La guerre secrète de Jacques-Yves Mulliez :
« Les petites ailes », journal clandestin, résistant et pétainiste

Jacques-Yves Mulliez et son éditeur Frédéric Lepinay, étaient au Club de la presse ce jeudi 7 octobre pour présenter le livre « Ma guerre secrète ». Dans cet ouvrage, il raconte sa vie atypique de résistant issu d’une famille bourgeoise, catholique et de droite. Dés le début de l’occupation, il monte un journal clandestin dans le Nord : « Les petites ailes »

Soixante-dix ans après la fin de la guerre, la mémoire collective a principalement retenu la résistance gaulliste et communiste. « Elle a oublié que des personnes, issues de familles bourgeoises de droite, ont aussi résisté », selon l’auteur. Les historiens les désignent sous le nom de « vichysto-résistants ».

C’est le cas de Jacques-Yves Mulliez. Ce cousin germain de la branche ’Mulliez-Auchan’ est né en 1917 dans le Maine et Loire où son père, grand-blessé de guerre en 1914, s’est réfugié jusqu’à la fin des hostilités. De retour à Roubaix, le jeune homme sera un élève chahuteur. « Je le suis resté », s’amuse celui qui s’apprête à fêter ses 93 ans. Malgré des résultats scolaires moyens, il est accepté chez les cadets du père Doncoeur, mouvement pionnier du scoutisme réservé à l’élite. Il y reçoit un entrainement spirituel et physique et participera à des voyages d’étude dans l’Allemagne nazie et en Italie, pour voir, selon les dires de son mentor, « ceux qui nous écraserons de leur botte ». A cette époque, il est aussi proche des Croix de Feu, un mouvement nationaliste, très marqué à droite.

Jacques-Yves Mulliez, le 06 octobre 2010, présente son livre au Club de la presse

Militaire, il passe par Saint-Cyr et devient oficier de chasseur alpin. Quand la seconde guerre mondiale éclate, il est stationné à la frontière italienne puis part combattre en Norvège et dans la Somme où il est capturé par les nazis. Devant être transféré dans un camp de prisonniers en Allemagne, il parvient à faire passer une lettre au maire de Marcq, Albert Bailly, qui, prétextant ses connaissances et ses relations dans le milieu du textile, parvient à le faire libérer en juin 1940, au titre de l’effort industriel.

Mais plutôt que de rejoindre l’usine comme prévu, Jacques-Yves Mulliez décide de continuer le combat et se rend à Vichy, alors siège du gouvernement et de l’état-major français, pour reprendre contact avec ses supérieurs hiérarchiques. Il devient officier de renseignement dans le Nord, en zone interdite, et fait à ce titre de nombreux aller-retour jusqu’à Vichy, se débrouillant pour passer régulièrement la ligne de démarcation.

Un journal pétainiste et résistant

Jacques-Yves Mulliez a une autre idée en tête. Contre l’avis de ses supérieurs militaires, il décide de lancer dans le nord un journal clandestin. Il l’appelle « Les petites ailes » en hommage à « L’oiseau de France », un journal résistant édité dans l’agglomération de Lille-Roubaix-Tourcoing sous l’occupation allemande durant la première guerre mondiale. Dans le train qui l’emmène à Lille, il écrit le premier édito qui pose les prémices de la résistance et appelle à ne pas se décourager face à l’envahisseur. Sur place, il expose son projet auprès de jésuites de ses connaissances pour leur parler de ce projet. Les religieux mettent une imprimerie à sa disposition. Des agents recrutés parmi les scouts, les personnels des hôpitaux, des douanes, les ouvriers lui font remonter des infos. Ce réseau sera extrêmement cloisonné et aura un fonctionnement quasi-militaire. Grâce à cela, à chaque fois qu’un membre a été inquiété par les autorités ou les occupants, l’intégrité du réseau n’a jamais été inquiétée. Cette nécessité est telle qu’un jour, un membre du réseau lui demande, incrédule, si il connait Les petites ailes, sans savoir qu’il s’adresse au fondateur du journal.

La couverture du livre représente Jacques-Yves Mulliez en soutane. Il avait pris l’identité de l’abbé Demestère pour récolter de l’argent auprès des industriels roubaisiens, dans le but de financer le maquis de Savoie et d’équiper un contingent de 900 combattants.

Treize numéros paraissent, distribués par les scouts (mouvement alors interdit) directement dans les boîtes aux lettres. En ce début de guerre, Jacques-Yves Mulliez voit encore dans le maréchal Pétain, le possible sauveur de la France. C’est cette ligne éditoriale que défend Les petites ailes d’octobre 1940 à mai 1941.

Par deux fois, l’occupant a failli remonter la filière clandestine. La première fois, un scout se trompe de boite aux lettres et distribue le journal dans une maison occupée par les Allemands. Se doutant que l’exemplaire était destiné à un voisin, la Werhmach décide de perquisitionner les maisons voisines, dont celle de la tante de Jacques-Yves Mulliez à qui était destiné l’exemplaire. Quand les soldats entrent dans la chambre, la dame prend un air outré et s’assoit sur la table nuit où sont rangés les numéros précédents. Gênés face à cette femme de la haute bourgeoisie, enceinte de surcroît, les militaires ne fouillent la pièce que succinctement.

La seconde alerte a lieu en juillet 1941. Un agent du renseignement qui tentait de retourner en Angleterre est arrêté par la Gestapo qui découvre sur lui un papier sur lequel sont inscrits le nom et l’adresse en Maine-et-Loire de la famille de Jacques Mulliez que ce dernier lui avait remis pour qu’il puisse y faire halte et s’y reposer. Suite à cela, son oncle et son frère sont emprisonnés deux mois. Un autre membre de sa famille se rendra aussitôt à Roubaix pour le prévenir. En 24 heures, le réseau est dissout et les preuves détruites. Une réactivité possible grâce à l’organisation militaire et au cloisonnement du réseau.

Si cela marque la fin de l’aventure pour Les petites ailes de Jacques-Yves Mulliez, le titre est repris par Henri Frenay qui lance Les petites ailes de France. Diffusé dans toute la France, ce journal changera de nom fin 1941 pour devenir Combat, que son sous-titre présente comme l’Organe du mouvement de la Résistance française.

Producteur des Compagnons de la chanson pendant la guerre

Désormais recherché par les Allemands, Jacques-Yves Mulliez retourne à Vichy ou il prend une nouvelle identité et le nom de Jacques Delorme. Il rejoint les « Compagnons de France », le mouvement de jeunesse de l’Etat où il rencontre de jeunes choristes qu’ils décide de produire et qui prennent le noms de « Compagnons de la musique ». Ils seront connus plus tard sous le nom des « Compagnons de la chanson ».

Puis, avec d’autres militaires, il décide de monter des maquis, en Dordogne avant de rejoint celui de Savoie où il combat jusqu’à la Libération.

S.C.
Photos : M.D.

Ma Guerre secrète, Les Lumières de Lille éditions, 20 €.
www.leslumieresdelille.com

Voir l’édito Histoire occultée, Histoire banalisée

Frédérique Lepinay, éditeur, au coté de Jacques-Yves Mulliez


C’est par cette chanson folklorique que se sont fait connaître Les Compagnons de la Chanson, produit par Jacques-Yves Mulliez


 

 

 

La Vie du Club

ESPACE PRESSE