Plenel au Monde : un pied dedans, un pied dehors - mars 2005

Edwy Plenel était mercredi 30 mars à l’Edhec-Lille pour une conférence sur le thème « Économie, médias : qui détient le 4e pouvoir ? » L’occasion de parler de l’indépendance des médias ou de la crise de la presse quotidienne. Mais pas du tout de la situation personnelle de l’ancien directeur de la rédaction du Monde et très peu des récents « ratés » journalistiques.

« Je suis journaliste au Monde depuis 25 ans et je souhaite le rester. » La conférence donnée par Edwy Plenel devant les étudiants de l’Edhec-Lille vient de s’achever. En près de deux heures, il n’a jamais été question de la situation personnelle de l’ancien directeur de la rédaction du Monde. Edwy Plenel nous accorde cependant quelques secondes d’entretien, pour réaffirmer qu’il « souhaite rester salarié du Monde » et qu’il n’est « pas demandeur » de quitter un journal qui, d’ailleurs, ne lui « fait aucun reproche ».

Dans un communiqué publié la veille, Edwy Plenel avait écrit : « La direction du groupe La Vie-Le Monde a décidé que je devais quitter Le Monde, journal où je travaille depuis vingt-cinq ans. Après me l’avoir notifié oralement, elle l’a fait savoir publiquement par voie de presse. Sur le fond comme sur la forme, cette décision me choque et m’attriste. » À quelques semaines de décisions importantes pour l’avenir du quotidien du soir (1), Edwy Plenel n’a sûrement aucune envie d’être absent des débats.

Pour bien saisir ce qui ressemble à un vrai feuilleton (dont Libération, qui n’en perd pas une miette, tient la chronique quasi-quotidienne), il faut remonter plusieurs mois en arrière. Fin novembre, Edwy Plenel démissionne de ses fonctions de directeur de la rédaction du Monde, tout en restant salarié du titre. Début janvier, Gérard Courtois prend sa succession. Présenté comme un analyste et un « homme de dossiers », ce dernier est un peu vu comme l’antithèse de son prédécesseur, amateur de manchettes fracassantes.

« Plénéliens » et « anti-plénéliens »

Parallèlement, s’opère une série de changements aux postes clés de la rédaction. Les observateurs sortent alors leurs calculettes pour compter combien de « plénéliens » ont sauvé leur tête et combien d’« anti-plénéliens » ont prix du galon pour l’occasion. On évoque alors une nouvelle tâche pour Edwy Plenel : mettre sur pied une « Fondation Le Monde », qui aurait pour rôle d’alimenter « le débat intellectuel ». Fin du premier épisode.

Le 25 mars, Libération affirme que la direction du Monde a précisé à Edwy Plenel « que cette Fondation ne pouvait pas être créée directement par le journal, et qu’il faudrait donc, pour en prendre la direction, quitter le quotidien ». Le même jour, le directoire du Monde se fend d’un communiqué pour répondre aux « rumeurs selon lesquelles Edwy Plenel aurait été licencié par la société éditrice du Monde ». Le texte confirme que l’intéressé « a été invité à préparer un projet de "Fondation Le Monde" ayant pour vocation de renforcer le rôle du Monde dans le débat intellectuel », sans faire référence au statut que cela impliquerait pour l’ancien directeur de la rédaction.

Pétition et communiqués

Mais le meilleur se trouve dans la conclusion : « En outre, dans le contexte du plan de redressement en œuvre actuellement au Monde, la possibilité a été ouverte à Edwy Plenel d’envisager un départ négocié de l’entreprise, s’il le souhaite. » On ne saurait être plus clair... Si la Société des rédacteurs du Monde a refusé de prendre part au débat, une pétition a circulé au sein du journal, ainsi qu’un communiqué interne pour s’opposer à un « départ contraint » d’Edwy Plenel.

De tout cela, il ne fut donc pas question devant les étudiants de l’Edhec, venus assister à une conférence sur le thème : « Médias, économie : qui détient le 4e pouvoir ? » Edwy Plenel leur a notamment parlé de la « crise morale profonde de la profession de journaliste », de l’indépendance des médias (« Je pense que l’information n’est pas tout à fait une marchandise comme une autre ») ou encore de « l’immense déséquilibre » dans la répartition de la manne publicitaire qui serait « au cœur de la crise de la presse quotidienne ».

Il fut aussi question de la concurrence, en particulier auprès des jeunes, de la radio, de la télévision, d’internet et du succès de la presse gratuite. « Le fait que l’on lise un journal est toujours une bonne chose », estime Edwy Plenel. Celui-ci compare la presse quotidienne gratuite à un « bon journal radio » : « Elle permet de savoir mais sans approfondir ni mettre en perspective » ; « C’est un défi économique et éditorial » pour la presse quotidienne payante.

Les conseils d’administration, « ce sont 40-50 personnes »

Un chapitre fut également consacré aux concentrations de capitaux, auxquelles la presse, pas plus que les autres secteurs, n’échappe. « Il s’est passé en France quelque chose qui va au-delà des médias », analyse Edwy Plenel. Selon lui, les conseils d’administration des grandes entreprises françaises, « ce sont 40-50 personnes » et dans ce contexte, « la presse et les médias font l’objet d’un grand jeu de dominos ».

La main-mise de groupes industriels et financiers sur les médias ne va pas sans conséquences sur leur contenu. Edwy Plenel a pris l’exemple du groupe Hachette-Lagardère, un des leaders de la presse magazine dans le monde et qui édite en France Le Journal du Dimanche, La Provence, Paris Match, Elle, Télé 7 Jours... Lagardère (qui vient de prendre 15 % du capital du Monde à la faveur d’une recapitalisation) est par ailleurs actionnaire d’EADS (aéronautique civile et militaire).

Or, EADS vient de vivre une période agitée, au cours de laquelle un corbeau a mis en cause plusieurs membres de l’état-major. « Quand vous êtes dans les journaux de Lagardère, [ce sujet], vous ne le traitez pas. (...) Nous-mêmes [Le Monde, NDLR] , nous l’avons traité un peu mais nous n’avons pas eu le fin mot », assure Edwy Plenel.

« Il faut se battre »

Autre illustration du mélange des genres : les propos de Serge Dassault, nouveau propriétaire de la Socpresse (Le Figaro, L’Express et de nombreux titres régionaux dont La Voix du Nord et Nord Eclair...), sur les « idées saines » qu’il aimerait lire dans ses journaux. « J’espère penser la même chose que mes confrères du Figaro. Ils doivent construire leur indépendance éditoriale. Ce n’est pas parce que vous avez perdu votre indépendance financière que vous perdrez forcément votre indépendance rédactionnelle. Il faut se battre », conseille Edwy Plenel.

L’avis de l’ancien directeur de la rédaction du Monde, a également été sollicité sur les récents « ratés » journalistiques. Fausse agression antisémite dans le RER D, faux réseau pédophile d’Outreau, fausse affaire Baudis : les exemples ne manquent pas, en effet. Mis à part le cas Baudis (« Là, ce sont les médias »), Edwy Plenel est très indulgent pour ses confrères dans les deux autres cas. L’« agression » du RER ? « Le vrai scandale, c’est la réaction du gouvernement ». Outreau ? « On est face à un dysfonctionnement de la justice amplifié par le compte-rendu médiatique de l’affaire. »

Outreau : un retournement spectaculaire

S’agissant du RER D, il faudra une intervention dans le public rappelant une chronique parue le 13 juillet 2004 dans Le Monde et titrée « Des méthodes de nazis » (2), pour qu’Edwy Plenel (« en congés » lors de cet épisode) admette que son journal, comme ses confrères, s’était laissé embarquer dans une sale histoire. Selon lui, dès le début, des doutes ont été émis en conférence de rédaction, mais l’assurance à toute épreuve du ministère de l’Intérieur, joint au téléphone, aurait tout emporté. Une fois la supercherie découverte, Libération présentera à ses lecteurs une version similaire. Le problème, c’est que dans les journaux du lundi (l’« agression » était censée avoir eu lieu un vendredi), on ne trouvait pas la moindre trace de ces « doutes » et que les éditorialistes, sûrs de leur fait, s’en étaient donné à cœur joie...

Quant à Outreau, si la presse a su, au fil du procès, mettre en évidence les incohérences du dossier, il n’en a pas été de même lors des longues années d’instruction. C’est bien la thèse d’un réseau pédophile impliquant une quinzaine d’adultes (dont beaucoup étaient aisément reconnaissables, quand ils n’étaient pas nommément désignés) qui a été présentée à longueur de colonnes, de reportages radio et de journaux télévisés. Et on passe sur les orgies censées avoir eu lieu dans une imaginaire ferme belge. À ce sujet, l’article de Gilles Balbastre paru récemment dans un hors série du Monde diplomatique (3) rappelle des dérives que beaucoup aimeraient oublier aujourd’hui... Au vu du retournement spectaculaire de la presse lors du procès, il faut d’ailleurs croire que tout cela a bel et bien été effacé.

Ludovic FINEZ

Notes :

(1) En juin, une assemblée générale de la Société des rédacteurs du Monde doit notamment se prononcer sur deux projets : une filialisation du journal au sein du groupe (pour lui donner une identité propre) et la possibilité de fusionner les fonctions de directeur de la rédaction et de directeur du groupe. Retour

(2) Deux jours plus tard, l’auteur reviendra sur ce dérapage dans une autre chronique, titrée « Les risques du métier ». Retour

(3) « Manière de voir » n° 80, « Combats pour les médias », avril-mai 2005. Retour


 

 

 

La Vie du Club

ESPACE PRESSE