L’accès de l’Iran au nucléaire. Ce dossier est devenu une des quelques questions centrales de la géopolitique actuelle. Ségolène Royal, en visite en Israël, l’a encore démontré le 4 décembre, en réaffirmant son opposition (1). « Tout le monde est focalisé sur le nucléaire », mais pendant ce temps, « la situation des droits de l’Homme [en Iran] est oubliée », fait remarquer Hossein Bastani, invité au Lundi du Club du 4 décembre. Le journaliste iranien a eu l’occasion de le faire remarquer début novembre à Jacques Chirac lors d’une réception en l’honneur de sa compatriote Shirin Ebadi, avocate, prix Nobel de la Paix en 2003. A-t-il été entendu ? Le président français lui a confié en substance que les élections de mi-mandat américaines avaient jusque-là bloqué ce dossier. Les choses ont-elles changé aujourd’hui ? Hossein Bastani ne peut qu’attendre pour voir.
Arrivé en France en septembre 2004, le journaliste iranien, par ailleurs proche de l’ancien président réformateur Mohammad Khatami, ne parlait alors pas un mot de français : « Seulement bonjour, bonsoir ». Il faut reconnaître qu’il a progressé depuis, au point de soutenir une discussion poussée sur la situation politique iranienne, de la liberté de la presse… Si Hossein Bastani a quitté son pays -inscrit à l’université de Lille 3, où il poursuit un cursus en anglais, il a un statut d’étudiant en France-, c’est qu’il y risquait de gros ennuis. D’abord élu membre du CA de l’Association des journalistes iraniens (le seul syndicat de la profession), il en est ensuite devenu le secrétaire général. Il a fait les comptes : il a collaboré à 14 journaux différents, tous fermés par le pouvoir iranien, après des durées d’existence plus ou moins brèves, de 16 mois à… quelques jours.
« Une société civile vraiment vivante, un mouvement féministe, étudiant… »
Pour autant, Hossein Bastani ne veut pas caricaturer la situation de son pays, qui dispose d’une « société civile vraiment vivante », avec un « mouvement féministe » et « étudiant » forts. « Il est impossible de contrôler toute la société », remarque-t-il. Il en veut pour preuve un de ses anciens collègues, le plus virulent du journal contre le pouvoir en place… alors que son père était le ministre du Renseignement. A chaque fermeture de journal, quelques journalistes sont envoyés en prison. En 2003, Hossein Bastani connaîtra à son tour les geôles iraniennes. A sa sortie, la pression sur lui, de la part de journaux favorables au pouvoir, se fait de plus en plus forte. En particulier après une rencontre avec Javier Solana, secrétaire général du Conseil de l’Union Européenne.
Là, le journaliste sait qu’il risque gros, c’est-à-dire d’être accusé de trahison. Deux choix s’offrent alors à lui : partir pour la Grande-Bretagne, dont il parle la langue, ou la France. « J’envisageais de fonder un journal en exil, la France était un meilleur choix », commente-t-il : « Les Français sont bien acceptés par les Iraniens ». Son projet donnera naissance à Roozonline -en persan, « rooz » signifie « le jour »-, journal en ligne édité en persan et en anglais (2). Repris à l’occasion par Courrier International ou par la presse anglaise, Roozonline a connu jusqu’à 140.000 connexions par jour. Son équipe rédactionnelle, composée de journalistes iraniens, est notamment dispersée en Europe (France, Grande-Bretagne, Belgique…) et aux Etats-Unis, mais également en Iran. « Toutes les tendances » sont représentées dans l’équipe, assure le journaliste : « des marxistes, des libéraux, des religieux… » Bien entendu, les collaborateurs iraniens du journal prennent toutes les précautions pour ne pas être identifiés.
« Ce quotidien est une grosse réussite »
« Ce quotidien est une grosse réussite », se félicite Hossein Bastani, qui explique que « le bureau, c’est ma chambre, avec deux ordinateurs… » L’équipe avait également pour intention de créer une chaîne télévisée diffusée sur le satellite. Il existerait actuellement cinq millions d’antennes paraboliques en Iran. « C’est interdit, mais le gouvernement ne peut pas tout maîtriser. » Roozonline bénéficie déjà de l’aide d’une ONG des Pays-Bas et la chaîne aurait dû voir le jour dans ce pays. Une enveloppe de 15 millions d’euros pour soutenir la liberté d’expression en Iran avait même été votée en ce sens par le parlement néerlandais, grâce notamment au relais d’une élue écologiste d’origine iranienne. Des contacts étaient pris avec une chaîne néerlandaise, pour disposer de compétences que l’équipe de Roozonline, plutôt spécialisée dans l’écrit, ne maîtrisait pas. Selon Hossein Bastani, des pressions exercées par l’Iran ont changé la donne. La somme a finalement été répartie en onze projets : « Bien entendu, [le nôtre] n’était pas parmi les onze… » Actuellement, des discussions existent avec « de riches Iraniens » susceptibles de financer une telle création.
Car sur le fond, Hossein Bastani est convaincu de la nécessité d’une source d’information compétente sur les affaires iraniennes. « Il y a beaucoup de fausses informations » qui circulent actuellement, analyse-t-il. Un exemple parmi d’autres : le journaliste n’a jamais vu autant de manifestions d’extrémistes religieux à Téhéran que depuis qu’il a quitté son pays… Pourquoi ? Obtenir les autorisations pour un tel reportage est quasi-immédiat, alors qu’un journaliste étranger enquêtant sur d’autres sujets est souvent confronté à des délais administratifs qui repoussent la décision à… après son départ. Par ailleurs, avoir des contacts avec un étranger, a fortiori journaliste, est une initiative dangereuse pour un Iranien. Ce dernier peut être tenu pour responsable de tous les articles qu’écrira le reporter une fois retourné dans sa rédaction…
La prison menace les journalistes… la caution aussi
Quant aux journalistes iraniens, si 200 d’entre eux sont aujourd’hui enfermés, les risques qu’ils prennent ne se limitent pas à la prison. Il y a aussi la menace « plus subtile » de la « caution ». En gros, une liberté surveillée, imposée à certains, qui, si les limites sont franchies, peut se traduire par la saisie de la maison d’un proche, par exemple. Sans compter les « pressions non officielles », néanmoins exercées par des proches du pouvoir. Tout cela pourrait décourager Hossein Bastani, qui veut cependant toujours y croire : « Personnellement, je suis assez optimiste. Je compte sur la société civile iranienne. »
Ludovic FINEZ
(1) La candidate du PS s’était déjà prononcée sur la question. Citée dans Le Figaro du 9 novembre 2006, Ségolène Royal avait affirmé la veille sur RMC qu’elle n’est « pas favorable à ce que l’Iran accède au nucléaire civil. […] L’Iran refuse le contrôle sur le nucléaire civil » et « rien ne dit que petit à petit cela ne s’orientera pas vers de l’enrichissement de l’uranium à dimension militaire. Dans la mesure où ce pays qui nie l’existence de l’État d’Israël refuse de se voir contrôler l’accès au nucléaire civil, nous avons la responsabilité de ne pas l’autoriser. »
(2) www.roozonline.com. Pour l’instant, faute de moyens, le site n’est pas traduit en français, « mais je crois qu’à l’avenir on le fera », confie Hossein Bastani.