« Pour la première fois, on ne demande pas aux journalistes de venir couvrir un événement mais d’en être les acteurs, ce qui, je m’en rends compte depuis quelques mois, n’est pas dans nos gènes… » Jérôme Bouvier, journaliste, ancien de France Culture notamment, était au Club de la presse mardi 16 janvier pour présenter les Assises internationales du journalisme, qui se dérouleront les 7, 8 et 9 mars prochains, à Lille et Arras. La profession compte 37 000 journalistes cartés, et donc beaucoup plus en comptant les situations atypiques, mais « aucune manifestation nationale » pour se retrouver et échanger, déplore-t-il. « Ce métier si exposé n’a pas de rendez-vous », insiste-t-il, alors même que le « journalisme est remis en cause » sous de nombreux aspects. « Nous [les journalistes, NDLR] n’avons pas l’habitude de nous adresser aux citoyens [pour parler de] nos pratiques, nos interrogations… »
« Comment prévenir les tsunamis médiatiques ? »
- Denise Vaast, attachée de presse au Conseil Général du Pas-de-Calais et Marie-Josée Guérini, directrice déléguée auprés du Président de France Bleu Nord-Picardie-Champagne
Ces Assises s’articuleront autour de plusieurs moments. Tout d’abord, des ateliers le matin en parallèle, plutôt destinés aux professionnels. On se demandera ainsi s’il est « utile de former un journaliste » ou « Comment prévenir les tsunamis médiatiques ? ». On se penchera aussi sur les « pigistes : les invisibles de la presse » ou encore sur le travail des journalistes « dans les zones de conflit ». L’après-midi, des débats, avec entre autres : « Médias de proximité : quels moyens pour une information de qualité ? » ; « Quel prix pour être informé ? » ; « Un alter-journalisme est-il possible ? » Il s’en est d’ailleurs fallu de peu que le débat ne s’engage deux mois à l’avance, à la faveur des questions des journalistes. L’un d’entre eux, par ailleurs impliqué dans la vie du SNJ, a ainsi fait remarquer que « toutes ces questions, cela fait 30 ans que nous y réfléchissons dans les syndicats ». Quant aux interrogations sur l’éthique de la profession, il a rappelé l’existence de la Charte des journalistes de 1918, que les « employeurs refusent de joindre aux contrats de travail ».
A noter aussi dans le programme, la restitution d’un questionnaire que diffuseront La Voix du Nord, France Bleu Nord et France 3 Nord Pas-de-Calais auprès de leurs lecteurs, auditeurs et téléspectateurs. Intitulé « Qu’attendez-vous de nous ? », il cherchera notamment à savoir ce que les téléspectateurs « pensent de notre traitement de l’information, à France 3 », explique Anne Brucy, directrice régionale. « Nous avons régulièrement des sondages qui mesurent l’audience, mais assez peu sur ce qu’attendent les auditeurs de l’information de proximité et régionale », embraye Marie-Josée Guérini, directrice de France Bleu Nord. « C’est l’occasion de prolonger le dialogue que nous essayons d’établir avec nos lecteurs », commente de son côté Pierre Mauchamp, pour La Voix du Nord. Les résultats de ce sondage serviront de support à la première « soirée citoyenne » des Assises, celle du 7 mars à Lille. La seconde, le lendemain à Arras, s’intitule : « Dans 6 semaines, la présidentielle ». L’occasion de s’interroger sur la façon dont les médias traitent ce rendez-vous crucial dans la vie de la démocratie.
- (de gauche à droite) Robert Ménard, Secrétaire Général de Reporters Sans Frontières, Jérôme Bouvier, organisateur des Assises du Journalisme, Daniel Deloit, directeur de l’Ecole supérieure de journalisme (ESJ) de Lille et Anne Brucy, directrice régionale de France 3 Nord Pas-de-Calais
Un changement dans le discours de RSF
Parmi les partenaires privilégiés de cette initiative, Jérôme Bouvier compte Reporters sans frontières (RSF), représenté lors de la conférence de presse par son tonitruant secrétaire général. « Ça n’était absolument pas naturel pour nous [de participer à un tel événement] », explique Robert Ménard. « En gros on ne s’occupe pas de la France [à RSF] », poursuit-il et « ce discours n’est plus tenable. » Il est vrai que l’association cherche surtout à dénoncer les atteintes à la liberté de la presse à l’étranger, en particulier dans les dictatures, tout en restant très loin de certains débats, en particulier sur les concentrations capitalistiques dans la presse et leurs conséquences sur les contenus, le pluralisme des opinions, etc. Les choses seraient-elles en train de changer ? Peut-être. « La France est de moins en moins bien classée dans notre propre baromètre [de la liberté de la presse] », remarque Robert Ménard. « C’était une raison de plus de répondre oui à cette invitation », admet le président de RSF, qui va même un peu plus loin : « Si on devait, à RSF, faire un début d’autocritique, [ce serait de dire qu’] on a négligé des questions qui nous sont renvoyées à nous, journalistes, avec tellement de violence qu’il faut y répondre. » L’autocritique a tout de même ses limites : « Je ne supporte pas d’entendre des gens dire –parce qu’il y a ici des problèmes– qu’on a les mêmes problèmes à faire notre métier [de journaliste] qu’en Corée du Nord. »
Pour Daniel Deloit, directeur de l’Ecole supérieure de journalisme (ESJ) de Lille, il était au contraire « presque naturel que l’école soit associée » à ces Assises. A 82 ans, en tant que plus ancienne école de journalisme d’Europe, l’ESJ « ne peut s’exonérer de sa responsabilité sociale et citoyenne », affirme-t-il. Dans cette « période de doute, de mutations », « l’Ecole estime que plus que jamais il faut former des journalistes professionnels, même si c’est une profession qui s’honore d’avoir d’autres voies d’accès. » Pour Daniel Deloit, une école comme l’ESJ ne doit « pas seulement [transmettre] des tours de main et des savoir-faire mais aussi des postures, des questionnements » et amener les futurs journalistes à réfléchir « au sens du métier, de leur engagement, de leur écriture… »
Des thématiques communes avec nos « ateliers réflexion »
Pour le Club de la presse Nord-Pas de Calais, membre du Comité d’organisation de la manifestation, il était également logique de répondre présent. « Ce qui se fera sur ces trois jours, nous essayons de le faire tout au long de l’année », explique Marc Dubois, président du Club. Les habitués des ateliers réflexions du Club retrouveront d’ailleurs dans le programme des thématiques déjà débattues dans nos locaux. Outre le contenu de la manifestation, le Club de la presse profitera du passage des Assises à Arras, le 9 mars, pour aller à la rencontre des journalistes du Pas-de-Calais. Mais aussi pour lancer officiellement la première version d’un projet ambitieux, un centre de ressources.
Ludovic FINEZ
Pour plus de détails sur le programme, consulter le site : www.assisesdujournalisme.com
Le site offre la possibilité d’apporter sa contribution à la préparation des différents débats.