Edito

NON ! Monsieur le ministre

Le plaisir est immense quand on voit les accolades que donnent Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier depuis leur arrivée sur le sol français. Il est indicible lorsque, se tenant par l’épaule, ils s’expriment sans aucune discordance, directement, en toute sincérité. Lorsqu’ils racontent sans langue de bois. Lorsqu’ils disent, sans autre fioriture, ce qu’ils pensent. On est loin, bien loin, des commentaires souvent inspirés d’informations mal sourcées. Que n’a-t-on dit, sous le sceau de la fuite organisée, sur ce ton entendu (« je sais des choses, mais je ne puis citer mes sources, mais enfin, il serait probable que...  »).

Probable que quoi ? Toujours cette même histoire. Ce même mensonge et ce même irrespect du métier de journaliste. «  Ils » auraient fait n’importe quoi. « Ils  » auraient refusé d’écouter les conseils pourtant avisés des experts militaires. « Ils  » auraient pris des risques inconsidérés. Et puis, vous savez, il y a Hervé Ghesquière... Un sacré caractère celui-là. Quand il décide d’y aller, il y va. Sous-entendu, il aurait forcé la main de son collègue et de ses accompagnateurs afghans que ce ne serait pas étonnant.

Affligeant. Mais ce jeudi matin, la polémique est terminée. D’ailleurs, elle n’a jamais eu de consistance. C’est décidé. Alain Juppé, ministre des Affaires étrangères l’avait déjà reléguée dans un lointain passé, mercredi soir face à David Pujadas (F2). Le lendemain, c’est Gérard Longuet, le ministre de la Défense, qui insiste. A l’entendre, personne, surtout pas parmi les grands qui nous dirigent, n’a jamais rien eu à reprocher à nos confrères de France 3 !

Vous ne dites pas la vérité

Non, monsieur le ministre. Avec le respect qui vous est dû, vous ne dites pas la vérité. Peu après votre nomination à la Défense, vous repreniez un discours proche de l’ancien secrétaire général de l’Élysée. Non, monsieur le ministre, vous n’avez pas fait preuve de la bienveillance que vous souhaiteriez vous voir accordée. Les journalistes qui font leur métier, qui vont voir « les gens » ici ou à des milliers de kilomètres, et qui préfèrent le reportage et l’enquête à l’infocommunication n’ont pas bonne presse. Ni chez vous, ni parmi le public que l’on cherche à gaver de démagogie. C’est un secret de polichinelle.

La lente et difficile mobilisation en faveur de nos confrères s’explique en partie par ce désamour savamment entretenu. Par vous, entre autres, Monsieur le ministre. Mais voilà, les vrais journalistes existent encore. Et lorsque leur métier les a conduits à être privés de liberté durant 18 mois, ils déclarent, à peine rentrés, qu’ils l’adorent ce métier, et qu’ils repartiront.

Surtout, ils ne savent pas se taire. Jeudi, face à leurs consœurs et confrères, au siège de France 3, Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier n’ont pas tardé à faire une mise au point. « J’ai entendu dire, lance Hervé, que nous aurions été légers ! Nous serions passé outre les conseils des militaires ! Notre voyage en Afghanistan n’était pas une aventurette. Nous étions préparés. ET personne ne nous a prévenus de quoi que ce soit ! »

La polémique est close ? Alors, le dossier reste ouvert

Voilà qui est dit. Pour autant, Monsieur le ministre, il n’est pas certain du tout que la polémique soit close. Et si elle l’est, au moins le dossier reste ouvert. Celui de la liberté de la presse, celui qui porte sur la volonté et la nécessité de ne pas entraver les professionnels de l’information dans leur exercice. Dans le cas présent, les victimes sont bien les otages. Pas leurs ravisseurs. Et si les nombreuses personnes qui ont négocié et travaillé, durant cette trop longue détention, à la libération de nos confrères, si elles méritent mille remerciements, cela n’efface en rien l’attitude dont ont fait preuve d’autres personnes à un très haut niveau de l’État.

Il faudra enfin qu’un jour prochain, on se penche sur le sort et les conditions de ces accompagnateurs que l’on appelle « fixers  ». Chauffeurs, interprètes, facilitateurs, ils travaillent souvent dans des conditions qui les mettent particulièrement en danger. Sans que l’on s’interroge plus avant sur leur statut et sur les risques qu’ils prennent. Un militaire a dit qu’en Afghanistan, particulièrement dans la Kapisa, aucun journaliste ne peut « faire son métier normalement sans protection militaire adaptée ». Sans collaborateurs locaux non plus.

Respects

Philippe ALLIENNE


 

 

 

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