Etats généraux : Les craintes se précisent et la mobilisation grandit

Comme nous l’annoncions dans notre article précédent, le SNJ-CGT s’est retiré des Etats généraux de la presse écrite le 27 novembre. Le syndicat a pris sa décision en prenant connaissance des premiers travaux rendus par les commissions. Ses craintes, comme celles des associations et collectifs qui se sont mobilisés, étaient fondées. Les initiatives se poursuivent pour sensibiliser, informer et réagir contre l’initiative de l’Elysée. Edwy Plénel explique les raisons qui ont conduit à la rédaction de l’appel de Médiapart et de RSF pour une presse libre et indépendante (l’Appel de la Colline). RAJ poursuit ses travaux. Le Club de la presse Nord – Pas de Calais organise un débat public à Lille, le mardi 16 décembre, à 18h30.

« Annus horribilis » . C’est ce que prédit, pour la presse écrite en 2009, Ernesto Mauri, le président de Mondatori France (Closer, Modes et Travaux, Biba, Auto Plus, l’Auto Journal, Télé Star, etc.) Auditionné par les Etats Généraux de la presse, il va jusqu’à craindre un « tsunami ». Pour lui, la raison tient dans la crise économique. En octobre, indique-t-il, les recettes publicitaires de la presse magazine ont chuté de 8 à 10% en valeur nette. Ce recul était déjà de 5% entre janvier et septembre. Pour M. Mauri, dont l’audition est téléchargeable sur le site des états généraux (www.etatsgenerauxdelapresseecrite.fr), les chiffres de novembre accuseront un recul encore plus important.

M Mauri s’est d’autre part fait l’avocat d’une plus grande concurrence dans le système de distribution. Il a souhaité qu’une plus grande liberté soit laissée aux points de vente dans le choix des titres qu’ils acceptent mettre à la disposition du public.

Concentrations : Ouverture des portes à l’Europe non communautaire

Parmi les nombreuses auditions, le sous-groupe « Concentration, pluralismes et développement, a également entendu, le 27 novembre le président du groupe suisse Edipresse, Pierre Lamunière. Ce dernier, qui s’inquiétait de l’impossibilité de son groupe de devenir opérateur en France, s’est réjoui en entendant le président du Pôle « Presse et société ». François Dufour l’a en effet assuré que son pôle compte recommander la levée de l’interdiction faite aux Européens hors U.E, de contrôler plus de 20% du capital d’une entreprise de presse française. Cette interdiction relève de la loi de 1986.

Interrogé sur le marché français, M Lamunière s’est dit peu favorable à la protection des « petits canards boîteux » qui, « au final, affaiblit l’ensemble du système). Il estime que, pour chaque segment de presse, trois ou quatre titres leaders forts suffiraient. Enfin, s’il est favorable à une hausse des salaires des journalistes, il n’en pense pas moins que les équipes rédactionnelles devraient être réduites. A titre d’exemple, le journal suisse « le Temps » a un budget rédactionnel beaucoup moins important que celui du « Monde », les deux journaux étant comparables.

La loi Bichet en question

La question du relèvement du seuil anti-concentration a également été abordée avec Didier Quillot, président du directoire de Lagardère Active. Pour lui, il n’est pas prioritaire de modifier les dispositifs anti-concentration. Mieux vaut, estime-t-il, viser la rentabilité des groupes de presse. Il ne tient cependant pas le même discours à propos des radios.

Un des freins à la rentabilité de la presse écrite, selon M Quillot, porte sur la loi Bichet de 1947 sur la distribution. Sans demander une abrogation de cette loi, contrairement a ce qu’avait fait Lagardère service dans une contribution écrite pour les Etats Généraux, il souhaite une « relecture » du texte. Il plaide en faveur d’une plus grande liberté pour l’éditeur, pour le diffuseur et pour l’action commerciale. Il souhaite également une « rémunération plus dynamique de la distribution ». Par exemple, il est pour la fin du principe voulant que 100% des titres soient distribués dans 100% des points de vente.

Le président du groupe « Nouvel Observateur », Claude Perdriel, a une opinion tout à fait opposée. Une remise en cause de la loi Bichet entraînerait la disparition de nombreux titres, explique-t-il. Sans compter qu’elle freinerait les créations. Il rappelle ainsi que les NMPP assurent une partie des dépenses de lancement.

Retrait du SNJ CGT

Comme il l’avait annoncé, le syndicat SNJ CGT a décidé de se retirer des Etats Généraux. Dans un communiqué daté du 27 novembre, il dénonce : « Ces Etats généraux n’ont qu’un seul but : organiser le marché et la rentabilité d’un nouveau modèle économique au seul profit des actionnaires des grands groupes nationaux et multinationaux, notamment, face aux progrès du Web et d’Internet.  »

Pour le SNJ-CGT, « il n’est question que de "verrous" à faire sauter pour rentabiliser au maximum le secteur. Ainsi les lois anti-concentrations, les droits d’auteur, les statuts des personnels, l’organisation d’une distribution solidaire, pourtant piliers de notre démocratie, ne seraient que des obstacles face aux mutations et au développement de leur « industrie », comprenez leurs « profits. ». Le contenu, la qualité des journaux, la circulation des idées, le droit démocratique à l’information et au pluralisme, l’indépendance des rédactions, ne font pas partie des débats ni, malheureusement, des préoccupations des pouvoirs publics. »

Comme les associations et collectifs qui se mobilisent contre les Etats Généraux et la manière dont ils se tiennent (voire ci-dessous) le syndicat « appelle à nouveau la profession et au-delà les citoyens soucieux d’une information pluraliste à se rassembler pour que vive un droit véritable l’information ».

Ph. A.

Edwy Plénel : « La liberté de la presse est attaquée »

A l’issue de la réunion publique qu’ils ont organisée le 24 novembre au Théâtre de la Colline, à Paris, le journal numérique Médiapart et Reporter sans frontières ont lancé un appel pour la liberté de la presse. Cette initiative s’inscrit dans le débat initié en réaction à la tenue des Etats généraux de la presse écrite. On notera qu’un second débat public est prévu, lundi 15 décembre, au Théâtre du Rond Point, à Paris. Par ailleurs, Médiapart publie quotidiennement des « Etats généraux off ».

Pour Edwy Plénel, président de Médiapart, ce texte, titré « Appel de la Colline », rappelle une évidence : le droit de l’information n’est pas le privilège des journalistes. Il est le droit des citoyens. « Pour être en démocratie, explique-t-il sur le site Médiapart, il faut pouvoir choisir. Pour pouvoir choisir, il faut être informé. » La raison d’être de l’appel de Médiapart et de RSF est là. « Aujourd’hui en France, la liberté de la presse est menacée, grignotée, abîmée, attaquée  ». Voici ses explications :


- « Elle est attaquée quand un ex-directeur de journal, pour une simple affaire de diffamation, est arrêté au petit matin comme s’il était un grand criminel.
- « Elle est attaquée quand le président de la République organise lui-même des Etats généraux de la presse. C’est comme si le Pape organisait la laïcité en France. C’est comme si le pouvoir contrôlait le contre-pouvoir.
- « Elle est attaquée quand l’ensemble de notre système médiatique est pratiquement contrôlé par des grands industriels de l’aéronautique, de l’armement, des Bâtiments et Travaux Publics, etc. qui ont tous d’autres intérêts et qui, tous, courtisent l’Etat, voire l’Elysée, le principal lieu de pouvoir dans ce pays.
- « Elle est attaquée quand on essaie d’élargir le seuil de concentration, quand on remet en cause les régulations qui sont nécessaires pour le pluralisme.
- « Elle est attaquée quand à l’heure de la révolution numérique on ne défend pas l’égalité de traitement entre la presse numérique et la presse papier.
- « Elle est attaquée quand on ne se préoccupe pas des droits des lecteurs, des internautes, des blogueurs.
- « Elle est attaquée quand le droit moral des journalistes n’est pas protégé car, en protégeant ce droit moral, c’est l’information qu’on protège. Car elle n’est pas une simple, une vulgaire marchandise. C’est une arme démocratique.
- « Elle est attaquée quand les journalistes n’ont pas accès aux sources, quand leurs propres sources ne sont pas protégées.

Il y a un immense chantier démocratique devant nous, qui est : refonder la liberté de la presse. Ce n’est pas une affaire de tuyaux, d’industriels. C’est d’abord une affaire de citoyens. C’est votre liberté. »


APPEL DE LA COLLINE
Le 24 novembre 2008

Mediapart/Reporters sans frontières

La liberté de la presse n’est pas un privilège des journalistes, mais
un droit des citoyens.
Le droit à l’information, à la libre expression et à la libre critique, ainsi qu’à la diversité des opinions est une liberté fondamentale de tout être humain.
Sans information libre sur la réalité, ambitieuse dans ses moyens et pluraliste dans ses fins, il ne saurait y avoir d’authentique délibération démocratique.
Régime de tous les citoyens, sans privilège de naissance, de diplôme ou de fortune, une véritable démocratie suppose que tous soient pareillement informés pour être libres dans leurs choix et autonomes dans leurs décisions.
De ce droit du public à connaître les faits et les opinions procède l’ensemble des devoirs et des droits des journalistes.
Leur première obligation est à l’égard de la vérité des faits.
Leur première discipline est la recherche d’informations vérifiées, sourcées et contextualisées.
Leur première loyauté est envers les citoyens et prime toute autre responsabilité, en particulier à l’égard de leurs employeurs et des pouvoirs publics.
Défendre et promouvoir cet idéal suppose l’indépendance, la
transparence et le pluralisme.

L’indépendance, c’est-à-dire :
- le respect général du droit moral des journalistes sur leur travail, afin de garantir que l’information ne soit pas réduite à une marchandise ;
- le refus impératif du mélange des intérêts industriels et médiatiques, afin de garantir que les opérateurs économiques n’aient pas d’autre objectif que l’information ;
- la préservation absolue de l’intégrité du service public de l’audiovisuel, afin de garantir que ni ses informations ni ses programmes ne soient contrôlés par le pouvoir exécutif.

La transparence, c’est-à-dire :
- un véritable accès, rapide et facile, à toutes les sources documentaires d’intérêt public pour la vie démocratique et le sort des citoyens, à l’image du Freedom of Information Act en vigueur aux Etats-Unis depuis 1967 ;
- une large protection des sources des journalistes, assurant le droit des citoyens à les alerter et à les informer, inspirée de l’excellente loi belge en vigueur depuis 2005 ;
- une publicité étendue sur tous les actes du pouvoir exécutif ayant une incidence directe sur notre vie publique, de façon à permettre l’interpellation libre et le questionnement contradictoire des gouvernants par les journalistes.

Le pluralisme, c’est-à-dire :
- une concentration limitée et régulée, de façon à éviter tout monopole de fait ou tout abus de position dominante ;
- une égalité de traitement de la presse numérique et de la presse imprimée, de façon à éviter toute discrimination stigmatisante d’Internet ;
- une reconnaissance à part entière de la place des lecteurs en tant que
commentateurs, contributeurs et blogeurs, de façon à accroître la diffusion et le partage démocratique des informations et des opinions.

Toute voie qui s’éloignerait de ces principes serait une régression.

Mediapart / Reporters sans frontières

Signer l’appel de la colline

Les prochains rendez-vous à retenir :
- Lundi 8 décembre au Press Club de Paris : Débat du Collectif "Ca Presse !" - Ce débat a pour objectif de faire le point sur la tenue des Etats Généraux, sur l’avancée des travaux du Rassemblement des associations de journalistes (RAJ) et sur les doléances des journalistes recueillies par d’autres mouvements.
Avec :
Jean-Marie Charon, sociologue des médias et co-pilote d’un groupe sur les contenus de l’atelier « Presse et société : comment répondre aux attentes des lecteurs et citoyens ? », présidé par François Dufour.
Alain Girard, premier secrétaire général du SNJ, membre de l¹atelier « Quel avenir pour les métiers du journalisme », présidé par Bruno Frappat.
Lorenzo Virgili, coordinateur du RAJ et administrateur de l’association de photographes Freelens.
Jean-Michel Dumay, président du Forum des SDJ.
Et les associations qui ont déjà adhéré au RAJ.

contact capresse.org

- Lundi 15 décembre, 19h00, à Paris : Débat public organisé par Médiapart et RSF. Théâtre du Rond Point. Pierre Rosanvallon, professeur au Collège de France, commentera "l’appel de la Colline lancé le 24 novembre.
Des personnalités politiques participeront et commenteront également cet appel : François Bayrou, Président du Modem,
Daniel Bensaïd, Philosophe, Théoricien de la Ligue Communiste Révolutionnaire ; Patrick Braouezec, Député de Seine Saint Denis, PCF, Benoît Hamon, Député européen, Porte parole du PS , Noël Mamère, Député de Gironde, Les Verts , Hervé Mariton, Député de la Drôme, UMP.
Des personnalités signataires de l’appel, notamment, Vittorio de Fillipis viendront également témoigner de leur engagement pour une presse libre.

- Mardi 16 décembre à Lille : Réunion publique organisée par le Club de la Presse du Nord – Pas de Calais. ESJ, 50, rue Gauthier de Châtillon. Avec : Lorenzo Virgili (RAJ et Freelens), Daniel Deloit (directeur général de l’ESJ Lille), Edwy Plénel (Médiapart), Jean-Luc Martin Lagardette (Association pour la préfiguration d’un conseil de presse), Thomas Zlowodski (Association pour la qualité de l’information), Fernando Malverde (SNJ-CGT), un représentant du SNJ.

Voir aussi :
Médiapart dénonce les Etats généraux de la presse : « Le pouvoir organise son propre contre-pouvoir »
Etat Généraux de la presse : le cri de RAJ de la profession


 

 

 

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