Edito

Schick ! Un salaud sur les ondes
(Petit édito léger… ou lourd)

La presse est unanime. Une fois encore. Une fois de plus. Une fois de trop. Les journalistes sont individualistes, dit-on. Mais leur plume, une fois trempée dans l’atmosphère blogosphérienne parisienne, est grégaire. Il suffit de désigner la cible. L’homme ou la femme à abattre. Bref : l’objet de la polémique du jour. Et tous décochent dans le même sens et cette belle unité qui fait tant défaut lorsqu’il s’agit de défendre les valeurs d’une profession en voie de précarisation avancée.

En voie seulement. Car tous ne sont pas concernés. Juste certains faiseurs d’opinion collective. Ceux qui appuient sur le bouton rouge des sites internet des grandes rédactions parisiennes. Pour eux, une source d’information suffit : le herès. Le herès, souvent appelé par son petit nom (facebook, tweeter, etc.) peut être piloté par qui l’on veut. Cela n’a pas d’importance. C’est un objet violeur identifié mais dont la qualité du pilote importe peu. Ainsi, une personnalité politique, un ministre, un écrivain, un journaliste, une journaliste, une écrivaine, une ministre, un personnage politique utilisera ce magnifique véhicule pour dire ce qu’il pense à un moment précis (mais sans forcément dire où il ou elle se trouve, le but étant d’évacuer rapidement cette pensée) et aussitôt la blogosphère s’ébranle. 

L’interview décalée fait tweet

En l’occurrence, le gibier polémique de ce lundi 23 juillet était le journaliste Daniel Schick. Tweeter jouait le rôle du herès avec, aux commandes, Laurence Rossignol, sénatrice PS de l’Oise. Boum. Daniel, Schick, que je croyais encore animer l’excellente émission «  A Titre provisoire » (France Inter, c’était hier, c’était il y a très longtemps et cela ne nous rajeunit pas…) est donc désormais un salaud. Et pour être plus précis, selon les termes de Mme Rossignol, il est un « nuisible misogyne et lourd ». Qu’a-t-il commis ? L’irréparable via une interview « raciste et misogyne » (sic).

Ce lundi matin, sur Europe 1, il a reçu madame la ministre déléguée chargée des PME, de l’innovation et de l’économie numérique, Fleur Pellerin. Celle-ci, elle le savait bien, participait à une interview « décalée  », comme l’on dit lorsque l’on veut tenter de faire original et pas trop politiquement correct. Lorsque l’on veut faire léger, insolent et sérieux sans se prendre soi-même au sérieux. C’est l’été après tout.

Ainsi donc, Schick, Daniel de son prénom, reçoit Fleur Pellerin et lui pose d’épouvantables questions en guise d’introduction à son interview « décalée  ». En fait, sur les 5 minutes et trente secondes que dure l’entretien (décalé), le tweet de la sénatrice de l’Oise n’en retient que les premières secondes : "Savez-vous vraiment pourquoi vous avez été choisie ? Parce que vous êtes une belle femme issue de la diversité ? Parce que vous appartenez à une minorité peu visible ? Que vous êtes la preuve de ce qu’est une adoption réussie ? Que vous êtes un signal fort donné aux marchés asiatiques ? Peut-être aussi parce que vous êtes compétente ?".

Perfidies en série

Il s’agit d’une introduction, que le journaliste insolent Daniel Schick voulait à n’en pas douter humoristique. Et la ministre ne s’y trompe pas lorsqu’elle répond, en riant, « ça commence très très mal ». Elle ne se fâche pas, la voix reste claire, enjouée et agréable. Pour qui, parmi les internautes de Tweeter, dénonce le « degré zéro de l’interview », il faudrait réécouter la suite, c’est-à-dire les cinq minutes restantes. Quels sont les sujets abordés ? Le sort du conjoint d’un ministre lorsqu’il est journaliste, les couples mixtes, la diversité et les minorités, l’incident survenu chez l’opérateur Orange, les limites du pouvoir d’un ministre, les difficultés à mobiliser l’action publique, les contraintes gouvernementales, etc.

Quel journal, quel journaliste, jettera la première pierre à Daniel Schick ? Pratiquement tous. Sur le net, chacun y va de sa petite perfidie. « Macho men », titre Le Monde. « Fleur Pellerin, ministre car belle femme issue de la diversité ? ». Mais le Monde cite la réaction de Mme Pellerin sans préciser qu’elle rit. « Misogynie bonjour », s’exclame Rue 89. L’Express s’interroge : « Fleur Pellerin victime de propos misogynes ? » 20 minutes note que l’interview est jugée « raciste et misogyne ». Le Nouvel Observateur fait le rapprochement entre les propos de Schick et l’attitude des députés UMP dans l’hémicycle, envers Cécile Duflot et… Fleur Pellerin.

A noter qu’aucun de ces sites n’omet de publier une photo de la « belle  » ministre. Tiens donc. C’est sans doute dans le but d’informer le lecteur. Le plus hypocrite étant sans doute le Nouvel Observateur qui, dans sa version papier hebdomadaire, ne manque jamais d’attiser le voyeurisme de ses lecteurs.

Degré zéro de l’analyse

Surtout, on ne lit aucune analyse. Nulle part. Chaque média se fait l’écho de la seule et unique source déclarée : Mme la sénatrice Laurence Rossignol et ses deux lignes de tweet. Revenons pour notre part sur le fond de l’interview et même sur les premières phrases d’introduction. Même s’il y met de la fantaisie (légère ou lourde), Daniel Schick pose une vraie question que l’on tente régulièrement d’occulter : celle, justement, de la représentation des minorités dites « visibles  ». Il y a une dizaine d’années, on dénonçait encore les discriminations raciales dans les différents corps de métiers, l’absence de représentation dans les partis politiques (il faut attendre le gouvernement Raffarin pour voir un timide début de changement), la discrimination raciale, encore, à la télévision.

«  A quand un Noir ou un Arabe à la place de PPDA ou de Pujadas », écrivions-nous dans la Lettre du Club de novembre 2004 (n° 64). « Il y a des gens intelligents qui font des programmes intelligents et qui, un jour, se rendront compte qu’il existe une grosse tranche de la population, en France, qui ne se reconnaît pas dans les animateurs ou dans ce qu’on leur propose dans les émissions » observait à la même époque Patrick Fandio, grand reporter à TF1.

Or, que dit Fleur Pellerin, répondant à Daniel Schick : « Je ne me sens pas représentative d’une minorité visible ou invisible. Mais que je représente un symbole pour une communauté, je le comprends ». Elle le comprend, mais elle sait aussi que certains symboles peuvent faire mal ou être mal interprétés. Dans les années 90, les politiques se cassaient le nez sur la problématique de l’intégration et les médias se complaisaient en vantant l’exemplarité d’Isabelle Adjani. Au risque de renvoyer les jeunes Français nés de parents étrangers dans leur marginalité avec cette condamnation implicite : « Si vous ne réussissez pas dans la vie, c’est parce que vous ne travaillez pas, c’est parce que vous êtes nuls ».

« Virez le !!! »

Le discours a peu évolué depuis. Ce sont les réalités qui ont changé. Qu’un journaliste ose interpeller une ministre française née en Corée et adoptée par un couple français n’a rien d’insultant, ni de raciste. Ce n’est pas Mme Rosssignol qu’il faut interroger, c’est celle qui a des choses à dire sur le sujet. Mais ici, on n’interroge même pas Mme Rossignol. On reproduit ses propos et on en ajoute dans l’invective.
C’est ainsi que la sénatrice de l’Oise conclut, abrupte, à propos de Daniel Schick : « Virez-le, il le mérite ». Bien. Europe 1 est une radio privée qui n’a pas à obéir aux injonctions d’un ou d’une politique, qu’elles que soient les qualités dont elle ou il a pu faire preuve dans le passé. Il faut donc supposer que Mme Rossignol plaisantait. Encore heureux que la scène ne se déroulait pas sur les ondes publiques. Voilà donc que pointe à nouveau la sempiternelle question : « Peut-on rire de tout ? » Le temps où France Inter mettait fin au contrat de Stéphane Guillon et de Didier Porte n’est pas loin. France Inter ne rigolait pas.

Un raciste, un bon, un vrai, un dur

Mme Rossignol a-t-elle ainsi plaisanté au propos d’Eric Zemmour, en demandant sa tête, le 13 novembre 2008, dans l’émission d’Arte, « Paris-Berlin, le débat » ? Ce soir-là, l’éditorialiste du Figaro avait remis l’existence des races humaines au goût du jour. Face à Rockhaya Diallo, présidente de l’association « Les Indivisibles », il affirmait avec aplomb qu’ il « existe des races reconnaissables à la couleur de la peau ». Il dénonçait ensuite le métissage (thème de l’émission) et défendait la hiérarchie des cultures.

Voilà ce qu’il convient d’appeler du racisme. Au sens premier comme au sens secondaire du terme. Rien à voir avec les propos de Daniel Schick. Pour animer l’émission, le 13 novembre 2008, la journaliste Isabelle Giordano avait fait preuve d’une complaisance hors du commun, laissant Eric Zemmour aller au bout de son délire racialiste. A-t-on dénoncé un quelconque degré zéro de l’animation et du journalisme ?

Enfin, une dernière question se pose. Si la blogosphère s’est emballée sur les phrases de Daniel Schick, elle n’a pas, ou si peu relevé ce passage sur les relations commerciales avec la Corée du Sud. Bizarrement, on n’entend pas un pet de tweet lorsque Daniel Schick évoque une probable relation entre un éventuel réchauffement diplomatico-commercial franco-coréen et la filiation de la ministre. Au contraire, cette dernière confirme qu’elle est bien considérée en Corée du Sud comme « une icône » et qu’elle ira pour aider les entreprises françaises à exporter. L’épouvante de la sénatrice s’arrête à la frontière du libéralisme social-démocrate.

Fort heureusement, il reste le rire et le sens de l’humour de la ministre. Mme Rossignol gagnerait peut-être à relire Jean-Baptiste Botul, « Quand le rire se fit gravité, l’humanité cessa de péter de joie. Elle se fit triste, pleura beaucoup, s’alanguit. Puis mourut. »

Philippe Allienne


 

 

 

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