En Algérie, "Les tribunaux ont remplacé les cimetières" (3 février 2006)

L’interpellation et l’emprisonnement du journaliste Bachir Larabi, le 21 janvier, augure d’une nouvelle année noire pour la presse algérienne. L’an dernier, dix-huit journalistes ont été condamnés à des peines de prison ferme allant de 2 mois à deux ans, ainsi qu’à de fortes amendes. Ces poursuites et ces condamnations sont systématiquement justifiées par leurs écrits qualifiés de « diffamatoires ». Le 30 janvier, le comité de soutien à Mohamed Benchicou a appelé à un rassemblement devant la maison de la presse Tahar Djaout, à Alger.
Crédit photo : El Khabar.

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La justice n’hésite plus, désormais, à appliquer les nouvelles dispositions du code pénal. Correspondant à Naâma (sud de l’Algérie) du quotidien arabophone El Khabar, Bachir Larabi a été condamné à deux mois de prison ferme pour avoir révélé une affaire de corruption et de malversation foncière impliquant les autorités locales.

Les manifestants réunis à Alger le 30 janvier dernier ont appelé à la libération de Mohamed Benchicou (le directeur du Matin emprisonnédepuis le 14 juin2004)etdeBachirLarabi(qui a entamé une grève de la faim). Ils ont aussi réclamé l’abolition de l’article 144bis ducode pénal et l’adoption d’une loigarantissantlaliberté de la presseet protégeant les journalistes dans l’exercice de leur métier.

« On va vivre une année 2006 particulière parce qu’ils (les pouvoirs publics) ont décidé de manière totale de mettre en application le code pénal », craint le directeur d’El Watan, Omar Belhouchet, qui appelle à la mobilisation. Lorsqu’il a été promulgué, le nouveau code pénal était censé, selon les autorités, lutter contre les dérapages de la presse, c’est-à-dire contre la diffamation, les atteintes à la religion et au chef de l’Etat. En réalité, et comme le craignaient les journalistes, il est bel et bien un outil contre la liberté d’expression dès lors que cette expression s’attaque au pouvoir, à quelque degré que ce soit.

Dans son éditorial du 31 janvier, Omar Belhouchet estime que « l’aventure intellectuelle, engagée en 1998 (qui consacrait le pluralisme de la presse, NDLR), vire à l’amertume.  » Rappelant les années de terrorisme et le tribut payé par les journalistes durant la décennie précédente, « il n’y a plus d’assassinat de journalistes, écrit-il. Mais les tribunaux ont remplacé progressivement les cimetières  ». Pour lui, « le modèle autoritaire va se mettre en place avec la manne financière » que procure le pétrole.

Mercredi 1er février, plusieurs procès en appel étaient prévus. Parmi les journalistes concernés et condamnés à de la prison ferme en première instance, figuraient Omar Belhouchet, Salima Tlemçani (journaliste à El Watan), Ali Djerri (directeur d’El Khabar), et les journalistes du Matin : Yasmine Ferroukhi, Youcef Rezzoug (qui était présent au club de la presse ce 26 janvier) Abla Cherif et Hassanne Zeroucky (actuellement journaliste à L’Humanité). Mais la chambre correctionnelle près la cour d’Alger a reporté l’ensemble de ces procès, tous liés à des délits de presse. Humour, cynisme ou lueur d’espoir ? L’audience a été renvoyée au 3 mai, la journée internationale de la liberté de la presse... Les consœurs et confrères concernés apprécieront.

Philippe ALLIENNE


 

 

 

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