Comment les médias peuvent-ils sortir de ces crises ? Retrouver la confiance du public ? Et jouer pleinement leur rôle de contre-pouvoir démocratique ? Antoine Armand, rédacteur en chef de France 3 Hauts-de-France, Karine Charbonnier, vice-présidente du conseil régional et chef d’entreprise, Gabriel d’Harcourt, directeur général délégué de La Voix du Nord, Loïc Hervouët, ancien directeur de l’ESJ, enseignant d’éthique professionnelle et Nicolas Kaciaf, maître de conférences à Sciences Po Lille, chercheur sur les pratiques journalistiques, ont débattu de leurs solutions pour rehausser l’image qu’ont nos concitoyens des journalistes. Jacques Trentesaux, fondateur et rédacteur en chef du site d’investigation Médiacités a lancé le débat en rappelant ce constat : « On entend de plus en plus souvent les termes de merdias, de journalopes, de tribunal médiatique… Comment peut-on restaurer la confiance en la presse ? »
- Nicolas Kaciaf, maître de conférences à Sciences Po Lille, chercheur sur les pratiques journalistiques, Gabriel d’Harcourt, directeur général délégué de La Voix du Nord, Karine Charbonnier, vice-présidente du conseil régional et chef d’entreprise, Antoine Armand, rédacteur en chef de France 3 Hauts-de-France et Loïc Hervouët, ancien directeur de l’ESJ, enseignant d’éthique professionnelle
Karine Charbonnier, vice-présidente du conseil régional et chef d’entreprise. Elle est aussi soutien de François Fillon. « Les médias sont indispensables en démocratie », juge celle qui s’est fait connaître en interrogeant en 2014 sur TF1 le Président de la République François Hollande. « Mais ils ne faut pas qu’ils mettent la poussière sous le tapis. Ils doivent être transparents, tout le temps, pas seulement en période électorale. » L’entrepreneuse nordiste a conscience que les médias, pour vivre, doivent « tenir leur business plan et attirer le lecteur et le téléspectateur ». Questionnée sur la candidature de son favori à l’élection présidentielle, dont les affaires sont régulièrement dévoilées depuis la primaire, elle enjoint les médias à respecter la présomption d’innocence et à ne pas sortir les phrases de leurs contextes. « Lorsque quelqu’un est soupçonné d’avoir eu des comportements inadéquats, il est normal que les journalistes en parlent. Mais il faut que tout le monde soit traité de la même manière. »
Les tribunaux médiatiques n’existent pas
Pour Antoine Armand « les tribunaux médiatiques n’existent pas ». Le rédacteur en chef de France 3 Hauts-de-France pense que les journalistes font simplement leur travail. « Ils ne l’ont jamais aussi bien fait qu’aujourd’hui en sortant de nombreuses affaires », poursuit-il. « Pendant longtemps les médias anglo-saxons nous reprochaient notre connivence avec les politiques. C’est désormais révolu, grâce à des titres d’investigation comme Le Canard Enchaîné, Médiapart ou encore Médiacités. » Il concède néanmoins que la place qu’ils ont prise, que le pouvoir qu’ils ont dans la société, est devenu un problème. « Les téléspectateurs manquent souvent de recul et de petites choses se retrouvent exacerbées »
Interrogé sur l’éditorial de la Voix du Nord contre le FN lors des élections régionales de 2015, Gabriel d’Harcourt a été surpris par les accusations de manque de neutralité et se défend de toute volonté d’agressivité. Selon lui, ce n’était en aucun cas une prise de position politique mais « une démarche journalistique d’un acteur de la Région engagé pour elle et ses habitants. » Le directeur général délégué du quotidien se dit aussi inquiet de cette exigence de neutralité demandée à la presse locale. « La PQR se doit de faire bouger les lignes », affirme-t-il tout en reconnaissant que cet édito ait pu être mal compris par les électeurs du Front National. « Le travail de Pascal Wallart, le rédacteur en chef de Hénin Beaumont, est compliqué aujourd’hui. Cela nous donne une idée de ce que serait le pouvoir national s’il était donné à ces gens-là. Mais je ne regrette pas cette Une et je ne pense pas que Pascal la regrette. Si le FN était passé, nous aurions au contraire regretté de ne rien avoir fait. »
Loïc Hervouët, ancien directeur de l’ESJ, pense que les travers de la précipitation et de la chasse au scoop, que le manque de vérification pour être le premier à sortir une info, ne sont pas suffisamment pris au sérieux par les rédactions : « Certains préfèrent prendre le risque de se tromper. Ils vendent quand ils diffusent la fausse info puis vendent à nouveau le jour du démenti ». Soit deux infos pour le prix d’une. Mais celui qui est aussi enseignant d’éthique professionnelle reconnaît que d’autres travers placent la presse sous le feu de nombreuses critiques : la complicité avec les sources et les élites, le fait que les groupes de presse soient souvent possédés par des groupes financiers, la recherche du sensationnalisme, le marketing qui considère les lecteurs comme des clients. De quoi être pessimiste alors que tout n’est pas si noir. « Aujourd’hui, les citoyens disposent de multiples sources pour s’informer et plus aucun secret ne peut être indéfiniment gardé », plaide-t-il . « C’était loin d’être le cas il y a 40 ans ou du temps de l’ORTF. Mais l’éducation aux médias est très importante car il faut faire le tri parmi toutes ces sources et garder l’esprit critique. »
« Il est normal que la presse d’opinion existe mais il est aussi important que la couleur soit clairement affichée » enchéri Karine Charbonnier, rappelant que la société des journalistes de l’Express avait en avril dénoncé le parti pris des éditorialistes de ce titre en faveur d’Emmanuel Macron. Quant au service public, la chef d’entreprise estime qu’il doit être le plus neutre possible.
Les médias n’existent pas
« Les médias ? Je ne sais pas ce que c’est » provoque alors Nicolas Kaciaf, maître de conférences à Sciences-Po Lille. « Il n’existe pas une ‘ institution médiatique ’. Nous devons prendre en compte leur diversité. Chaque média est différent, et même au sein d’une rédaction, chaque journaliste à sa propre personnalité et ses convictions. » Pour ce chercheur spécialisé sur les pratiques journalistiques, en critiquant le FN, la Voix du Nord a donné l’impression de défendre les institutions. « Or les Français ont le sentiment que leurs institutions fonctionnent mal. »
Si les médias sont, en effet, nombreux et divers, ils ne sont désormais plus les seuls créateurs d’informations. « Depuis quand Orange, Apple ou Facebook sont-ils des médias ? » questionne le rédacteur en chef de France 3 Hauts-de-France, Antoine Armand. « Pourtant les gens s’informent de plus en plus par leur biais. Les vrais médias se retrouvent noyés dans ce flux, cette masse d’infos plus ou moins fiable et vérifiée. » Aujourd’hui, les trois sources les plus partagées sur le réseau social de Mark Zuckerberg sont le blog ‘Osons Causer’, TV Liberté (un site de la fachosphère n’employant aucun journaliste) et le site de propagande russe RT News.
Facebook, Apple et Google sont aussi, selon Nicolas Kaciaf, responsable d’un autre problème : ils aspirent les revenus et la valeur ajoutée des infos produites par les vrais journalistes qui voient leurs moyens diminuer et leur statut se précariser. Pourtant l’information, l’investigation, la vérification, coûtent cher.
La seule solution pour faire le tri, décoder et analyser toutes ces informations est de comprendre comment elles sont fabriquées et par qui, de connaître le fonctionnement des rédactions. « En cela, l’éducation est une nécessité », conclue Loïc Hervouët. « Nous pouvons prendre exemple sur Chypre qui est souvent citée en modèle par l’Unesco car les cours d’éducation aux médias sont obligatoires pour les collégiens dés la 6ème. »
- Une toute petite minorité de Français fait confiance aux Médias