Entre nouvelles formules et plans sociaux - La Lettre du Club n°70 - décembre 2005

Les quotidiens vont mal et les nouvelles formules se multiplient.

« Si on pouvait retrouver un Libé plus dur, plus incisif, plus insolent… » A l’heure du bouclage de ce numéro, le personnel de Libération était - une première - depuis plusieurs jours en grève. Sur le site créé par les grévistes (1), ils étaient quelques lecteurs à regretter le temps où le quotidien portait haut ses valeurs de gauche. Manifestement, l’édito du 30 mai où le PDG, Serge July, s’en prenait aux électeurs ayant voté non à la Constitution européenne n’est pas passé. Libé va mal, donc : lectorat en chute libre, 6,5 millions d’euros de pertes prévues cette année… Pour toute réponse, la direction et le nouvel actionnaire, Edouard de Rothschild, ont dégainé un plan social de 38 suppressions de postes et 14 externalisations. Depuis quelque temps déjà, le nouvel actionnaire de référence semblait s’impatienter. Il avait déjà inquiété la Société civile des personnels de Libération (SCPL), en déclarant dans une interview à France 2 « utopique de vouloir différencier rédaction et actionnaire ». Rappelons que ce dernier (qui a investi 20 millions d’euros) s’est réservé la possibilité de passer de ses 39% actuels du capital à 49%, si l’entreprise n’atteint pas certains ratios. Pour répondre à son impatience, Libération s’était donc, dans son numéro du 18 octobre, hâté de présenter une nouvelle version de son site internet et de « lancer les fondations d’un quotidien bimédia, à la fois papier et on line, différents et complémentaires », selon l’expression de son PDG. Le supplément de quatre pages affichait un ton d’autosatisfaction qui paraît aujourd’hui bien désuet. Ainsi le PDG cumulait la fréquentation du site internet et les ventes du quotidien, pour écrire que « l’audience de Libération se développe ». Et d’annoncer des développements rédactionnels « sur le Net, mais aussi sur le téléphone et sur les baladeurs numériques », tout en réaffirmant le choix de « la rédaction unique ». Rendez-vous dans quelques mois pour voir comment les journalistes concilieront dans leur journée de travail reportages pour le support « papier » et exigences des nouveaux supports…

Modes d’emploi

Avec ce supplément qui donnait les clés de lecture de son nouveau site internet, Libé inaugurait en tout cas une tendance. A croire qu’il faudra désormais son mode d’emploi pour lire le journal. Le dernier en date est Le Monde, à l’occasion du lancement de sa nouvelle formule (plus de photos, trois séquences dans le journal…), le 7 novembre. Un mois plus tôt (le 3 octobre), Le Figaro avait fait de même pour annoncer sa maquette revisitée et sa déclinaison en trois cahiers : informations générales, économie (qui conserve sa teinte « saumon » mais perd sa page Régions du jeudi) et - nouveauté - les pages « Et vous », pour la culture, la télévision et autres sujets de consommation. Sur 16 pages, ce cahier du 3 octobre dresse également, sur un ton assez complaisant, le portrait du journal (qui vient de déménager du 37, rue du Louvre au 14, boulevard Haussmann) et résume l’histoire d’un hebdomadaire confidentiel créé en 1852, devenu quotidien en 1866. Un déroulé de la journée de la rédaction ne manque pas, par ailleurs, de souligner le rôle pivot de la régie publicitaire. Le journal avoue ainsi éviter de « sortir trop de pages sans pub » car « l’équilibre est à ce prix ». Quant à la ligne éditoriale, c’est le directeur de la rédaction, Nicolas Beytout, qui l’a définie en conférence de presse : Le Figaro nouveau sera « engagé, libéral et européen ».

« France Soir » coule

Difficile de résumer les autres (nombreux) changements dans la presse française. L’Humanité a, lui aussi, adopté une nouvelle maquette. Des changements discrets qui font une place plus importante à la couleur. La disparition pure et simple menace France Soir, qui ne paraît plus dans le Sud pour impayés chez son imprimeur. Le tribunal de commerce a placé le journal en redressement pour une période de six mois (2). L’homme d’affaires franco-égyptien Ramy Lakah, qui avait racheté 51% du capital l’année dernière, avait déjà renoncé à son poste de PDG.
A la Socpresse, la revente du pôle Ouest à Ouest France a été approuvée par le Conseil de la Concurrence, puis par le ministre de l’Economie. Désormais, en plus des négociations engagées depuis de longs mois pour le pôle Rhône-Alpes, c’est la revente de L’Express qui se précise. L’acheteur serait le belge Roularta. Ce qui confirme qu’en mettant la main sur la Socpresse, la seule cible de Serge Dassault était Le Figaro.
On ne peut finir sans le « cas Marianne », qui voit arriver dans son capital (à hauteur de 25%) et au poste de directeur général une ancienne figure de la Socpresse, Yves de Chaise Martin. Ce mariage contre-nature suit le départ de l’actionnaire principal, le marocain Robert Assaraf. Selon Jean-François Kahn, la rédaction gardera son indépendance. A peu près le même discours qu’après l’arrivée de Rothschild à Libération...

L. F.

(1) www.libelutte.org
(2) Un premier point était prévu le 28 novembre.


 

 

 

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