De nombreux journalistes des Hauts-de-France ont répondu présent lors de cette visioconférence à bâtons rompus pour débattre des débuts de la mobilisation, des modes de traitement, de la nature du mouvement et de ses participants ou encore des revendications. Des journalistes de la presse quotidienne (La Voix du Nord et le Courrier Picard), de la presse hebdomadaire régionale (Liberté Hebdo, L’Observateur du Valenciennois et L’Indépendant du Pas-de-Calais), ainsi que des correspondants de médias nationaux (Le Monde, Libération, l’AFP) et des journalistes de France 3 et du média en ligne Lille actu ont débattu pendant plus de deux heures.
Sociologue spécialisé dans l’étude des médias et du journalisme et président des Entretiens de l’Information, Jean-Marie Charon a orchestré ce débat truffé de témoignages de terrain et de mises en perspective.
"Un réel besoin de parler"
Pour les journalistes présents, le mouvement des Gilets jaunes a évolué au fil des samedis de manifestations. « Au début, sur les ronds-points, on sentait que les gens avaient un réel besoin de parler : de la précarité, du manque de pouvoir d’achat ou encore de la fiscalité excessive », témoigne une correspondante. « Beaucoup étaient des primo manifestants. Au début, on ne comprenait pas ce qu’ils représentaient et quel était leur mot d’ordre », ajoute un rédacteur en chef.
« J’ai vu une grande détresse chez ces gens, mais il n’y avait pas de leaders au début. Comme cela n’était pas structuré, on était un peu dans le grand n’importe quoi », témoigne un photojournaliste. Pas facile dans ces conditions de mettre en perspectives les événements. « D’habitude, nous avons des leaders syndicaux par exemple vers qui se tourner, là il n’y avait personne, ajoute un journaliste. D’autant que les revendications étaient diverses d’une ville à l’autre. Nous nous sommes dit qu’il fallait suivre le mouvement de près pour se faire une idée. Car il n’y avait pas vraiment de mot d’ordre, c’était essentiellement de la colère. Puis, quand on a vu l’impact sur Facebook, nous avons compris que le mouvement allait prendre de l’ampleur. »
"Des actes de violences"
Quand le mouvement s’est mué en de vastes manifestations chaque samedi, une certaine prise en main par des mouvements radicaux, de droite comme de gauche, s’est opérée : « Les gens rejetaient tout : le gouvernement mais également les médias coupables selon eux de jeter le discrédit sur le mouvement des Gilets jaunes en ne mettant l’accent que sur les actes de violences », note un journaliste.
« C’est vers la quatrième semaine que le mouvement s’est durci contre les journalistes, particulièrement contre les équipes de télévision, se souvient une journaliste de télévision nordiste. Nous avons subi une double violence : d’un côté les manifestants hostiles aux médias et de l’autre les policiers. L’exercice de notre métier était quelque peu similaire à une zone guerre. Nous avons dû faire appel à des gardes du corps et plusieurs journalistes ont été malmenés. On nous jetait par exemple des pétards. Pour la première fois, j’étais dans l’incapacité de faire mon métier de journaliste. C’était compliqué, mais on a tenu. »
De la pédagogie
Un autre journaliste picard présent lors du séminaire complète : « Nous avions du mal à faire comprendre aux Gilets jaunes que nous étions là pour retranscrire une réalité et non pas pour être du côté du pouvoir. Nous avons dû faire preuve de pédagogie, mais au fil des semaines cela est devenu de plus en plus compliqué. »
Enfin, les journalistes nordistes ont tenu à souligner l’importance des Facebook live dans ce mouvement : « Pour les Gilets jaunes, les Facebook live, filmés en continu, étaient synonyme de retranscription fidèle et sans filtre de la réalité. Nous avons essayé alors de leur expliquer les règles journalistiques de hiérarchisation de l’information. »
Rappelons qu’une synthèse des échanges sera réalisée sur le site observatoiredesmedias.com et que ces séminaires sont l’un des volets d’une démarche plus large avec des travaux de chercheurs et d’étudiants (Université Paris 2) centrés sur la mobilisation des Gilets jaunes avec un travail sur les images archivées par l’INA et les outils d’indexation de l’Institut. Ce programme doit se conclure par un colloque à Paris et des publications.
Pour plus d’information sur cet échange, vous pouvez consulter le compte rendu de Jean-Marie Charon en cliquant sur ce lien
M.P