Histoire occultée, Histoire banalisée

Les journalistes ne sont pas historiens et les historiens ne sont pas journalistes. En tout cas, pas de manière systématique. Cela se saurait !

Il n’en demeure pas moins que les médias apportent chaque jour leur lot d’informations qui, plus tard et avec recul, serviront aux historiens. Ainsi de ces actes racistes et antisémites beaucoup trop fréquents. Parmi les derniers en date : les croix gammées haineusement dessinées sur la façade du cabinet d’un médecin de Schiltigheim, près de Strasbourg. On se souvient aussi des dégradations sur un cimetière et un temple protestant commises en août dernier à Hénin-Beaumont par un profanateur que la justice vient de juger irresponsable.

 
Autre cas, en Italie, de cet humoriste qui, pour faire rire ses électeurs, raconte l’histoire d’une famille qui hébergeait, moyennant, un loyer très élevé, une famille juive à qui elle avait oublié de dire que la guerre était terminée… L’histoire prend un fumet d’autant nauséabond quand on sait que l’humoriste en question s’appelle Sylvio Berlusconi. « Peut-être, se demandait François Morel (un vrai humoriste celui-là), ce vendredi matin sur France inter, la guerre n’est pas finie pour tout le monde ? »

 
Amalgames

Un reproche, que l’on entend souvent par ces temps d’expulsions massives (pardon, de reconduites à la frontière) est l’amalgame qui est fait entre la politique de Nicolas Sarkozy et les années 30 et suivantes. De la même façon, Israël et ses défenseurs crient au scandale quand des voix, portées par la colère, osent comparer sa politique au nazisme. Outrage insupportable.

 
Et c’est vrai. Les mots dépassent souvent la pensée parce que l’horreur du quotidien, trop difficile à admettre, tend à faire oublier l’horreur ultime d’hier. Il faut mesurer les mots et leur portée. Les arrestations et expulsions de Roms, aujourd’hui, pour détestables et inacceptables qu’elles soient, n’ont rien à faire avec les rafles et l’extermination des juifs d’hier. On pourrait multiplier les exemples d’apparentements malheureux.

 
La France de Sarkozy n’est pas celle de Pétain et de Vichy. Ce qui ne veut pas surtout pas dire que sa politique d’immigration est acceptable. Il revient d’ailleurs à la presse, donc aux journalistes, de décrire les conditions d’expulsion et d’expliquer le contexte. Mais, se laisser tenter par des comparaisons aussi faciles que douteuses devient aussitôt contre-productif. C’est ainsi que l’on banalise l’époque de Vichy, du nazisme, de l’extermination, etc.

 
Mais, pour ne pas banaliser, il faut être informé correctement. Et il faut que l’Histoire s’écrive et se diffuse hors de toute récupération. Il n’est pas si rare que des « historiens amateurs » apportent une précieuse contribution. Ainsi, dans le Nord, une petite maison d’édition, créée par le journaliste Frédéric Lépinay, joue les poils à gratter des idées reçues et des histoires toutes faites. Elle s’appelle « Les Lumières de Lille » et a commencé avec la publication, en 2005, de « La Voix du Nord, Histoire secrète », livre où Frédéric Lépinay en personne revenait sur l’héritage des résistants du réseau Voix du Nord et de leur journal clandestin.

Mieux savoir pour une critique plus efficace
 

Avec le livre « Ma guerre secrète », de Jacques-Yves Mulliez, « Les Lumières de Lille » donnent à lire le récit d’un type de parcours peu connu parce que peu raconté : celui d’un « vichysto-résistant ». C’est ainsi que les historiens nomment les résistants de droites à l’occupant nazi. Parce que oui, en 1940, on pouvait être pétainiste et résistant à l’occupant nazi ! L’école de la République ne nous a pas particulièrement aidé à intégrer cette réalité. Aujourd’hui, on a forcément du mal à admettre que la résistance n’était pas forcément gaulliste ou communiste ! On ne sait pas forcément qu’un résistant pouvait aussi appartenir à plusieurs réseaux.

La lecture du récit de Jacques-Yves Mulliez permet donc de (re)découvrir un pan de la résistance que l’Histoire officielle a eu tendance à occulter. Et si les premières pages peuvent indisposer le lecteur (on le comprend) parce qu’il y est largement question des « Croix de feu », du colonel François de la Rocques, de Maurras et des Hitlerjugend, la suite nous montre l’histoire d’un patriote anti-nazi, anti-fasciste et détestant le racisme.

La guerre secrète de Jaques-Yves Mulliez, comme des autres vichysto-résistants, mérite d’être connue. Elle doit l’être. Elle a participé à la lutte contre l’inacceptable. Ses combattants ont fait le choix de se battre et ont pris leurs risques. Le hasard a voulu que ce livre soit présenté devant le club de la presse alors que vient d’être révélée l’implication personnelle du Maréchal Pétain, en octobre 1940, dans l’aggravation du statut des juifs. Les médias s’en font largement l’écho. C’est heureux. Mais, lorsque sort le récit de J-Y Mulliez, en mai dernier, la presse est peu prolixe.

 
«  La Voix du Nord, cite l’éditeur, gratifie le livre de deux phrases » noyées dans un dossier publié en six volets ! Deux phrases lapidaires pour qualifier l’auteur de « représentant du militantisme pétainiste » (une notion qui ne renvoie à aucune réalité, souligne Frédéric Lépinay) et pour mettre en doute sa qualité d’agent secret. Le sujet reste tabou et la presse répugne à en faire état. Dommage. Expliquer, sans complaisance, une réalité méconnue d’une période noire de notre Histoire, le vichysme et le pétainisme, aiderait peut-être, en facilitant une meilleure connaissance de cette période, à éviter les amalgames trop faciles. Mieux raisonnée, la critique des dérapages, des dérives et de la violence de notre époque n’en serait que plus efficace.

Philippe ALLIENNE

Lire l’article La guerre secrète de Jacques-Yves Mulliez : « Les petites ailes », journal clandestin, résistant et pétainiste

 
 
 
 
 


 

 

 

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