Depuis l’incendie du camp de la Linière le 10 avril 2017, plus aucun lieu n’accueille la population de réfugiés sur la Côte d’Opale. « Ils sont dans un état de désespoir », résume Damien Carême. « Les personnes présentes n’ont plus rien depuis six mois. A bout, 500 migrants ont accepté une mise à l’abri volontaire mais sont revenus après quelques jours. Leur but est de rejoindre l’Angleterre. Dès que l’un d’eux arrive à passer, il redonne de l’espoir aux autres ». La grande majorité d’entre eux ne veut pas rester en France, le passage vers l’eldorado rêvé qu’est le Royaume-Uni est leur seul objectif. Pour exemple, le maire de Grande-Synthe cite le cas d’un réfugié ayant fait 324 tentatives pour traverser la Manche. Pour l’édile, la situation n’a rien d’ingérable : « Ils ne sont que quelques milliers. L’Europe a les capacités pour les accueillir dans de bonnes conditions. Ils ne veulent pas s’établir mais passer en Angleterre et à terme, la plupart souhaitent rentrer chez eux quand les conflits qui ravagent leurs pays seront finis ».
Lui souhaitait recréer un accueil sur place. « Mais nous avons un mur devant nous. Il a changé avec le nouveau gouvernement, il semble s’être encore épaissi. J’ai eu un entretien avec le ministre de l’intérieur où il n’a évoqué que la répression. La mise en place d’un camp créerait selon lui un appel d’air. Ce prétexte de l’appel d’air est surtout un prétexte pour ne rien faire ».
- L’ancien camp de la Linière
Depuis, l’État a annoncé ce jeudi 5 octobre la mise en place à Grande-Synthe d’une halte de jour tenue par les équipes de l’OFII (Office français de l’immigration et de l’intégration) et de l’Afeji. Son but sera de convaincre les migrants campant dans les bois de rejoindre, à l’approche de l’hiver, les CAO (Centres d’Accueil et d’Orientation) comme ceux de Bailleul, de Douai, ou Hautmont ou des places ont été libérées et de les y transporter en bus. Cette mission durera tout l’hiver. Damien Carême est sceptique face à cette solution : « Je pense qu’elle n’est pas viable, les migrants veulent traverser la Manche, ils reviendront donc sur la côte ». Il préconisait, et était prêt à accueillir, un centre d’accueil de jour et de nuit sur sa commune. « Il en faudrait plusieurs sur le littoral », estime-t-il. Mais l’État ayant fait son choix, la commune ne prendra aucune initiative de son côté pour ne pas interférer. « Nous leur souhaitons de réussir bien sûr », poursuit-il. « Mais si leur solution échoue, je prendrai mes responsabilités. Peut-être pas sous la forme d’un camp car cela coûte cher et l’État a baissé nos dotations. » Parmi les solutions envisagées, Damien Carème cite l’exemple d’Arras qui héberge des familles dans les appartements de la ville.
Revenant sur l’expérience de la Linière, Damien Carême balaie d’une main le reproche fait aux camps de faciliter le travail des passeurs : « Encore un prétexte pour ne rien faire. Ce ne sont pas les camps qui créent les passeurs mais les frontières. A la Linière, l’état de droit s’appliquait, la gendarmerie pouvait entrer quand elle voulait. Nous avons fait interpeller 33 passeurs. Depuis l’incendie, il n’y a presque plus d’arrestations de passeurs sur le littoral ».
« Pour les précaires, on pense précaire »
« La linière avait le mérite de nous permettre de prendre soin des personnes dans leur globalité », poursuit Franck Esnée, coordinateur régional de Médecins du monde dans les Hauts-de-France. « Le problème des camps, c’est que ce sont des camps. Pour les précaires, on pense précaire : des abris de 9m² pour quatre personnes sont le standard international pour un couchage, pas pour un lieu de vie et d’accueil. »
Pour le responsable régional de l’ONG, la seconde difficulté rencontrée par ses équipes sur le terrain est la barrière du langage : « Sur le littoral, douze langues au moins sont parlées par les migrants et il n’y a quasiment pas d’interprètes. Là encore, c’est du précaire. Si soigner les problèmes physiques sans comprendre la personne est compliqué, le travail des psychologues et des médiateurs est impossible sans traducteur. » La guerre et les exactions dans leurs pays, ainsi que la dureté du voyage et la vie en exode, laissent souvent des cicatrices psychiques. Franck Esnée cite le cas d’un réfugié dans la jungle de Calais qui, en pleine crise de nerfs, a pu décompresser et se calmer juste en parlant avec un traducteur.
- Damien Carême, Maire de Grande-Synthe, Franck Esnée, coordinateur régional de Médecins du monde dans les Hauts-de-France et Richard Matis, vice-président de Gynécologie sans frontières
Si les conditions de survie sont dures pour tous les migrants, elles sont encore pires pour les femmes. Si elles n’étaient que 10 % dans la jungle de Calais, leur nombre était beaucoup plus élevé dans le camp de la Linière. L’association Gynécologie sans frontières était présente à Grande-Synthe grâce à un local mis à disposition par la mairie. Depuis que tous les campements sont fermés, les bénévoles, au volant d’un dispensaire mobile, se couplent aux maraudes des associations distribuant des repas pour porter assistance aux femmes. « Les violences faites aux femmes ne sont pas l’apanage des migrants », résume Richard Matis, vice-président de GSF. « Mais les conditions de vie des familles sont encore plus dures. » A sa connaissance, les naissances dans les camps ou la jungle étaient très rares car l’association amenait les femmes enceintes pour qu’elles accouchent à la maternité même si, une fois le bébé né, les familles revenaient vivre dans les bois pour tenter à nouveau le passage. Certaines futures mamans tentent à tout prix de traverser avant d’accoucher car il faut payer pour une personne supplémentaire auprès des passeurs et que les risques de se faire prendre augmentent, le bébé pouvant se mettre à pleurer et signaler sa présence aux autorités. Certaines décident donc de prendre tous les risques : alors qu’elles venaient chercher une femme enceinte le jour de son terme pour l’amener à la maternité, les équipes de GSF ont appris qu’elle avait tenté la traversée.
« La protection de l’enfance n’est pas négociable »
Mais le travail des différentes associations n’est pas de gérer des camps. Médecins du monde, Médecins sans frontières et la Croix Rouge ont pu se désengager sur la santé à la Linière car l’hôpital de Dunkerque a mis en place une permanence d’accès aux soins de santé (PASS) accessible aux personnes sans protection sociale. La Mairie de Grande-Synthe a mis en place une navette pour y emmener les migrants ayant besoin de soins et les équipes de GSF prodiguent des soins légers pour les hommes. « Mais nous commençons, pas à nous décourager, mais à fatiguer », explique Richard Matis. « Nous avons besoin d’un point fixe pour rencontrer les femmes qui en ont besoin. »
- Une équipe de Médecins du Monde donne des soins sur l’ancien camp de la Linière
Le représentant de Médecins du monde dénonce un « choix européen de rejet » qui se traduit sur la Côte d’Opale par un bras de fer entre les associations et la Préfecture sur l’accès à l’eau pour les migrants. « En 2017, nous savons en France que la santé passe par l’hygiène, qu’elle fait partie des droits fondamentaux », poursuit Franck Esnée. « Quand le Conseil d’État a imposé de mettre des points d’eau à disposition, la Mairie de Calais a en premier lieu fourni des abreuvoir à 40 cm du sol. On parle ici d’êtres humains traités comme des animaux. D’autres n’ont que des vieux puisards d’usines pollués pour se laver. On ne doit pas négocier sur ces questions. » Pour lui, ce pourrissement de la situation est volontaire : « Gérard Collomb, ministre de l’Intérieur, a parlé de ‘les décourager’. La police confisque leurs affaires, les empêche de dormir, rien n’est fait pour leur permettre de se laver, de se soigner… Cette violence fait que les gens finissent par craquer et malheureusement les services psy sont incapables de les prendre en charge. »
« En 20 ans, il n’y a qu’une chose que l’État n’a pas essayé : c’est l’hospitalité »
Outre l’hygiène, le second sujet sur lequel Médecins du monde refuse de négocier concerne les enfants qui sont, en théorie, placés sous la protection légale de l’État : « Mais dans le Nord, les services de l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) sont en faillite. Quand un mineur étranger allait leur demander de l’aide, il lui était donné un plan pour aller au parc des Olieux. » Dans ce parc du quartier Moulins à Lille, une centaine de migrants mineurs ont campé pendant plus d’un an, soutenus par des riverains et des associations, jusqu’à l’évacuation des lieux. Lorsqu’il discute avec les autorités, Franck Esnée préfère employer le mot ‘enfant’ plutôt que ‘mineur’.
« En 20 ans, il n’y a qu’une chose que l’État n’a pas essayé : c’est l’hospitalité », conclut Franck Esnée. « Surtout qu’au final, la répression coûte plus cher ». Constat partagé par Damien Carême : « La solidarité est payante. Au 1er tour de l’élection présidentielle, Grande-Synthe était la seule commune du littoral à ne pas avoir placé le FN en tête. »
SC
Shelter29 : la vie de famille en camp« Les migrants, tout le monde en parle, on lit des articles à leur sujet mais tout cela reste flou tant que l’on n’en rencontre pas ». Ludivine Fasseu explique ainsi la genèse du livre Shelter29. « En tant que jeune maman, je me posais beaucoup de questions sur la vie de famille dans les camps de réfugiés. » Au camp de la Linière, les abris (Shelter en anglais) étaient numérotés. Le 29ème abritait Islam et Soreya, ainsi que leurs enfants Sam et Sara. Avec le photographe Pascal Bachelet, elle a suivi cette famille iranienne, mais aussi les associations présentes et le personnel municipal, pendant sept mois. Timide au départ, le couple a accepté de témoigner pour montrer qu’ils n’étaient « pas des gens méchants », que leur seul souhait est de se rendre en Angleterre pour travailler. Santé, éducation, occupations, tentatives de passage… Tout l’univers des réfugiés est abordé dans le livre. Les deux journalistes ont voulu montrer « La face humaine de ces personnes, souvent oubliée dans le débat public »
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