www.arte.tv/sites/fr/robin/