Quand la presse s’intéresse au dopage dans le sport - Atelier réflexion du Club du 20 octobre 2005

A de nombreuses reprises, le sport a été mêlé à des affaires de dopage. Récemment, « L’Equipe » a ainsi consacré un dossier au coureur américain Lance Armstrong, vainqueur des sept dernières éditions du Tour de France. Pourquoi parle-t-on beaucoup plus du cyclisme que des autres sports ? Comment les journalistes enquêtent-ils sur le dopage ? Pourquoi certains font-ils le choix de ne pas en parler ? La présomption d’innocence est-elle mise à mal ? Ces questions, et d’autres, ont alimenté le dernier atelier réflexion du Club, organisé le 20 octobre dernier.

Photos Gérard Rouy.
Légende : Les intervenants du débat, de gauche à droite : Cédric Vasseur, coureur cycliste, membre de l’équipe Cofidis et prochainement chez Quick Step ; François Migraine, Pdg de Cofidis ; Eric Maitrot, journaliste, responsable des études de l’ESJ ; Christian Palka, journaliste à France Bleu Nord ; Pierre Ballester, journaliste.

« A l’époque, les journalistes savaient tout et ne disaient rien. Maintenant, ils disent tout mais ne savent rien. » Christian Palka, journaliste à France Bleu Nord, a commencé sa carrière de l’autre côté du micro, sur un vélo. Ancien coureur cycliste de l’équipe Bic (de 1971 à 1974), « Palkuche », comme on le surnomme dans le peloton, pilote également depuis 1992 la voiture des journalistes de L’Humanité pendant le Tour de France. Il a pu observer l’évolution du travail des reporters dans le monde du cyclisme.

« Le mec [le journaliste qui suit les courses cyclistes, NDLR] monte dans sa bagnole à la sortie du village de départ et file en salle de presse, pour suivre la course à la télévision. Avant, les journalistes logeaient dans les mêmes hôtels que les coureurs ou à proximité. Ils participaient à la vraie vie de la course et avaient plein d’images en tête. Ils pouvaient faire du sensationnel seulement en parlant de la course… », rappelle-t-il. Le Nordiste reste en tout cas attaché à « [sa] famille », le cyclisme.

Le cas de Cédric Vasseur, accusé - puis blanchi - d’avoir consommé de la cocaïne, pose d’ailleurs problème à l’ancien coureur. « Je l’ai toujours dit à mon rédacteur en chef : "S’il y a une affaire avec Laurent Lefebvre ou Cédric Vasseur, tu te débrouilles !" » Aussi, « quand on a parlé de l’affaire Vasseur, je suis allé le voir et lui ai demandé de m’expliquer. Cédric m’a répondu qu’il n’avait rien fait. Avec le temps, il s’est avéré que cela s’était passé comme cela ». Christian Palka refusait de causer du tort à un ami. « C’est vrai que je m’en suis occupé à décharge. Ce n’est pas très journalistique, mais c’est ma démarche », avance-t-il.

« Le journaliste de sport est guidé par l’émotion »

Pierre Ballester, lui aussi, a longtemps été attiré par le monde sportif. Ancien membre de la rédaction de L’Equipe, ce « journaliste de sport », comme il se définit, a également travaillé pour l’AFP, notamment au bureau de Londres. Il a co-écrit, avec l’Irlandais David Walsh (chef du service des sports au Sunday Times de Londres), un ouvrage d’investigation sur le coureur américain Lance Armstrong (1), qui met en avant les pratiques déloyales du vainqueur du Tour de France. Celui-ci a d’ailleurs intenté un procès aux deux auteurs, qui devrait se tenir l’année prochaine.

Pierre Ballester a longtemps été admiratif des performances des sportifs. « Le journaliste de sport est guidé par l’émotion, décrypte-t-il. Comment aller à l’encontre et briser le rêve ? (…) On est trop content d’être là. (…) Je suis arrivé avec beaucoup d’enthousiasme. C’était l’occasion de voyager. » Ses premiers cas de conscience remontent aux « affaires » qui ont éclaté dans le cyclisme et qui ont culminé avec le procès de l’équipe Festina, qui a eu lieu à Lille en 1998. Entre « journaliste de sport ou journaliste tout court », il a alors choisi la seconde option pour parler « d’un mal qui ronge le sport ». Corruption, violence… « Ça arrive », note Pierre Ballester. « Pourquoi ignorer sciemment tel pot-de-vin, tel accident ? »

Pour un journaliste sportif, ou « de sport », il est difficile de « passer du reportage à l’investigation », affirme Pierre Ballester. « On n’avait jamais eu ça dans le journalisme de sport. Lors de l’événement OM-VA, on ne voulait pas poser ce genre de questions. La mort de Pantani n’a rien changé. » Mais, lorsque les collègues des hebdomadaires généralistes, notamment, ont aligné les révélations, les journaux sportifs ont bien dû réagir. Pierre Ballester était encore à L’Equipe : « On était à la traîne en matière d’investigation. Nos carnets étaient remplis de numéros de coureurs, de directeurs sportifs… Mais il fallait aller au-delà : brigade des stups, flics, magistrats… On était à la rue. »

« Pourquoi focaliser sur le cyclisme ? »

Dans son propre journal, l’intérêt que manifeste vite Pierre Ballester pour ces sujets est d’abord approuvé par sa rédaction en chef. « J’avais carte blanche », affirme-t-il. Puis, quelques signaux lumineux passent à l’orange. Le journaliste se souvient ainsi d’un coup de fil de sa rédaction en chef pendant le procès Festina, le jour où Jean-Marie Leblanc, le directeur du Tour, doit témoigner. On lui fait alors comprendre que si les questions des juges se font gênantes, il faudra édulcorer tout cela dans le compte-rendu du lendemain… Ce qui ne sera pas la peine : le président du tribunal avait décidé de ne pas malmener le témoin. Quant aux collègues de Pierre Ballester, selon son propre décompte, seuls « deux étaient intéressés à voir comment le cyclisme vivait de l’intérieur », sur la dizaine de rédacteurs qui suivaient le cyclisme au sein du quotidien.

Puis, les relations se sont franchement dégradées entre Pierre Ballester et sa hiérarchie, jusqu’à ce qu’il soit viré en quelques jours. « L’Equipe est un journal qui vend du sport », rappelle-t-il. Il a cependant gardé certains contacts et raconte ainsi que depuis son départ, le quotidien a nommé un « Monsieur dopage », celui-là même qui a signé les dernières révélations sur Lance Armstrong. De fait, les autres journalistes se trouvent « dédouanés » de toute recherche sur ces questions. D’après les informations de Pierre Ballester, le « Monsieur dopage » serait loin d’être bien vu par tous ses collègues. Le journaliste reconnaît là des moments qu’il a lui-même vécu.

« Pourquoi focaliser sur le cyclisme ? », s’interroge de son côté Eric Maitrot, journaliste, directeur des études à l’Ecole supérieure de journalisme (ESJ) de Lille et auteur d’un livre sur le dopage dans le sport (2). « Il est injuste que le cyclisme soit trop souvent montré du doigt », estime-t-il, évoquant notamment le football ou le tennis parmi les sports touchés et pourtant peu évoqués dans les articles consacrés au problème. « Mais le cyclisme a donné le bâton pour se faire battre. On ne peut pas citer ici le nom d’un vainqueur du Tour de France dont on soit sûr qu’il n’ait jamais rien pris ! » Alcool, amphétamines, l’histoire du cyclisme, qui a « l’habitude du petit coup de pouce », est soumise à « une culture du dopage. » « La dérive toxicomane [du cyclisme] n’est pas due aux journalistes ! », résume-t-il.

« Un métier particulier »

Plus globalement, « on se fiche du monde quand on fait croire qu’on lutte contre le dopage. La lutte n’est pas sincère ». Dans son livre, Eric Maitrot évoque ainsi le tollé qu’a causé un contrôle inopiné de l’équipe de France de football, en décembre 1997, alors que celle-ci est en stage de préparation à Tignes. Cette affaire vaudra d’ailleurs au responsable médical du ministère des Sports un lâchage en règle de la part de la ministre de l’époque, Marie-George Buffet.

Autre interrogation : pourquoi les informations liées au dopage ne sont-elles que rarement le fait des journalistes de sport ? Ils « exercent un métier particulier », avance Eric Maitrot, « on ne les forme pas assez à cela ». Pour sa part, s’il a travaillé à L’Equipe, il a également assez vite varié ses registres, écrivant par exemple (pour Télérama et Le Nouvel Observateur notamment) des enquêtes sur les liaisons dangereuses qu’entretiennent le sport, la télévision et l’argent (3). Si la motivation des étudiants attirés par le journalisme sportif est « de fréquenter les champions », le responsable des études de l’ESJ les prévient immédiatement : « Vous êtes mort du point de vue du journalisme. Vous entrez dans la famille. (…)Quand on est dedans, on fonctionne un peu en vase clos ».

L’image de Cofidis n’a pas souffert

Père d’un jeune champion cycliste et PDG de la société de crédit à la consommation Cofidis, François Migraine voit les choses de l’autre côté de la barrière. Il a poussé son entreprise à investir dans le cyclisme professionnel. Celle-ci y consacre environ 11 millions d’euros par an. « Nous avons démarré en 1997. La première affaire, Festina, éclatait en 1998 », rappelle-t-il, non sans ironie. Depuis que Cofidis a investi dans le circuit professionnel, son taux de notoriété a augmenté régulièrement.

« Il s’agit d’abord d’un investissement économique », rappelle son PDG. Pourtant, après Festina, l’équipe Cofidis a, elle aussi, été mise en cause. L’instruction qui vient de s’achever a débouché sur sept mises en examen et n’a « pas mis en évidence une filière organisée d’approvisionnement de produits dopants mais plutôt un système fondé sur le "dépannage" et le "bricolage" », écrivait Le Monde dans son édition des 2 et 3 octobre derniers. « Paradoxalement », cette affaire n’a pas altéré le taux de notoriété de l’entreprise nordiste. « Que voulez-vous que j’y fasse ? », demande son dirigeant.

Avec d’autres sponsors français, comme la Française des Jeux, Cofidis avait créé un code d’éthique, « une espèce de garde-fou », assure François Migraine. « On ne donne pas dans le cyclisme pour faire de la publicité sur le dopage. Nous avions la naïveté de croire que cette démarche nous préserverait. 2004 a montré qu’il n’en était rien. » Malgré les affaires qui entachent le cyclisme, François Migraine rappelle que « le sport a besoin des sponsors et les sponsors ont besoin du sport. C’est un jeu à plusieurs acteurs ». Le PDG de Cofidis récuse les accusations de collusion entre sponsor et dopage. « Y a-t-il eu tricherie ou pas ? Le seul qui le sache, malheureusement, c’est le coureur. »

Perquisitions et écoutes dans les rédactions

Quand l’affaire Cofidis a éclaté, « on a pris cela en pleine poire, raconte le PDG. Un coup de poing dans l’estomac aurait été la même chose. (…) Je ne supporte pas qu’on ait mis en doute mon honnêteté. On a laissé supposer que le dopage était organisé. On n’a jamais imaginé que nous puissions être innocents. Je m’interroge aussi sur l’éthique de la médiatisation des choses. » Cofidis a d’ailleurs engagé une procédure judiciaire, impliquant des journalistes de l’Equipe et du Point. « Mon problème n’est pas le travail des journalistes, indique François Migraine, mais ceux qui ont transmis les informations aux journalistes ».

Plus généralement, dans le cadre de cette deuxième instruction, concernant les fuites dans la presse de la première enquête, c’est le respect du secret des sources des journalistes qui est en cause. Des perquisitions ont en effet eu lieu dans les rédactions des deux journaux et des écoutes réalisées sur les lignes des journalistes, exposant du même coup les sujets sur lesquels ils enquêtaient.

Mis en cause dans cette « affaire Cofidis », avant d’être innocenté, le coureur nordiste Cédric Vasseur s’apprêtait à prendre le départ de Paris-Nice quand « une journaliste m’a appelé pour me dire qu’on avait trouvé des traces de cocaïne dans mes cheveux », rappelle-t-il. « La journaliste a publié les résultats d’une analyse qu’elle s’était procurée je ne sais comment. J’ai toujours nié avoir consommé de la cocaïne. Il a fallu neuf mois pour savoir que l’analyse ne me concernait pas [NDLR : l’instruction a mis en évidence que les tests capillaires avaient été réalisés sur des cheveux n’appartenant pas à Cédric Vasseur et que des PV trafiqués avaient été signés à sa place…]. Il y a des coureurs sont réellement clean. »

Rancune tenace envers certains journalistes

Cédric Vasseur voue encore une rancune tenace envers certains journalistes. « Il faut [que les journalistes prennent] plus en considération la personne », souligne-t-il. « Le journaliste a le devoir de se poser des questions. Il ne doit pas aller à 100% dans une seule direction. On traîne comme un boulet le décès de Simpson et l’affaire Festina. » Le coureur a eu l’impression d’avoir été trompé. « Après 250 kilomètres de course, on est attendu par une trentaine de journalistes. Certains essaient de nous faire dire ce qu’on ne doit pas dire… » Désormais blanchi, le coureur nordiste affirme être « toujours boycotté par L’Equipe » mais « conserve de bonnes relations avec quelques journalistes ».

Pour Eric Maitrot, le cas de Cédric Vasseur peut s’expliquer par « l’amalgame créé par des menteurs, comme Ben Johnson, Maradona ou Virenque », qui avaient farouchement nié s’être dopés, avant de revenir sur leurs déclarations. Pour le journaliste, « la proximité des sources est le véritable problème. On en parle aussi dans le show-business, en politique. (…) Les champions savent très bien en jouer. » Cette remarque résume assez bien la différence de conception du rôle du journaliste qu’ont Eric Maitrot et Pierre Ballester d’un côté, Christian Palka de l’autre. Ce dernier refusant l’idée de ne pas avoir « d’amis » dans le peloton, quand Pierre Ballester confie avoir « failli en avoir un », avant que l’un et l’autre comprennent qu’il valait mieux prendre ses distances.

Un rôle de prévention ?

Au-delà du haut niveau, le dopage dans le sport est aussi un problème de santé publique. « Des gens se piquent avec de vraies merdes », lâche Eric Maitrot, avant d’évoquer des témoignages poignants recueillis dans des structures d’écoute spécialisées. Rejetant l’idée que toute pratique sportive est forcément sale, il estime néanmoins que le journaliste de sport a, dans ce domaine, un devoir d’alerte.

Au fil des questions et des quelques passes d’arme entre intervenants, une certaine incompréhension réciproque a aussi été mise en évidence. Cédric Vasseur refuse ainsi que les pratiques de certains discréditent tout le monde. De son côté, Eric Maitrot, rejoint sur cette ligne par Pierre Ballester, estime que « malheureusement, le dialogue est impossible ». Les deux journalistes n’arrivent pas à admettre qu’un coureur cycliste puisse affirmer : « Lorsque je finis dixième d’une épreuve, c’est que devant il y en avait neuf plus forts que moi »…

Mathieu HEBERT, Ludovic FINEZ et Barbara SIX

(1) « L.A. confidentiel. Les secrets de Lance Armstrong », Pierre Ballester et David Walsh, Editions de La Martinière. Une version mise à jour est sur le point de sortir.

(2) « Les scandales du sport contaminé. Enquête sur les coulisses du dopage », Editions Flammarion.

(3) Eric Maitrot est aussi l’auteur de « Sport et télé, les liaisons secrètes » (1998, Flammarion) et de « L’histoire secrète des bleus » (2002, Flammarion).


 

 

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