Le petit article qui passe inaperçu dans la torpeur estivale

Ah, la chaleur juillettiste ! La moiteur de l’été qui nous plonge dans une douce mais non moins dangereuse torpeur ! Au fait, à quel degré insensé s’était donc élevé le mercure, ce lundi 5 juillet ? Ce jour là, sur les bancs de l’Assemblée nationale, les élus du peuple discutaient en urgence un texte passionnant sur l’action extérieure de l’Etat.

Non. Ne cherchez pas. Ce 5 juillet n’était pas particulièrement caniculaire. D’ailleurs, la moiteur estivale ne saurait justifier toutes les torpeurs. Le texte dont il est question ici – l’action extérieure de l’État- avait déjà été adopté par le Sénat en février dernier. De quoi s’agit-il ? De manière générale, il y est question de la représentation de la France à l’étranger et de nos accords de coopération avec différents pays. En particulier, les députés ont surtout débattu sur un article : le 13ème.

Mais que dit-il cet article 13 qui semble avoir ému bien peu d’observateurs ? L’article 13 du projet de loi que vient d’adopter l’Assemblée nationale, après le Sénat et sans que soit ouverte la possibilité d’ une seconde lecture, permet à l’État de demander à « nos compatriotes qui se seraient délibérément exposés à des risques, le remboursement total ou partiel des frais engagés pour leur rapatriement ». Na ! I’ n’avaient qu’à pas y aller ! Non mais, des fois...

Mise au pas
Un tel projet, discuté depuis le début de l’année, c’est-à-dire depuis le moment où deux confrères de France 3 sont enlevés en Afghanistan, voilà qui pose quelques questions. D’autant que, peu après cet enlèvement, l’Élysée et l’ex-chef d’état-major de armées se fâchaient tout rouge devant l’ « imprudence coupable » de ces journalistes. « Pour moi, ce texte sonne comme un avertissement, tonne la sénatrice
du Nord, Michelle Demessine. Et d’ajouter : «  Tous ceux qui dérangent en seront pour leur frais. Cela procède d’une mise au pas des médias ». Une mise au pas, dès lors que l’on contrarie les desseins de l’armée ? Ca va péter, colonel Trautman !

Mise au pas des médias publics : certainement. Ces dernières semaines ont été riches d’exemples. Mise au pas des médias privés ? Et pourquoi pas ? Quel responsable de rédaction ne pèsera pas, plus qu’auparavant, les risques qu’il prendra en envoyant un journaliste couvrir des conflits ?

Voilà qui fait doucement rire les défenseurs de ce texte. Et au premier chef, Axel Poniatowski en personne, député UMP du Val d’Oise et président de la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale. C’est cette commission qui avait été chargée d’examiner le projet de loi sur le fond. Pour M Poniatowski, «  il n’a jamais été dans l’intention du législateur, pas plus que celle du gouvernement, de demander à tous ceux qui prennent des risques à titre professionnel de devoir financer un sauvetage éventuel et de pénaliser les journalistes et les travailleurs humanitaires ».

Motif légitime à titre professionnel

Dormons en paix. M Poniatowski évoque l’exception prévue par la loi : le « motif légitime à titre professionnel ». Vraiment ? Est-il bien sûr que les journalistes indépendants, les pigistes, ceux qui fonctionnent en roue libre, les étudiants qui décident de partir en reportage librement, etc. pourront faire valoir, en cas de problème, le « motif légitime professionnel ? Et s’ils ne sont pas couverts ou reconnu par une rédaction ?

Que fait-on de ces « journalistes citoyens » dont on nous chauffe les oreilles depuis des années ? Ceux qui, grâce à un matériel léger et performant, se considèrent aujourd’hui capables de réaliser des reportages, d’être témoins de leur temps ? En cas de pépin, à l’étranger, il ne pourront se prévaloir que d’un visa touristique. Où trouvera-t-on le motif professionnel ?

A ces questions, M Poniatowski ne nous a pas répondu. Injoignable. Trop occupé. Il nous aura fallu nous contenter d’un communiqué de presse préventif. Un communiqué où il estime «  déplorable et déplacé que cette rédaction ait fait l’objet d’une exploitation purement politique au moment où deux journaliste se trouvent retenus depuis six mois en Afghanistan dans l’exercice de leur métier ».

Ne vous inquiétez pas, M le président, l’exploitation n’est pas allée bien loin. Et pour les réactions politiques, vous n’êtes pas le seul à n’avoir su trouver le temps de répondre à nos questions. La torpeur estivale sans doute. Espérons juste que, dans quelques années, nous n’ayons à dénoncer une loi scélérate.

Philippe Allienne

Les éditos précédents :
Les nouveaux comiques sur France Inter : écoutez la différence ! (02 juillet 2010)


 

 

 

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