Un été plein d’interrogations pour la presse : en France - La Lettre du Club 63 - septembre 2004

Entrée en fonction de Serge Dassault à la Socpresse, « faux » rachat de France Soir, incertitudes sur la chaîne de télévision internationale... Retour sur les principaux épisodes des « feuilletons de l’été ».

On a beaucoup parlé de Serge Dassault cet été, et pas seulement dans ses journaux. Son installation à la tête de la Socpresse n’est pas passée inaperçue. Élu le 8 juillet président du conseil d’administration de la Socpresse (70 titres, dont Le Figaro, La Voix du Nord et Nord Eclair), il a adressé un « message à tous les salariés de la Socpresse ». « Comme celui de chaque entreprise, le destin des journaux est régi par quelques formules simples. Recettes moins dépenses = profit. Dépenses moins recettes = déficit », écrit-il notamment, réservant un petit mot à « nos amis les annonceurs ».

Au Figaro, la Société des rédacteurs avait déjà rappelé ses exigences d’indépendance. Elle a pu vérifier que ses craintes étaient fondées. Il y a d’abord eu une coupe dans un article, le 19 août, sur l’achat par l’Algérie d’avions Rafale (fabriqués par Dassault). Le 8 septembre, Le Canard Enchaîné révèle que l’interview d’un intermédiaire sulfureux dans l’affaire des frégates de Taïwan a été décommandée. Là encore il est question d’avions Dassault, le Mirage cette fois-ci.

Évoqué lors d’une rencontre avec la Société des rédacteurs, le sujet a même été retiré du compte-rendu de la réunion. Subsistait tout de même cette remarque de l’industriel : certains « articles qui parlent des contrats en cours de négociation » risquent de « mettre en péril des intérêts commerciaux ou industriels de notre pays ». Ces interventions inciteront peut-être certains des 2 300 journalistes de la Socpresse à prendre la clause de cession.

Toujours au chapitre restructurations, à deux reprises cet été, des bruits, démentis par les intéressés, ont circulé sur la vente du pôle ouest de la Socpresse (Le Courrier de l’Ouest, Presse Océan, Le Maine Libre...) à Ouest-France. Le 25 août, le SNJ-CGT annonçait une décision imminente. Les syndicats comptaient d’ailleurs poser la question, et bien d’autres, lors du premier comité de groupe de la Socpresse, le 2 septembre. Ils n’ont pas pu le faire : Serge Dassault n’y a pas assisté.

Dassault-Bouygues : le divorce ?

Le groupe Dassault a également tenté de se rapprocher de Bouygues et de TF1. Révélées par Le Canard Enchaîné, les négociations allaient bon train début juillet sur une prise de participation de TF1 et de Bouygues, pour 5 % chacun. Avec à la clé de fructueux échanges publicitaires et des partenariats dans les télévisions locales. Dassault disposait, via ses quotidiens régionaux, d’une présence locale indispensable et TF1, des moyens techniques et de l’expérience. Mais les discussions ont capoté.

TF1 et Bouygues, en se réservant la possibilité d’une forte et rapide montée dans le capital de Dassault, ont visiblement effrayé leurs interlocuteurs. Dans l’autre sens, le ticket d’entrée réclamé par Dassault et l’état des comptes du groupe auraient refroidi Bouygues et TF1. Reste à savoir si le divorce est définitif ou si, après réflexion, les trois groupes se retrouveront autour de la table.

« Temps de cerveau disponible »

De son côté, Patrick Le Lay, PDG de TF1 a alimenté le feuilleton du « temps de cerveau disponible ». En mai dernier, paraissait, aux Éditions du Huitième Jour, Les dirigeants face au changement, un ouvrage au lectorat confidentiel, piloté par le Medef. Patrick Le Lay - dont la chaîne, privatisée en 1986, revendiquait le « mieux-disant culturel » - y déclare : « Le métier de TF1, c’est d’aider Coca-Cola, par exemple, à vendre son produit. Or, pour qu’un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible : c’est-à-dire de le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau disponible. »

Cet aveu serait passé inaperçu si l’AFP n’avait rédigé une dépêche reprenant la citation. La polémique a gonflé tout l’été, pour exploser à la rentrée. Télérama y consacrait même un dossier le 8 septembre, avec interview de Patrick Le Lay, dans laquelle il essaie de rendre ses propos plus présentables. Pour ceux qui avaient comme un doute, désormais, les choses sont clairement dites. À quand la même franchise de la part d’autres dirigeants de télé ou de boîtes de production ? Télérama a recueilli les réactions de diverses personnalités, dont plusieurs regrettent l’absence de prise de position des pouvoirs publics et du CSA. Dominique Baudis, président du CSA, répond : « Je ne fais jamais de commentaires sur des propos tenus par des dirigeants de chaîne ». Dont acte.

France Soir : le rachat bidon

Parmi les feuilletons de l’été, celui-ci ferait sourire s’il ne s’agissait de la survie d’un journal dont les heures de gloire sont bien lointaines. Le 16 juillet, le groupe italien Poligrafici Editoriale annonçait la revente de 51 % du quotidien, pour 7,1 millions d’euros, à un inconnu dans le monde des médias, la Financière Hoche, représentée par Jean-Pierre Brunois. Les journalistes du titre, qui n’ont pas été prévenus, se posent alors des questions.

Qui est Jean-Pierre Brunois ? Agit-il pour son compte ou pour un tiers ? A-t-il un projet ? Des moyens pour relancer un titre qui ne tire plus qu’à 73 000 exemplaires et perdrait 500 000 euros par mois ? Ne s’agit-il pas d’une liquidation déguisée ? Pour que la vente se fasse, l’avis du comité d’entreprise (CE), bien que consultatif, est indispensable. Estimant manquer d’informations, le CE refuse de se prononcer. Il devient vite évident que le « repreneur », marchand de biens immobiliers, n’a pas les moyens du rachat. De fait, la vente n’aura jamais lieu et les journalistes de France Soir sont dans l’inconnu.

Triste 60e anniversaire

La rédaction a cependant gardé un brin d’humour. Fin août, elle diffusait une petite annonce dans Libération : « Rédaction jeune, compétente, enthousiaste, masse salariale allégée, ayant affronté foultitude d’épreuves, cherche repreneur sérieux ayant deniers et envies à offrir à journal qui n’attend plus que vous pour remettre idées fraîches sous presse. Contacter francesoirenlutte yahoo.fr ».

C’est peu dire que France Soir a affronté une « foultitude d’épreuves ». Le quotidien est l’héritier du journal clandestin résistant Défense de la France, créé en juin 1941. En novembre 1944, Pierre Lazareff, le rédacteur en chef du Paris Soir d’avant-guerre (le journal de Jean Prouvost, interdit à la Libération), de retour des États-Unis, est nommé directeur. Il rebaptisera le quotidien France Soir et en fera, avec une bonne dose de populaire et une grosse rasade de racolage, un titre tirant à plus d’un million d’exemplaires. Très vite contrôlé par Hachette, France Soir a souvent changé de mains.

Racheté en 1976 par Robert Hersant, il était revendu par la Socpresse en 1999 à l’homme d’affaires Georges Ghosn, pour un franc symbolique. À son tour, Georges Ghosn cédait le titre en 2000 au groupe italien Poligrafici Editoriale, éditeur notamment de quotidiens régionaux à Bologne, Florence et Milan. Poligrafici Editoriale a échoué dans la relance de France Soir, qui a fêté un triste 60e anniversaire entre un repreneur bidon et une cruelle absence de plan d’avenir.

Résultats en baisse : Le Monde dégraisse

L’information, révélée par Libération début septembre, a été confirmée par la direction du Monde : le quotidien du soir a mis en place un « plan de sauvegarde de l’emploi ». Il porte sur la suppression de « 100 emplois », par des « départs volontaires », concernant « l’ensemble des cadres administratifs, des employés et des journalistes », mais « pas les techniques ». Les choses ne traîneront pas : tout doit être bouclé pour fin octobre.

Le Monde, qui construit son nouveau siège dans le XIIIe arrondissement, a connu plusieurs années difficiles. En juin, le groupe Le Monde annonçait pour 2003 « des pertes plus lourdes que prévues » : 18 millions d’euros, après déjà 19 millions en 2002. La direction avance trois explications : la baisse des ventes du Monde, (- 4,4 % en 2003, avec 389 000 exemplaires par jour) le recul du marché publicitaire (- 38 % en trois ans) et les difficultés de son imprimerie (4 millions d’euros de pertes en 20003). L’imprimerie du Monde a d’ailleurs, elle aussi, son plan de suppressions d’emplois, signé par le syndicat du Livre CGT. Il porte sur 92 départs, sur un total de 350 salariés.

CII verra-t-elle le jour ?

Il est d’autres médias qui, avant même d’être nés, suscitent des interrogations, comme la fameuse « CNN à la française », voulue par Jacques Chirac. Baptisé CII, pour chaîne d’information internationale, le projet a d’abord soulevé les protestations devant la mise à l’écart de RFI, Arte, Euronews ou encore TV5, malgré leur expérience internationale. Le rapport du député UMP Bernard Brochan, rendu en septembre 2003, préconisait un partage du capital entre France Télévisions et TF1 mais avec un financement sur fonds publics.

Le budget était estimé à 70 millions d’euros par an, pour une rédaction de 150 à 200 journalistes. Le 21 juillet dernier, coup de théâtre : Michel Barnier, ministre des Affaires étrangères, explique que les fonds manquent pour lancer la CII en 2005 et qu’il en sera peut-être de même en 2006. Nouveau virage à 180 degrés, le 1er septembre, avec une interview du ministre de la Culture dans Le Figaro, qui relance le dossier, tout en rouvrant la porte aux candidats évincés. On attend le prochain épisode...

Ludovic FINEZ


 

 

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