- A la fin de la rencontre, Philippe Trétiack a dédicacé son livre
Architecte de formation, Philippe Trétiack avait l’envie d’écrire et de voyager depuis l’enfance. Une vocation qui s’est concrétisée avec des reportages à travers le monde. Notre journaliste fait partie de l’espèce en voie de disparition des grands reporters. Il est passé aujourd’hui au livre. Une évolution peut-être liée à une frustration - « L’architecte laisse une trace durable, pas le journaliste [...] le journal se jette contrairement au livre, c’est une brique, cela reste » - mais qui a sûrement aussi à voir avec l’évolution des médias. « On est dans une zone turbulences entre journalisme et roman, la séparation est floue, à une époque tous les journalistes voulaient être romancier, maintenant c’est l’inverse ». Question d’époque, de moyens : « La situation de la presse est difficile, ça ne se vend pas, résultat les journaux n’investissent pas et beaucoup de conflits ne sont pas couverts, » tel celui de l’Ossétie par exemple.
Jugeant au passage le niveau « misérable de la télévision », le journaliste constate aussi une tendance des médias à parler d’eux-mêmes, la prise de pouvoir des financiers au détriment des journalistes à la tête des médias et la peur du bad-buzz qui prend le pas sur l’intérêt du lecteur.
« Partisan de l’écoute flottante »
Interrogé sur sa vision du métier, Philippe Trétiack affirme son goût du décalage. Une particularité développée par opposition aux « reporters gros bras » attirés par l’adrénaline des zones de combats. Lui se plaît dans les zones de tension, quand l’orage gronde sans avoir encore éclaté : « Je n’ai jamais été un journaliste du chaud. J’ai toujours cherché à éviter les journalistes, je voulais être au contact des gens ». De ses réponses ressort avant tout une volonté d’être au plus près de ses sujets. C’est la meilleure solution pour être en sécurité et comprendre les tenants et les aboutissants d’une situation. Là aussi, selon lui, réside une partie de l’intérêt du reportage : « L’isolement, la sensation de ne rien comprendre, la peur au checkpoint, c’est important. Il faut ressentir le chaos, c’est quelque chose qu’il faut retranscrire parce que c’est ce que vivent aussi les gens sur place. » Se laissant guider par ses intuitions, ce sont souvent les rencontres qui guident le développement de ses reportages. « Je suis partisan de l’écoute flottante, je ne sais pas toujours ce que je cherche. » Une proximité qui ne se confond pas avec l’empathie, on ne peut pas se mettre à la place de l’autre, mais on peut réussir à le faire comprendre en étant à ses côtés.
En découle une série d’anecdotes et d’histoires incroyables, dont certaines se retrouvent dans le livre. Philippe Trétiack a suivi l’anti-mafia pendant un an en Italie, côtoyé les gangs d’Amérique du Sud, est retourné à Nagasaki, Bhopal, Auschwitz… On décèle dans tous ces récits un point commun, l’envie de témoigner de la résistance des gens à l’humiliation, de la volonté de survivre. Cela oblige à une remise en question de notre vision et de nos a priori, « Les gens ne sont pas malheureux où l’on croit. » On pense notamment à cette famille indienne qui, vivant face à l’usine Union Carbide à Bhopal, juge ses conditions de vie plus agréables que dans des villages plus reculés ne disposant pas de l’eau courante ; ou à la miss Oświęcim (Auschwitz) qui rêve de quitter la ville où l’ancien camp est vu comme un bassin d’emplois...
On peut se demander d’où viennent cette approche du métier et ces thématiques récurrentes. De ce voyage à Prague en 1968 peut-être, quand, témoin de l’invasion, Philippe Trétiack vit l’« expérience fondatrice de voir un peuple entier en larme ». Peut-être cela a-t-il à voir aussi avec son histoire familiale. Il ne nie d’ailleurs pas la valeur psychanalytique de son livre. Le lecteur pourra chercher le vrai entre les lignes de ces portraits romancés où l’auteur se cache à peine.
N.B.
- Luc Hossepied et Philippe Trétiack