L’histoire de Farachine, « rebelle kurde »

Le journaliste Olivier Touron était le 30 mars aux Lundis du Club, pour présenter son livre, « Amazone : Farachine, rebelle kurde ». A travers le portrait romancé d’une combattante, il a voulu parler de ce peuple « sans Etat ni territoire reconnu ».

« Ce n’est pas un roman ni un reportage, c’est un peu entre les deux. » Olivier Touron l’admet : avec son éditeur ils ont du mal à classer le livre qu’il vient de signer chez Michel Lafon, « Amazone : Farachine, rebelle kurde ». Si Farachine apparaît bien en photo sur la couverture, en revanche c’est un « nom de code ». Olivier, photojournaliste qui sait également prendre la plume, en connaît un rayon sur les problématiques propres au Kurdistan. Il l’a prouvé lundi 30 mars, à l’occasion d’un Lundi du Club de la presse. Depuis une dizaine d’années, il a fait plusieurs séjours, dont il a ramené des sujets de reportage (lire l’article sur notre site), dans ce pays qui n’en est pas un, partagé entre l’Irak, l’Iran, la Turquie, la Syrie… «  Ce peuple de 35 millions de personnes n’a pas d’Etat ni de territoire reconnu », commente-t-il.

Au cours d’un de ces reportages, il a partagé le quotidien d’un groupe armé de femmes, lié à la lutte menée par le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), « d’inspiration marxiste-léniniste, tendance maoïste ». Depuis les années 1920, les Kurdes prennent en effet régulièrement les armes pour défendre la création d’un Etat indépendant. En 1984, débutait la 29e révolte, qui conduit notamment les Kurdes de Turquie à se soulever les armes à la main. Aujourd’hui, leurs bases arrières sont retranchées au Nord de l’Irak, zone contrôlée par les Kurdes irakiens. « Cette guérilla dure toujours, explique Olivier. C’est une épine dans le pied de ces Etats [Turquie et Irak – NDLR]. »

Le militantisme politique à 15 ans

Farachine est née de parents kurdes qui se sont exilés en France. «  Sa vie, c’est l’histoire de ce peuple. » Militant politique, son père a en effet été arrêté et torturé en Turquie. Farachine (ce qui signifie « paysage » en Kurde) a grandi en région parisienne à partir de l’âge de 11 ans. Elle-même se lance très vite dans le militantisme politique et, à 15 ans, décide de partir se battre pour son peuple. Elle refusait « son destin [qui] était de se marier avec un Kurde et de rester à la maison. » « Elle est partie dans la montagne, elle y est encore », poursuit Olivier, qui n’a cependant pas réussi à la retrouver lors de son dernier voyage. Il a mené des entretiens avec ses parents et des membres de sa famille installés en Allemagne, en France et en Turquie.

Plus qu’un portrait – Olivier s’est d’ailleurs inspiré d’autres éléments collectés lors de ses reportages, qu’il a agrégés dans ce livre – l’auteur a voulu aborder des questions de fond, dont une : « ça veut dire quoi être kurde ? » Revenir également sur le versant géopolitique et historique de cette lutte. Celle-ci, outre les opérations armées en territoire turc, s’est aussi traduite par « une sale guerre » pour les civils kurdes, sommés en quelque sorte d’être dans un camp ou l’autre. Des luttes fratricides existent entre des séparatistes et ceux que ces derniers considèrent comme des « collabos » de la Turquie. Par ailleurs, les observateurs accusent l’armée turque de répandre du défoliant sur les montagnes et les forêts à la lisière de l’Irak et de l’Iran.

Marxisme-léninisme, altermondialisme, écologie…

Il a aussi voulu s’intéresser à ce qu’est exactement le PKK : « Au départ, c’était un mouvement marxiste-léniniste pas très sympathique, qui imposait l’autocritique, qui menait des purges… Si on voulait le quitter, c’était les pieds devant. Mais cela a évolué vers une réflexion altermondialiste, écologique… Ils s’intéressent à des philosophes français : Foucault, Deleuze…  »

Au sein du PKK, le mouvement féminin de guérilla auquel appartient Farachine possède sa propre Académie. Le point de départ du mouvement est le suivant : « Le peuple ne pourra se libérer s’il ne le fait qu’à moitié. » C’est-à-dire si les femmes ne s’affranchissent pas de l’emprise masculine et des comportements machistes. Olivier le rappelle : l’émancipation féminine ne va pas de soi dans le peuple kurde, où le « crime d’honneur » se pratique à l’encontre de femmes jugées trop libres. « Elle pensent qu’il faut rééduquer les hommes », confie-t-il. Dans cette Académie, Olivier a d’ailleurs rencontré un Ukrainien et même un ancien militaire turc passé de l’autre côté.

« ça n’intéresse personne de financer des reportages là-dessus »

La discussion avec Olivier, lors de ce lundi du Club, a également permis de parler des difficultés à placer de tels sujets dans la presse. « ça n’intéresse personne de financer des reportages là-dessus », assure-t-il. Sans compter les risques sur le terrain. Olivier évoque ainsi des collègues turcs qui ont fait des sujets semblables sur la rébellion kurde et qui ont écopé de plusieurs mois de prisons. Plus anecdotique : quand Géo a publié en début d’année un reportage sur le Kurdistan, la rédaction a reçu une lettre de 7 pages de l’ambassade de Turquie à Paris, qui a d’ailleurs obtenu un droit de réponse. Au passage, Géo publie, comme par hasard, un dossier touristique sur la Turquie ce mois-ci…
Les officiels turcs « disent toujours la même chose : que le PKK est un mouvement terroriste qui tue les enfants et porte atteinte à l’intégrité du pays. » Cependant, pour Olivier, le PKK n’a attaqué que des objectifs militaires en Turquie.

Pour sa part, il n’a reçu qu’une protestation à ses articles sur le Kurdistan, émanant d’un gradé de l’armée turque. Très violent au départ, le discours de ce dernier s’est adouci dans l’échange qu’ils ont eu par courriel interposé. Olivier a même dit son intérêt de venir voir, appareils photo en main, les réalités du côté de l’armée turque. Pas de réponse pour le moment…

L. F.


 

 

 

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