- Mathieu Hébert, président du Club de la Presse Nord-Pas de Calais, Olivier Carpentier, créateur sonore, Patricia Mignot et Nicolas Ammeux, de la Maison Folie Beaulieu de Lomme, et Olivier Touron, photojournaliste, lors de la présentation de l’événement, au Club de la Presse, le 10 octobre. (Photo Marc Dubois)
Il est parti « sur un coup de tête » pour voir et pour témoigner. En janvier, alors que le peuple de Tunisie réclamait le départ de Ben Ali, il y a avait encore peu de journalistes étrangers dans les rues de Tunis ou de Sidi Bouzid, point de départ de ce qu’on a ensuite appelé les révolutions arabes. Olivier Touron a assisté au début du soulèvement.
Il a rencontré des manifestants, des bloggeurs et des activistes politiques. Il a échangé avec les militants de Tunisie ou revenus d’exil, tels que la militante féministe Radhia Nasraoui, l’écrivain Tawfik Ben Brik ou Hama Hammami, leader du Parti Communiste Ouvrier Tunisien. Il a montré cet étonnant premier jour sans Ben Ali à Tunis, « le centre ville bloqué par l’armée, la police, et les milices du parti présidentiel ».
Des sons « pris sur le vif »
De ces deux semaines passées en Tunisie, le photojournaliste, a ramené de nombreux clichés. On a pu en voir certains dans l’Humanité, Libération ou dans Liberté Hebdo. Il vient d’en réaliser une exposition, présentée en avant-première en septembre à la Fête de l’Humanité, à la Courneuve. Une version plus aboutie, intitulée « 14 jours en Tunisie », sera présentée à partir du 18 novembre, à Lomme, près de Lille, à la Maison Folie Beaulieu, qui a co-produit cet événement (lire l’encadré ci-dessous). Les photos sont accompagnées des textes de Rosa Moussaoui, journaliste à l’Humanité, et de sons arrangés par Olivier Carpentier, un professionnel lillois de la création sonore et multimedia.
« plus belle que la Révolution française »
Ce dernier a délibérément choisi de ne pas trop « nettoyer » les sons « pris sur le vif », enregistrés sur place par le photographe. On y entend le brouhaha de la foule, les slogans des manifestants, les bruits de la ville et de la révolution en marche. « Cette révolution est plus belle que la révolution bolchévique ou la Révolution française », dit un homme au micro d’Olivier Touron.
La Maison Folie Beaulieu, à l’origine du projet, avait intégré l’exposition d’Olivier Touron dans un cycle consacré au voyage, clin d’œil la situation du lieu, près de la gare de Lomme-Délivrance. Finalement, « on va plus loin que le voyage. On interroge un voyageur particulier dans un environnement particulier », explique Nicolas Ammeux, de la Maison Folie Beaulieu, qui a coordonné le travail.
- Olivier Touron, vit dans la métropole lilloise. Pigiste, il travaille régulièrement pour Géo, l’Humanité, Pèlerin, mais aussi pour la presse régionale : Liberté Hebdo, NordWay… (Photo Marc Dubois)
Hommage à Lucas Dolega
En fait de lieux particuliers, Olivier Touron a profité de la période de flottement précédent la chute de Ben Ali pour montrer plusieurs aspects de l’ancien pouvoir. Le photographe a promené son objectif dans les locaux des services officiels, auprès de ceux qui surveillaient le contenu des blogs et des sites des opposants. Il a montré les forces de l’ordre tirant sur la foule. Une de ces balles a tué un confrère photographe, Lucas Dolega. « Avant de partir, on m’avait donné deux numéros de téléphone de confrères qui auraient pu m’aider sur place, dont celui de Lucas Dolega », rappelle le photographe nordiste « Le matin, je lui serre la main. Le soir, il est mort », rapporte Olivier Touron, marqué par ce « drame ». Comme lui, il est parti sans filet. Les « pigistes », ces journalistes qui travaillent à la commande, sont bien souvent obligés de devancer les besoins des rédactions qui leur paieront peut-être une sélection de clichés. Quitte à ne pas se faire rembourser le coût de leur voyage, quitte à payer les risques du reportage du prix de leur vie.
Outre un hommage à Lucas Dolega (le 20 novembre), c’est le travail des photo-journalistes et de leurs accompagnateurs locaux, les « fixers », que veut aussi montrer Olivier Touron. Ainsi témoigneront Amine Boukris, un étudiant en cinéma embauché sur place par l’agence Associated Press, et des confrères réputés, dont Pierre Ciot, le 19 novembre dans le cadre d’un débat en partenariat avec le Club de la Presse. Comment rendre compte des événements du monde quand les rédactions ne valorisent plus le reportage, considéré comme trop cher ? Pourquoi des reporters financent-ils leurs déplacements sur leurs fonds propres ? Qu’est-ce qui motive un photographe à couvrir une zone de guerre ? « Il existe plein de bonnes et de mauvaises raisons, estime Olivier Touron. Reste que si on est informé, c’est grâce à des gens comme Lucas ».
Des « Shiva-journalistes »
La mort récente de Göksin Sipahioglu, fondateur de l’agence Sipa, est survenue alors que les photographes professionnels évoluent bien loin de l’âge d’or des grandes agences en « A » (Gamma, Sygma, Sipa). « Je ne connais pas de jeunes journalistes qui ne fassent pas de photo. On leur demande d’être des "Shiva-journalistes" », ironise Olivier Touron, qui observe que les jeunes photographes, encore motivés par le métier, sont mus par le « do it yourself ». « Il y a dix ans, il suffisait d’aller quelque part et de revenir avec des photos pour qu’elles soient publiées », se souvient Olivier Touron. « Désormais le nombre de voyageurs a augmenté. Pourquoi envoyer quelqu’un au bout du monde pour une photo qu’on trouve déjà sur internet ? D’où l’intérêt d’aller là où les autres ne vont pas ».
Mathieu Hébert
« 14 jours en Tunisie, le photojournalisme en question »
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