Migrants en situation irrégulière : « tout ce qui ne va pas dans le sens de l’expulsion est nié. » 

Un mois après la fermeture de la jungle de Calais, alors que le débat sur l’ « identité nationale » bat son plein, le Club de la presse Nord – Pas de Calais a souhaité revenir à froid sur les conditions de vie des migrants en situation irrégulière en recevant jeudi 19 novembre Alain Pruvost, délégué régional de la Ligue des Droits de l’homme, Patrick Peugeot, Président national de la CIMADE et Gaston Debard, Président de l’antenne lilloise de la CIMADE.

Photos : Gérard Rouy

Fin octobre, la Cimade, seule association autorisée a pénétrer dans les Centres de Rétention Administrative (CRA) ou sont enfermés les migrants en situation irrégulière, publiait son rapport annuel. « Ce rapport est probablement le dernier, explique Patrick Peugeot, président national de l’association, car plus aucune association ne sera habilitée à entrer dans l’ensemble des 23 CRA. Ce témoignage est fondamental : il faut conserver une trace de ce qu’il s’y passe. Le ministère nous a attaqués sur notre soit disant monopole alors que, depuis plus de dix ans, nous réclamions que d’autres structures comme la Ligue des Droits de l’Homme ou le Secours Catholique interviennent avec nous. Nous n’avons pas vu le coup venir ». Le président de la Cimade fait référence à la décision du gouvernement de partager la mission de la Cimade (l’accueil, l’information et le soutien des étrangers placés en rétention administrative) avec d’autres associations : l’ASSFAM, Forum Réfugiés, France terre d’asile et l’Ordre de Malte France . Chacune s’est vu attribuer un lot de CRA à l’intérieur duquel elle intervient. « Une association choisie par le Ministre a tout de même été retoquée par le Conseil d’État qui a mis en doute son indépendance et ses compétences, poursuit Patrick Peugeot. Il s’agit du collectif respect qui avait été créé par Brice Hortefeux pour lutter contre les sifflements pendant la Marseillaise dans les stades... ».

Patrick Peugeot, Président national de la CIMADE

Dans ce rapport, les deux centres de rétention administrative de notre région sont passés au crible. A Coquelle et Lesquin, respectivement 2490 et 3057 personnes ont été retenues l’an passé, dont une large majorité d’Indiens . 48% ont fait l’objet d’une mesure d’éloignement, pour les deux tiers en direction d’un autre pays de l’Union Européenne.

La Cimade s’élève aussi contre les locaux de rétentions. Plus petits que les centres, il s’agit de cellules situées dans les commissariats, les aéroports ou les antennes de la Police de l’Air et des Frontières (PAF). Il est plus facile pour l’association de surveiller et d’aider les migrants regroupés dans 23 centres plutôt que dans un millier de locaux. « Sans parler des conditions d’enfermement, précise Patrick Peugeot. A Orléans, par exemple, l’état de délabrement des locaux était tellement inacceptable que le préfet a interdit à la Cimade d’y aller. Il a fallut protester pour qu’on nous laisse faire notre mission puis pour que les locaux soient réhabilités. ».

Sur l’ensemble du territoire national, 60% des migrants en rétention administrative ressortent libres sous 8 jours. Selon un rapport remis par la Cour des Comptes au Senat, le coût moyen d’une rétention est de plus de 5 000 euros pour chaque personne retenue. Il peut y avoir plusieurs raisons à cela : le pays d’origine refuse de les recevoir (c’est le cas avec la Tchétchènie) ou est en guerre (le droit international interdit les retours forcés vers des pays en guerre), ou parce qu’une demande d’asile ou un recours européen ont été déposés. « Le charter à destination de l’Afghanistan, organisé conjointement par la France et le Royaume-Uni après la destruction de la « jungle » de Calais, n’était probablement pas légal, explique Patrick Peugeot. C’était un coup politique de la part du ministre qui a voulu faire un exemple pour éviter un appel d’air. Pour le réussir, il a joué sur les mots : l’Afghanistan n’est pas un pays en guerre mais un pays en voie de pacification. »

Humaniser la politique de fermeté

Même constat pour Alain Pruvost, délégué régional de la Ligue des Droits de l’Homme : «  Nous avons protesté énergiquement contre ce charter car l’Afghanistan n’est pas un pays sécurisé. Nous savons que des afghans expulsés auparavant y ont trouvé la mort  ».
Pour la LDH, la fermeture de la jungle ne résoudra rien, tout comme la fermeture du centre de Sangatte en 2002 n’a rien changé, sauf pour les migrants qui ont vu leurs conditions de vie se détériorer considérablement. «  Jean-Pierre Dubois, le Président de la Ligue a visité la maison des Érythréens à Calais, poursuit Alain Pruvost. Il a été extrêmement choqué par ce qu’il a vu. C’est inacceptable de laisser des humains dans une telle misère. Quant à moi, je suis effaré de voir ces énormes rouleaux de fil de fer barbelés le long de la voie ferrée qui mène à Calais. »

Alain Pruvost, délégué régional de la Ligue des Droits de l’Homme pense qu’il est « inacceptable de laisser des humains dans une telle misère. »

En début d’année, Eric Besson, ministre de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Développement solidaire, a reçu des représentants de la Ligue à qui il a déclaré vouloir « humaniser [sa] politique de fermeté ». Son prédécesseur, Brice Hortefeux avait quant à lui affirmé que «  tout étranger en situation irrégulière a vocation à être expulsé ». « Vocation à être expulsé », l’expression choque les humanitaires qui y voient une négation du droit d’asile.

Le délégué régional de la LDH est très critique sur la politique d’immigration du gouvernement : «  La fermeté est bien visible, l’humanité moins. Heureusement que les associations sont là. Les contacts qu’a le ministre avec son homologue anglais ne portent que sur les versants policier et sécuritaire. C’est dramatique de laisser l’axe de la politique glisser autant vers la droite. C’est l’économie qui devrait être au service de l’homme et non l’inverse. La société de surveillance qui se met en place nous fait peur, à fortiori en période de crise. Il est urgent d’avoir un vrai débat. »

Appliquer les règles et les lois

Selon les deux associations, outre le renvoi de réfugiés vers des pays en guerre, plusieurs autres lois et traités internationaux ne sont pas appliqués par la politique d’immigration du gouvernement. Une demande d’asile doit systématiquement donner droit à une autorisation temporaire de séjour, ce qui n’est régulièrement pas le cas.

Il est également interdit par la Convention internationale des droits de l’enfant, ratifiée par le France, d’emprisonner un enfant lorsque ce n’est pas nécessaire. Pour Patrick Peugeot, « c’est inacceptable. Mettre des jeux dans la cours des CRA est un véritable scandale. C’est l’inverse qu’il faudrait faire : héberger les parents à l’extérieur avec leurs enfants. Pendant des années les familles expulsables étaient logées à l’hôtel, nous ne comprenons pas pourquoi ça a changé depuis quelques temps. Quand le Gouvernement franchit les bornes, on ne doit pas se laisser faire. »

Selon la Cimade, l’ensemble de ces manquements à la loi n’ont qu’une origine : la politique des quotas. La pression est mise sur toute la chaîne hiérarchique, du Préfet au fonctionnaire de police, pour que le chiffre de 30 000 expulsions par ans soit atteint, sans quoi leur avancement et leur prime au mérite peuvent être revu à la baisse. A cause de cela, tout ce qui ne va pas dans le sens de l’expulsion est nié.

Gaston Debard, Président de l’antenne lilloise de la CIMADE

D’autres solutions

D’après la LDH, la France serait un des pays du monde qui accueille le moins de réfugiés : «  Certaines nations en voie de développement font beaucoup mieux que nous, l’excuse économique est donc incohérente ». La France serait aussi un des pays ayant la liste de pays surs, donc dans lesquels il est autorisé d’expulser des sans-papiers, la plus longue d’Europe.

Pour les deux associations, le tout répressif ne peut en aucun cas être la solution. Elles s’accordent à dire que le plus important est que les représentants de l’État respectent les lois françaises, européennes et les conventions internationales. « La première chose serait de supprimer les quotas de reconduites aux frontières pour pouvoir faire les choses humainement, précise Alain Pruvost pour la Ligue des Droits de l’Homme. Il faut renoncer à placer des enfants dans les centres de rétention et donner des permis de séjours à tous ceux qui travaillent et qui sont intégrés. ». La Cimade a établi une liste de 75 propositions pour une nouvelle politique globale d’immigration, en premier lieu la ratification par la France de la Convention internationale des Nations unies sur la
protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, établie en 2003. « Il est aussi possible de supprimer les centres de rétentions, poursuit Patrick Peugeot. Supprimer ces 2000 places ne créerait pas un flux insurmontable pour les services d’hébergement
 ».

«  Depuis peu, les Afghans se rendent compte que l’Angleterre n’est pas la panacée et que les passeurs les exploitent, précise Gaston Debard, président de la Cimade Lille. Les conditions pour traverser la Manche sont de plus en plus dures : depuis la destruction médiatisée de la « jungle » de Calais, c’est tous les jours qu’un squat ou un campement sont évacués par les forces de l’ordre sur la Côte d’Opale. On retrouve donc de plus en plus de migrants à l’intérieur des terres, à Lille et à Paris où les structures d’accueil sont insuffisantes. Et ils sont aussi de plus en plus nombreux à vouloir demander l’asile en France. »

SC

Alain Pruvost, délégué régional de la Ligue des Droits de l’homme, Régis Verley, administrateur du Club de la presse et animateur de la rencontre, Patrick Peugeot, Président national de la CIMADE et Gaston Debard, Président de l’antenne lilloise de la CIMADE.


 

 

 

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