Une grâce présidentielle qui ne règle pas le problème de fond (juillet 2006)

Photo : La Maison de la Presse Tahar Djaout, à Alger, regroupe les sièges de nombreux journaux algériens (sur cette photo, le siège d’El Khabar). C’est là aussi que sont installés les bureaux de la FIJ. Photo Club de la Presse.

A l’occasion de la fête de l’Indépendance et de la jeunesse (le 5 juillet), le président algérien Abdelaziz Bouteflika vient de décréter une grâce pour les journalistes condamnés dans le cadre de délits de presse. Ce décret conforte celui pris le 3 mai dernier. Dans une déclaration au quotidien algérien El Watan (ce mercredi 5 juillet), la Fédération internationale des journalistes (FIJ) estime que rien ne sera réglé tant que subsisteront les articles du code pénal qui limitent fortement la liberté de la presse.

En sortant de prison, après deux ans de détention, le journaliste algérien Mohamed Benchicou ne manquait pas de rappeler que le combat pour la liberté d’expression et la liberté de la presse, dans son pays, doit plus que jamais se poursuivre. « Ma libération ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt », avait-il notamment déclaré. La grâce accordée par le président Bouteflika, lors de la journée internationale de la presse (le 3 mai), n’avait finalement concerné aucun journaliste. Il fallait, pour en profiter, être condamné définitivement, c’est-à-dire après épuisement des recours. Or, les personnes concernées à l’époque, et jusqu’à ce 5 juillet, étaient en cours d’appel. La presse avait alors beaucoup ironisé sur cette mesure, d’autant que le président avait choisi la date symbolique du 3 mai pour l’annoncer.

M. Bouteflika réitère dans le symbole avec cette fois le 44e anniversaire de la fête nationale de l’Indépendance et de la Jeunesse. Certes, comme le rappelle le quotidien El Watan, « cette grâce comporte une remise totale des peines d’emprisonnement et/ou d’amende auxquelles [les journalistes] ont été condamnés pour outrage à fonctionnaire, outrage à institution et corps constitué, diffamation et injure  ». Pour le pouvoir, il s’agit de remettre réellement les compteurs à zéro. Mais une grâce présidentielle, réjouissante pour les journalistes condamnés, n’est pas une remise en cause de la loi. Que va-t-il se passer maintenant, pour la presse en général ?

Quid du « Code pénal bis » ?

Une réunion entre les professionnels de l’information (notamment les responsables des journaux privés et publics) et le ministre de l’Information et de la Communication, la semaine dernière, semblait poser les bases d’un vrai dialogue pour assainir les relations entre la presse et le pouvoir. Les journaux avaient notamment posé comme principe la dépénalisation des délits de presse et l’abrogation des articles du code pénal qui précise ces « délits  » (atteinte au chef de l’Etat, à la religion…). C’est ce que l’on appelle en Algérie le « Code pénal bis ».

Reste maintenant à voir si le chef de l’Etat ira jusqu’au bout de ses intentions annoncées. Pour les tribunaux algérois, le mardi est traditionnellement consacré aux affaires de presse. Ce 3 juillet -la veille, donc, de ce rendez-vous hebdomadaire- «  une session extraordinaire a été programmée au niveau du tribunal Abane -Ramdane et la cour d’Alger », relève le quotidien Le Soir d’Algérie. On peut ainsi lire que « 67 affaires relatives au délit de presse ont été jugées en une seule journée lors de cette session. (…) Les salles d’audience du tribunal de Abane- Ramdane et de la cour d’Alger ont vu affluer des journalistes venus comparaître pour la dernière fois peut-être, devant les juges. Répondant à des convocations signifiées la veille par un huissier de justice et un policier, plusieurs journalistes se sont interrogés sur le caractère hâtif avec lequel leurs affaires pendantes allaient être jugées. Sur la centaine d’affaires traitées hier au tribunal Abane-Ramdane, 49 sont relatives aux délits de presse. 18 autres ont été enregistrées au niveau de la cour et concernaient la majorité des titres de la presse indépendante en conflit depuis quelques années déjà avec le pouvoir. Surpris, les présents ont noté qu’à chaque fois la réplique du procureur général demandait l’application de la loi, "ce qui est un bon signe", précisent les journalistes habitués. Les verdicts ont été rendus en fin d’après-midi. Entre, nullités des procédures, relaxes et amendes, les journalistes n’ont pas été condamnés hier (lundi 3 juillet) ».

Le scepticisme de la FIJ

En dépit de ce signe fort de bonne volonté, la Fédération internationale des journalistes (FIJ) se montre sceptique. Dans une déclaration publiée ce mercredi 5 juillet par El Watan, le coordinateur de la FIJ à Alger, Nadir Bensbaà, estime que « le fait relevé, c’est la grâce. Quant au constat, il s’agit du fait que, au fond, rien n’a changé puisque les articles du code pénal sont toujours effectifs et demeurent un souci majeur pour la FIJ. A l’avenir, les journalistes risquent toujours de payer le prix fort de leurs écrits  ». L’ONG précise qu’elle poursuit sa campagne pour obtenir la dépénalisation des « délits de presse ».

C’est aussi pour cela que le Club de la Presse Nord-Pas de Calais, en accord avec Mohamed Benchicou, a décidé de laisser le portrait de l’ancien directeur du Matin accroché sur sa façade. Cette affiche sera renouvelée prochainement. En attendant que le jour se lève réellement sur la presse algérienne.

Philippe Allienne


 

 

 

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