- Thierno Diallo a raconté son parcours aux élèves de Terminale
La rencontre démarre par une brève présentation de Thierno et de son parcours de journaliste dans son pays.
« Je m’appelle Thierno Diallo, journaliste, je viens de Guinée-Conakry. Je suis arrivé en France il y a 3 ans. Présentement, je suis demandeur d’asile en France.
En 2008 il y a eu la libéralisation des ondes en Guinée, ce qui a coïncidé avec ma dernière année de formation à l’Université. J’ai été recruté par la troisième radio privée du pays, Horizon FM, où j’ai travaillé pendant plusieurs années en tant que journaliste-reporter. Par la suite, j’ai intégré la presse écrite par le biais du journal le Renard. Mon travail consistait à publier des articles et mener des enquêtes sur des sujets d’actualité. En juillet 2015, c’est une enquête dans laquelle j’ai fait une révélation sur le financement illicite de l’élection présidentielle qui est à l’origine de mes ennuis. J’ai fait l’objet d’arrestation, de menace, de persécution et aujourd’hui je suis recherché par les autorités de mon pays. Mon confrère, avec qui j’ai mené l’enquête, est porté disparu et jusqu’à présent nous n’avons aucune nouvelle de lui. Tout porte à croire qu’il a été tué. En cas de retour, je crains le même sort que lui.
Depuis mon arrivée en France, je ne suis pas resté les bras croisés. Afin de reconstruire ma vie professionnelle, j’ai animé bénévolement une émission pour la radio Rencontre FM à Dunkerque. J’ai aussi travaillé bénévolement pour d’autres associations humanitaires et aujourd’hui j’ai repris une formation à l’Université de Lille."
Après cette introduction, Thierno Diallo s’est prêté à l’exercice des questions-réponses avec des lycéens curieux et intéressés par cet échange sur la réalité du métier de journaliste dans un pays où la liberté de la presse est en grande difficulté.
- Des élèves en pleine discussion avec Thierno Diallo
Quel est l’état de l’information en Guinée ?
« Bien que la création d’un journal soit libre, la presse écrite guinéenne est confrontée à de nombreux obstacles économiques et de diffusion. Les journaux du pays sont généralement diffusés à quelques milliers d’exemplaires et ont des difficultés à être publiés avec régularité. Par ailleurs, la distribution des journaux en dehors de la capitale et de sa région n’est pas fiable. Comme dans de nombreux pays africains, la radio reste le média dominant. De nombreuses stations de radio privées existent aux côtés du radiodiffuseur public. Le pays compte aussi quelques chaînes de télévision privées qui opèrent à travers le pays. Internet est encore peu développé dans le pays et reste limité aux principales zones urbaines."
Selon Thierno, « La création de médias s’est libérée, mais les journaux publics ne sont pas libres, il faut le savoir. Pour les médias indépendants, certains tiennent tête, mais ce n’est pas facile. […] Il y a une censure gouvernementale, si une information non-favorable est diffusée, l’autorité « conseille » de supprimer la publication... En Guinée, il arrive même que la Haute Autorité de la Communication ne réponde pas aux demandes d’agrément des médias pour ensuite leur reprocher de ne pas être en règle. »
« La liberté de la Presse est en pleine régression. C’est une époque difficile pour les hommes de médias qui sont de plus en plus persécutés dans mon pays. Nombre de journalistes ont dû fuir le pays à la suite d’articles controversés. Ce qui explique le classement par RSF de la Guinée au rang de 104éme sur les 180 pays en matière de liberté de la presse. »
Quelles sont les informations que vous avez révélées qui vous ont mis en danger ?
« En 2012, j’ai enquêté sur un trafic à l’aéroport de Conakry. Des vols non-enregistrés y atterrissaient et transportaient des stupéfiants. En 2015, le chef de ce réseau a refait surface et a fait une campagne d’affichage annonçant son soutien à l’un des candidats à l’élection présidentielle. J’ai écrit un article sur le financement illicite de la campagne, diffusé dans le journal le Renard, et depuis, j’ai des problèmes. Je ne m’attendais pas à ce que cette révélation ait un impact si fort sur ma vie. »
Vous avez été menacé ?
« J’ai eu des menaces téléphoniques en faisant des recherches sur mon confrère disparu. On m’a dit « tu seras le prochain ». Mon domicile a été perquisitionné et j’ai senti le danger. Actuellement, il y a un avis de recherche à mon encontre ». « Mon collègue est porté disparu, on ne sait pas s’il a été exécuté, incarcéré... ». « Je ne suis pas la seule victime de la répression, les menaces font partie de la vie quotidienne du journaliste. Ce ne sont pas les institutions qui sont menaçantes, ce sont les individus ». (voir une revue de presse proposée par Thierno Diallo en fin d’article NDLR)
Avez-vous vécu une tentative de corruption ?
« Quand mon article est sorti, tous les exemplaires du journal ont été achetés pour faire disparaître l’information. Souvent, quand on enquête, il y a des tentatives d’achat, mais les journalistes ne se laissent pas faire, c’est une vocation. »
Avez-vous des regrets ?
« Non, j’ai fait mon travail de journaliste, mais je n’avais pas prévu les conséquences. Je ne regrette pas d’avoir donné une bonne information sourcée. Je suis satisfait sur le plan professionnel, mais c’est difficile personnellement. Après coup, peut-être aurais-je dû publier sous-pseudonyme. C’est fréquent en Guinée, l’important, c’est que l’information sorte ». « La liberté de la presse, c’est un droit, pas un privilège ».
Comment avez-vous quitté le pays ?
« Je suis parti du jour au lendemain. Étant journaliste, je ne me sépare jamais de mon passeport et de ma carte de presse. J’avais un visa Schengen, alors j’ai pris le premier avion pour Paris. Je n’ai pas connu la traversée de la Méditerranée ».
Êtes-vous en sécurité en France
« Oui, mais je me méfie. Il y a une présence diplomatique de mon Pays en France. Je ne sors pas à n’importe quelle heure et je choisis mes contacts. »
Qui vous aide en France ?
« Le Club de la presse Hauts-de-France, qui me soutient dans ma démarche de demande d’asile, et un réseau de familles du Nord qui accueillent des demandeurs d’asile ».
Quels sont vos projets ?
« Je voudrais continuer mon métier de journaliste, c’est une volonté ». « La situation est difficile, car j’ai toujours voulu travailler dans mon pays ». « J’essaie de reconstruire ma vie professionnelle et j’ai repris des études en communication à l’Université de Lille ».
Comment couvrir la présidentielle guinéenne de 2020 ?
« En 2010 et 2015, un studio unique et une équipe de 100 journalistes ont été mis en place pour informer des résultats dans les différentes régions. »
« Mais en période électorale, il y a toujours des risques, car tout le monde est impliqué. Les principaux opposants sont des universitaires, mais il y a forcément des financeurs pour les soutenir. Ce qui domine dans le pays, c’est l’ethnicité, il y en a une au pouvoir et elle lutte avec les autres pour maintenir son influence. » « Le président Alpha Condé est un ancien opposant, mais une fois arrivé au pouvoir, il fait comme les autres ». « C’est difficile d’accéder au pouvoir, après ils veulent tous y rester ».
En Guinée, la presse malmenée :
A-Le 05 février 2016, Mohamed Koula Diallo était abattu au siège de l’UFDG dans l’exercice de ses fonctions. Après des enquêtes de près d’un an et demi et un procès en dents de scie de six mois, la justice guinéenne n’a pas su trouver le coupable de ce meurtre
B-Guinée/Justice : les dossiers Koula, Abdoulaye Bah, Chérif Bah classés sans suite ?
C-Insécurité :le journaliste Mountagha Touré échappe à une tentative d’assassinat.
D -Des journalistes poursuivis par le DG des douanes : la caution fixée à 80 millions
E-le journaliste Thierno Maadjou Bah suspendu pour un mois par la HAC.