Mohamed Benchicou à Radio Campus :
« J’ai vécu la prison comme un mal nécessaire » (19 décembre 2006)

Invité dimanche 17 décembre à Radio Campus (dans l’émission « La Voix de la Berbérie » animée par Anzar), Mohamed Benchicou le dit à nouveau : « La presse algérienne sort d’une guerre sans précédent qui aura duré trois ans ». La grâce présidentielle accordée en juillet dernier aux journalistes ressemble à un armistice. L’arsenal juridique contre la presse demeure et, avec lui, les menaces contre la liberté d’expression.

photos Gérard Rouy

C’est un homme particulièrement calme, lucide et déterminé qui s’exprimait dimanche 17 décembre au micro de Radio Campus, devant ceux qui l’ont soutenu durant ses deux années de détention. Mohamed Benchicou ne veut cultiver aucune amertume après cette trop longue incarcération. « La prison, glisse-t-il doucement, je l’ai vécue comme un mal nécessaire ». Il s’en explique face aux auditeurs : « Si l’on considère que ce qui nous arrive est le prix que nous payons pour que ce pays [l’Algérie] se débarrasse du totalitarisme et de l’oppression qui l’empêchent d’évoluer vers la démocratie, alors nous relativisons beaucoup de choses. » L’arrestation du directeur du Matin et la suspension de six journaux, en août 2003, pour des dettes auprès des imprimeries, a constitué le lancement de trois années noires pour la presse privée et indépendante. Elles ont notamment été marquées par un harcèlement judiciaire soutenu contre les journalistes et par la condamnation de 23 d’entre eux à de la prison ferme. Six ont été incarcérés.

Aucune chance pour la reparution du « Matin »

La grâce prononcée par le président Bouteflika, le 5 juillet dernier, signe sans doute la fin de ces « trois années de guerre », pour reprendre l’expression de Mohamed Benchicou. Mais les textes de loi limitant la liberté de la presse n’ont pas été abrogés. Dans un autre domaine, le journaliste Arezki Aït Larbi, correspondant à Alger pour Le Figaro et Ouest France, s’est vu confisquer son passeport en mai 2006. Le motif : en 1997, il a été condamné par défaut à six mois de prison ferme dans le cadre d’une affaire en diffamation remontant à 1994. Il avait alors publié des témoignages sur des sévices commis sur des détenus politiques dans les années 1980, dans le pénitencier de Lambèse (près de Batna). Aujourd’hui, Arezki Aït Larbi dispose à nouveau de son passeport mais la condamnation pèse toujours.

Mohamed Benchicou ne se nourrit pas d’illusions. Il est convaincu que, dans les circonstances actuelles, son journal, Le Matin, n’a aucune chance de reparaître. « D’ailleurs, rappelle-t-il, le pouvoir vient de réaffirmer qu’il n’accordera plus d’autorisation pour de nouvelles publications ». Les journalistes doivent donc se battre avec les moyens dont ils disposent et en usant de la liberté qui leur reste. Ainsi, Mohamed Benchicou publie-t-il une chronique hebdomadaire, et dépourvue de toute complaisance, dans le quotidien Le Soir d’Algérie. Mais il insiste : En Algérie, « le pouvoir n’a jamais accepté la liberté de la presse ». Sous le régime d’Abdelaziz Bouteflika, on a affaire à une véritable stratégie qui ne vise pas que la presse. Toutes les formes d’expression, à commencer par celle des syndicats, sont dans le collimateur. En fait, affirme-t-il, le pouvoir souhaite un retour au système unique qui a éclaté après la révolution de 1988. Le gouvernement a dit explicitement, cite-t-il : « Nous ne voulons pas revivre l’ouverture désordonnée du champ politique connue en 1989 ». C’est aussi comme cela que Mohamed Benchicou explique que le champ médiatique ne peut s’ouvrir à la télévision privée.

Ph. A.

Le Club de la presse a programmé, mardi 9 janvier, un rendez-vous autour de la liberté de la presse, dont le programme précis reste à déterminer. Cette initiative fait suite à celle du Club de Strasbourg qui, le 7 décembre, soit deux mois après l’assassinat de la journaliste Anna Politkovskaïa, avait organisé un rassemblement devant le Consulat de Russie à Strasbourg. Seront invités à Lille : Mohamed Benchicou, le journaliste iranien Hossein Bastani (lire l’article sur sa venue aux Lundis du Club) et, nous l’espérons, une journaliste russe.

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