A Dunkerque : une expo met « les révolutions arabes à l’épreuve du temps »

Dunkerque accueille jusqu’au 16 décembre 2013 une exposition exceptionnelle qui réunit les clichés de plusieurs grands reporters sur les révolutions arabes, trois ans après l’étincelle allumée à Sidi Bouzid, en Tunisie.

En décembre 2010, le jeune Mohamed Bouazizi s’immolait par le feu à Sidi Bouzid, dans le centre de la Tunisie, déclenchant ce qu’on appellerait bientôt les printemps arabes. Du détroit de Gibraltar au Golfe Persique en passant par la Méditerranée, des millions de personnes réclament le droit de s’exprimer, de la justice, une répartition équitable des richesses…

« Pour la laïcité, victoire de Tunisie ». Avenue Bourguiba à Tunis (février 2011) (Photo Hamiddedine Bouali)

Trois ans que ça dure. Trois ans de colère, d’indignation, d’espoirs, de révoltes, de répression, de guerre. Et la mort, la torture et l’exil. Une exposition exceptionnelle met tout cela en perspective. « Le paramètre du temps est déterminant », explique Alain Mingam, commissaire de l’exposition, qui l’a conçue après une rencontre avec le Dunkerquois Michel Delebarre autour d‘une précédente expo sur le sujet, présentée en 2012 en région PACA (Provence Alpes – Côte d’Azur). Alain Mingam est une figure du journalisme : aujourd’hui vice-président de Reporters sans frontières, il a été lauréat du World Press Photo Contest pour son reportage sur l’exécution d’un traître en Afghanistan pendant la guerre contre l’armée soviétique en 1981. A Dunkerque, il a réuni plus de deux cents photos et des textes de journalistes de terrain.

Plongé dans les manif

Sur les cimaises de Depoland, un ancien dépôt-vente près de la gare de Dunkerque, nouveau lieu d’expositions temporaires, on est confronté aux images, parfois très dures, de la réalité d’un conflit qu’on aborde trop souvent en quelques minutes au journal télévisé. Outre les photos, d’autres documents complètent l’expo : des cartes montrent l’étendue des révolutions, des extraits de documentaires et reportages font écho aux scènes photographiées. Le plan masse d’un camp de réfugiés donne la mesure des besoins des populations. Des extraits sonores plongent le visiteur dans les manifestations de la Place Tahrir…

Place Tahrir, épicentre de la révolution en marche (Le Caire, février 2011) (Photo Alain Buu)

Ceux qui ont vu l’exposition du photographe nordiste Olivier Touron, à la Maison Folie de Lomme en 2011 y verront un prolongement bien plus développé.

Œuvre centrale de l’exposition de Dunkerque, une impressionnante installation place le visiteur au cœur de foyers détruits. Au centre de ces grands panneaux de trois mètres de hauteur, on voit les effets des bombardements et des impacts comme les victimes les ont vus. Ne manque que la poussière qui emplit les narines, ce qu’a éprouvé Laurent Van Der Stockt, auteur de ces clichés pris « dans l’intimité dévastée des appartements des civils »…

L’installation de cette exposition à Dunkerque est le fruit d’une rencontre, un an auparavant, entre le photographe Alain Mingam (à gauche) et Michel Delebarre, président de la Communauté urbaine de Dunkerque (à droite). (Photo MH)

« Pas de printemps pour les migrants »

Plus loin, le spectateur embarque, grâce au photographe Olivier Jobard, dans une de ces embarcations de fortune qui mènent les fuyards jusqu’aux rives de l’Europe, à Lampedusa. Comme pour Laurent Van Der Stockt, certaines images d’Olivier Jobard ont été publiées dans la presse. Mais à voir l’ensemble du reportage, du rafiot en pleine mer au camp de réfugiés, on imagine mieux ce qu’ont vécu les migrants dont certains poussent jusqu’à Calais et le Royaume-Uni. « Pas de printemps pour les migrants », écrit encore Hala Kodmani à propos de ces « victimes collatérales du printemps arabes ou misérables opportunistes ».

« Merci le peuple ! Merci Facebook »

Composée de témoignages humbles, fidèles, l’expo montre et rend hommage aux «  héros anonymes  », militants des droits de l’Homme et leurs familles, bloggeurs… Elle accorde une grande place aux rôles joués par les réseaux sociaux et par les femmes. « Merci le peuple ! Merci Facebook », est-il écrit sur un mur photographié par Hamideddine Bouali.

Alain Mingam fait aussi témoigner plusieurs reporters, dont la journaliste franco-syrienne Hala Kodmani. « L’implication des femmes dans les révolutions arabes devrait logiquement faire avancer leurs droits. Or, comme les Algériennes qui avaient participé à la guerre d’indépendance ou les Iraniennes à leur révolution, certains veulent leur signifier que leur tour de scène est terminé, qu’elles doivent rentrer à la maison et se cacher derrière les voiles », écrit-elle. Et de poursuivre : « Maintenant qu’elles connaissent le chemin de la contestation et le goût de la liberté, les femmes arabes ne devraient plus subir sans redire. Comme tous les autres révolutionnaires, elles savent qu’il leur faudra encore plusieurs printemps et des saisons rudes avant que ne murissent les fruits de leurs combats ».

L’exposition montre des scènes qui peuvent choquer les plus jeunes. Mais des visites guidées la rendent accessible aux scolaires. (Photo MH)

Pour leur donner de l’écho, on aura encore besoin de Mohamed Abd-El-Ghany, Hamideddine Bouali, Alain Buu, Laurent Van der Stockt et autres Yuri Kozyrev. Ces photographes, « qui ont la modestie plus grande que le talent » selon Alain Mingam, sont « là où les masques tombent, où les histoires d’amitié se nouent, où l’être humain est révélé, disait Laurent Van der Stockt, évoquant les risques du métier en 2009 (cité par Libération le 14 novembre 2013). On sait que les photos ne changeront rien, mais comment exister dans un monde sans essayer de le changer ? »

« Que c’est long, une révolution ! »

L’exposition, très bien accueillie depuis son lancement, début novembre, intéressera autant les amoureux du reportage que tous ceux désireux de comprendre la complexité du monde. « Que c’est long, une révolution ! Que c’est dure, une révolution ! C’est cela qu’on découvre », notait Michel Delebarre, président de la communauté urbaine de Dunkerque, hôte de l’expo, lors du vernissage le 9 novembre. « Au journal télévisé, il faut que les choses aillent vite. A 20h08, il faut que la révolution soit finie parce qu’on passe à autre chose. Ce qu’on voit là, c’est comment les choses se passent vraiment ».

Les photographes, souvent, préfèrent parler de leurs sujets que des conditions de leurs reportages. L’expo est à leur image. Si elle rappelle le nombre de journalistes tués dans le cadre de l’exercice de leur métier et si son commissaire l’a dédiée aux confrères de RFI Claude Verlon et Ghislaine Dupont, tués au Mali fin octobre, elle montre finalement peu de choses sur les conditions de l’engagement des reporters de terrain : qu’il s’agisse du danger tout autour de l’objectif ou de ces pigistes qui partent sans filet. Peut-être parce que l’essentiel est de témoigner des combats des autres.

Mathieu HEBERT

Alain Mingam, commissaire de l’exposition, et le public venu nombreux lors du vernissage, le 9 novembre (Photo MH)

Autour de l’expo
Entre autres événements, notez les conférences suivantes

- « Le traitement médiatique des révolutions arabes » (en partenariat avec le Club de la Presse Nord-Pas de Calais). Avec Alain Mingam, commissaire de l’expo, Alain Genestar (Polka Magazine), Julien Pain (France 24), Edwy Plenel (Mediapart), Alain le Gouguec (France Inter, « Interception »), Edith Bouvier (Le Figaro), Jean-Pierre Perrin (Libération), Paul Moreira (Premières lignes).
Mercredi 20 novembre à 20h30, Studio 43, Pôle Marine, rue des Fusiliers Marins, Dunkerque
Précédée d’une visite de l’expo (18 h) avec Alain Mingam. Rens et inscription : clubdelapressenpdc nordnet.fr

- « Femmes et révolutions ». Avec Alain Mingam, commissaire de l’expo, Hala Kodmani, journaliste franco-syrienne, Claude Guibal (France Culture), Lina Ben Mhenni, bloggueuse tunisienne, Tawakkul Karman, militante yéménite et Prix Nobel de la Paix 2011, Manon Loizeau, journaliste…
Jeudi 12 décembre à 20h30. Studio 43, Pôle Marine, rue des Fusiliers Marins, Dunkerque

Deux spectatrices devant la photo d’Hamideddine Bouali « Pour la laïcité, victoire de Tunisie », prise avenue Bourguiba à Tunis (février 2011) (Photo MH)
Sur la ligne de front de Jobar, près de Damas (Syrie), des combattants de Liwa Tahrir al Sham doivent se déplacer au travers de trous et tunnels entre des douzaines de maisons. (Photo Laurent Van Der Stockt)


 

 

 

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